Nulle et Grande Gueule
Joyce Carol Oates
Gallimard (folio), 2002
Adolescence obsidionale
Par Anne-Marie Mercier
Joyce Carol Oates n’est a priori pas un auteur pour enfants, mais ce livre est une si belle histoire de rencontre entre deux adolescents qu’il semble bon de le signaler à l’attention de ceux qui cherchent des livres pour les ados.
Prenez deux adolescents d’une même classe de première d’un lycée américain banal. L’un est « grande gueule », garçon populaire, président de ceci ou de cela, directeur de la rédaction de la revue du lycée, insouciant et apparemment entouré de plein d’amis. L’autre est La Nulle, mal dans sa peau, agressive, persuadée qu’elle est… nulle et que ceux qui font comme si elle ne l’était pas sont des hypocrites. Elle est à vif, il ne se méfie pas.
Chacun vit un drame au début du roman, mais l’un a plus de conséquences que l’autre : l’adolescent est appréhendé par la police et interrogé, puis exclu du lycée en attendant les résultats d’une enquête.
Incapable de ne pas faire une plaisanterie quand elle se présente à lui, il a évoqué l’idée de faire un massacre au lycée et a été dénoncé comme un futur terroriste. L’attitude du chef d’établissement, des professeurs, des parents, et surtout des amis est épinglée de manière acide. La droiture de La nulle sera le seul rempart contre la bêtise et la lâcheté de l’ensemble d’une communauté.
Le livre nous dit que le monde est ainsi fait : en situation dangereuse, tes amis se détourneront de toi, ta famille parfois. Et tu seras heureux si tu trouves quelqu’un pour te tendre la main – quelqu’un qui pourrait fort bien être une personne que tu ne voyais pas ou dont tu te moquais – . Sombre ? Comme les ados aiment: sombre avec la lumière au bout du tunnel et l’idée que l’avenir, le courage, l’amitié vraie, c’est eux. Dans un monde replié sur ses peurs, ils se font une île où vivre, seuls contre tous, ou plutôt loin de tous, étrangers à ces haines et frilosités.