Paul, La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)

Paul, La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973)
Hervé Bourhis

Casterman, 2025

Band on the run, un groupe sur la route

Par Lidia Filippini

En septembre 1969, lors de la sortie de l’album Abbey Road, l’inquiétude enfle. Paul McCartney serait mort et aurait été remplacé par un sosie ! Sur la célèbre pochette, les Beatles traversent sur le passage piéton devant le studio Abbey Road à Londres. Paul – ou plutôt son remplaçant – est pieds nus, c’est ainsi qu’on enterre les morts en Angleterre. John, porte du blanc, couleur du deuil dans de nombreux pays. Ringo, lui, est vêtu de noir : il représente le croque-mort. Quant à George, en jean, il symbolise l’esprit rock du groupe, mais aussi le fossoyeur. Quelques mètres plus loin, sur la plaque d’immatriculation d’une Volkswagen, on peut lire LMW 28 IF. Pour les fans, c’est évident, cela signifie Living McCartney Would be 28 If – McCartney aurait vingt-huit ans si… s’il n’était pas mort !
Une folle rumeur que Paul n’a pas vraiment le courage de démentir. Cette mort symbolique, en effet, reflète assez bien son état d’esprit du moment. Le grand public l’ignore, bien sûr, mais, six jours plus tôt, John Lennon lui a annoncé qu’il quittait le groupe. La fin des Beatles, c’est la fin d’une époque, la fin d’un rêve éveillé de dix ans pour Paul et la pilule est dure à avaler. Le musicien sombre dans la dépression. Il se saoule, fume, se drogue. Il a perdu son statut d’icône et ne sait plus vraiment qui il est. Heureusement, il y a Linda, sa femme, rencontrée deux ans plus tôt. Sur son conseil, il décide de quitter Londres. La famille, s’installe avec ses deux filles dans la ferme écossaise acquise par le bassiste en 1965, un lieu sans confort, isolé, parfait pour une résurrection !
Hervé Bourhis relate ici la vie de McCartney depuis la séparation des Beatles, jusqu’à la sortie de l’album Band on the run, troisième opus de Wings, qui est considéré comme un des meilleurs du groupe. On suit le musicien dans une sérieuse phase dépressive, puis, une vraie renaissance portée par la musique. Soutenu par l’amour de Linda, qu’il invite à chanter avec lui, le musicien décide de repartir de zéro. Il enregistre dans sa ferme son premier album solo, Ram, dans lequel il joue de tous les instruments tandis que Linda se charge des harmonies vocales. Et puis, il fonde Wings et part en tournée. Loin de la beatlemania, des stades remplis de filles qui hurlaient tellement que personne n’entendait ce qu’ils jouaient, loin des jets privés et des limousines aux vitres blindées, Paul et son groupe voyagent en bus, accompagnés des enfants McCartney. Les premiers concerts sont des concerts surprises, donnés dans des universités anglaises. Le bus s’arrêtait, un musicien allait voir le secrétariat, demandait s’il y avait un lieu pour jouer… et les étudiants ébahis se retrouvaient devant l’idole de leur adolescence ! Un sacré risque pour un homme aussi célèbre, mais un vrai retour aux sources également, aux premiers concerts à Hambourg avec les Beatles avant la notoriété. C’est ainsi que, malgré des critiques sévères au début – impossible de ne pas comparer McCartney solo à la magie des compositions Lennon-McCartney – l’ex Fab Four finit peu à peu par se faire une place en son nom propre dans l’univers musical des années 1970.
On sent toute l’admiration d’Hervé Bourhis pour McCartney. L’auteur, qui a déjà publié une BD sur les dernières années de John Lennon (Retour à Liverpool, Hervé Bourhis, Julien Solé, Futuropolis, 2021), s’appuie sur des biographies de l’artiste. Il explique avoir également consulté des sites internet collaboratifs. Un vrai fan n’y apprendra pas grand-chose mais quelle importance ? Tout est déjà dit sur Paul McCartney et quel plaisir de l’entendre raconter encore et encore ! Et surtout, on appréciera les illustrations psychédéliques et délicieusement pop dans lesquelles on reconnaîtra des photos connues, et d’autres moins connues, du célèbre bassiste et de sa famille. Un travail graphique riche et minutieux, joyeux et optimiste, comme l’est Sir McCartney. Et pour ceux qui ne connaîtraient pas bien le musicien, cette BD est un moyen de rencontrer un artiste essentiel qui, avec les Beatles, a changé une fois pour toute la musique européenne. L’auteur tord le cou aux clichés qui, depuis un demi-siècle, font de McCartney le mélodiste sirupeux et mièvre tandis que Lennon serait l’avant-gardiste engagé. On y découvre au contraire un homme habité par la musique, sans cesse prêt à se renouveler et dont le mode de vie – végétarien, vivant à la campagne, simplement, entouré de sa famille et d’animaux – qui suscita beaucoup de moqueries à l’époque, paraît aujourd’hui bien d’actualité.

 

 

 

 

 

 

La véritable Histoire de King Kong

La véritable Histoire de King Kong
Luca Tortolini – Marco Somà
Sarbacane 2023

La rançon de la gloire

Par Michel Driol

Devenu une star, King Kong raconte sa vie. Certes, il est riche, mais il doit se soumettre à tant d’obligations prévues par son contrat : les vêtements, le garde du corps, les publicités qu’il doit tourner, la fiancée choisie pour lui… Il expose alors son histoire, depuis son repérage dans la jungle par des hommes qui l’assurent qu’il est fait pour la gloire, jusqu’au tournage pour lequel il a dû apprendre le jeu d’acteur. Souffrant de la solitude, sans réponse aux lettres qu’il envoie chez lui, il décide de tout quitter pour redevenir Ughm et être lui.

Quel contraste entre l’image que l’on a de King Kong, le monstre qui kidnappe une jeune femme et se bat contre les avions, accroché au sommet d’un gratte-ciel, et l’être civilisé, doux, gentil, élégant,  que cet album propose ! Il n’est plus vu comme un animal sauvage, mais comme un acteur au faite de la gloire. Ce dont parle l’album, c’est bien du poids que représente la célébrité, de l’aliénation qu’elle impose, de la privation de liberté qui l’accompagne, de l’absence d’intimité. King Kong est toujours en représentation dans cette Amérique des années 20-30 représentée avec finesse par Marco Somà dans de douces teintes pastel, un peu sépia, à l’image des vieilles photographies. Décors, vêtements, accessoires, caméras… tout évoque ces roaring twenties, ces fantastiques années. Avec subtilité l’album oppose la vie publique et la vie privée de ce nouveau nabab, et laisse le lecteur trancher quant à la question de son consentement. Consentement à suivre ces hommes qui le flattent, consentement à signer un contrat qu’il n’a pas lu, consentement à devenir autre, à perdre sa nature première, animale, pour devenir une icône de mode, une célébrité, un « people ». En ce sens, c’est bien ce phénomène qui est au cœur de l’album. Bien loin de profiter d’un système, King Kong en est la victime. L’argent fait-il le bonheur ? Quelle est la vraie identité du personnage ? Est-elle compatible avec l’image que l’on veut donner de lui ? Personnage déçu, malheureux, nostalgique de sa vie d’avant, mais sans aigreur ni agressivité, King Kong n’est pas dans l’accusation ou la revendication et il accepte de renoncer à la vie de rêve, de luxe dont on croit qu’il jouit à Hollywwod. Par un petit clin d’œil, le dessinateur le montre se dépouiller de ses vêtements luxueux, mais termine sur un plan où l’on voit un gorille lire, ou regarder, un ouvrage dont la couverture représente King Kong, comme une trace du passé.

Cette « véritable » histoire de King Kong prend le détour de la fiction pour conduire chacun à s’interroger sur son identité propre, sur la façon dont on peut être prêt à l’aliéner pour jouir de son quart d’heure de célébrité. A l’élégance (aussi bien physique que morale) du personnage de King Kong correspond l’élégance du graphisme de Marco Somà. L’album est autant une façon de s’interroger sur ces problématiques que de découvrir, à travers une multitude de détails, le mode de vie des stars des années 20 et les techniques du cinéma de l’époque. Un splendide hymne à la liberté d’être soi !

Qu’on me permette de dédier cette chronique à François Quet, cinéphile averti, qui aurait apprécié cette réécriture intelligente et iconoclaste d’un des grands mythes du cinéma hollywoodien.