Po & Zi

Po & Zi
Fanny Pageaud
A pas de loups 2024

Ode à la complémentarité

Par Michel Driol

Roméo et Juliette, Bouvard et Pécuchet, Sylvain et Sylvette, Ranelot et Bufolet, les titres des ouvrages, qu’ils soient pour adultes ou enfants, adorent les couples. Voici donc, sous la plume de Fanny Pageaud, Po et Zi. Page de gauche, imprimé en vert pomme, voici le portrait de Po, ferme, carré, discipliné : une incarnation de l’ordre. Page de droite, imprimé en rose framboise, voici Zi, audacieux, fantaisiste, et résistant : bref, comme une figure du désordre.

Chaque double page propose une opposition entre les deux personnages sur un plan précis. Cela peut être très anecdotique (l’un préfère l’eau plate, l’autre l’eau gazeuse), lié aux activités (l’un fait le potager, l’autre les magasins) ou lié à leur essence propre (l’un met tout en place, l’autre sème la zizanie). Qu’on ne croie pas pourtant que l’un est tout blanc, l’autre tout noir car Po partage et multiplie, et Zi jalouse et divise… Bien sûr, au passage, on aura remarqué la contrainte oulipienne qui vise à saturer de P la page Po et de Z la page Zi… Et on appréciera le rapport qui se joue entre le texte et les illustrations, des tampons (comme dans la sérigraphie) qui proposent un regard parfois décalé sur ce que dit le texte, toujours avec une note d’humour très frais.

Il est évident que l’album propose plusieurs lectures, et on ne peut exclure celle d’une définition de la poésie, définition très métaphorique et prenant en compte la complexité et les métamorphoses mêmes du genre. Poésie disciplinée, soumise aux règles de la métrique et de la versification, ou désobéissante, s’affranchissant de toutes normes et contraintes. Poésie du potager, du jardin qu’on cultive avec soin, ou poésie des magasins, faite d’emprunts, de trouvailles, de circulation de mots et de formes. Chaque double page propose ainsi des oppositions qui renvoient à différents courants poétiques, à différentes approches  de cet univers difficile à cerner. La double page finale réunit enfin les deux pôles pour montrer qu’ils sont indispensables l’un et l’autre. Belle définition de la poésie qui, rappelons ici l’étymologie du mot, est création, c’est-à-dire façon de faire coexister les contraires. !

Personnages antagonistes, définition de la poésie, l’album s’inscrit aussi sans doute dans toute une philosophie orientale, celle du Yin et du Yang, forces opposées dont l’équilibre est à préserver.

On pourra prendre plaisir à jouer avec cet album, à se demander sur chacune ses pages, à la manière d’un test psychologique, si l’on est plus Po que Zi. C’est, en tous cas, une belle et originale façon d’inviter à chercher en toutes choses et en chaque être la singularité et la complémentarité.

La Fougère et le bambou

La Fougère et le bambou
Marie Tibi – Jérémy Pailler
Kaléidoscope 2022

Riches de nos différences

Par Michel Driol

Juste avant de mourir, un vieil homme sage lègue à son ainé, un garçon solide, une graine de fougère, et à son cadet, chétif, un graine de bambou, leur demandant de les planter dans la forêt. Ce qu’ils font, bien sûr, et très vite la fougère se met à pousser et à prospérer. Mais rien du côté du bambou, et pourtant le cadet ne renonce pas. Jusqu’au jour où, quelques années plus tard, le bambou sort de terre, et grandit à toute vitesse, et propose son ombrage aux fougères qui souffraient du soleil. Alors, en songe, le père révèle le secret de la vie aux enfants.

Marie Tibi adapte ici avec bonheur une fable orientale aux multiples significations. Il y est question en effet, de deuil et d’héritage, de courage, de volonté de poursuivre ses efforts quand bien même on ne voit aucun résultat. Il y est question de persévérance, mais aussi de découverte de soi, et peut-être surtout de la complémentarité entre la fougère et le bambou, entre les deux frères malgré leurs différences. Ne peut-on y voir comme la manifestation du Yin et du Yang dont l’union assure l’harmonie ? Mais il est aussi question de la différence de rythme entre les individus. Comme le bambou, le cadet a besoin de temps pour consolider ses racines. Porter, jour après jour, des seaux d’eau renforce sa musculature. Belle leçon pour les enfants « en retard », à qui le conte dit qu’ils sont en train de fortifier leurs racines, que la persévérance est récompensée, et que le lien familial, social, va au-delà des différences, et que chacun a sa place dans  le monde qu’il contribue à équilibrer, à rendre plus harmonieux, plus vivable. Cette allégorie de la fougère et du bambou est contée avec finesse dans une langue pleine de sobriété, qui s’attache à explorer le ressenti de chacun des frères, leurs émotions, les doutes qui les assaillent chacun à leur tour.

Cette histoire est portée par des illustrations somptueuses de Jérémy Pailler qui la situent dans un univers animalier, comme pour se rapprocher de l’univers des fables. Nous sommes donc chez des mulots, des mulots très humanisés, représentés avec une grande minutie de détails. Approchez vous. Scrutez les doubles pages où rien n’est laissé au hasard. Et vous verrez que la roue de la brouette est un bouton, qu’un seau percé est réparé par un sparadrap… Ce monde de mulots, miniature et poétique s’avère plein de vie. Il donne à entrevoir l’amour qui unit le père et ses enfants, et les deux enfants eux-mêmes.

Un conte d’origine orientale, la tradition de la fable, la poésie des images pour un bel album à la portée universelle.

Le Clan des rennes

Le Clan des rennes
Astrid Chef d’Hotel – Sejung Kim
Flammarion, Père Castor 2022

Soudés comme les cinq doigts de la main…

Par Michel Driol

Ils sont 5, les rennes du Père Noël. Il y a Josette, la plus musclée, Albert, le cuisinier, Maïa, la mécanicienne, Pablo le guide, et Robert, le dormeur… Le soir de Noël, ils sont à leur poste pour conduire le Père Noël et distribuer les cadeaux à temps.

Voilà un joli petit album cartonné, aux pages en forme de tête – stylisée – de renne. La couverture est surmontée des bois des rennes, tout doux, en feutrine. Peu de texte pour décrire ces cinq individualités. On apprécie que ce Clan des rennes participe à la lutte contre les stéréotypes de genre. Les filles y sont respectivement la plus musclée et la mécanicienne, quant au cuisinier, c’est un garçon… Des illustrations clairement lisibles montrent des animaux sympathiques, tout sourire, humanisés, dans leur environnement familier. Cette complémentarité des rôles montre qu’il faut de tout pour faire un monde, et que chacun a ses compétences qu’il met au service de tous… et de la magie de Noël !

Pour les plus jeunes, un petit album sympathique à lire toute l’année pour se préparer à attendre Noël !