La Fougère et le bambou

La Fougère et le bambou
Marie Tibi – Jérémy Pailler
Kaléidoscope 2022

Riches de nos différences

Par Michel Driol

Juste avant de mourir, un vieil homme sage lègue à son ainé, un garçon solide, une graine de fougère, et à son cadet, chétif, un graine de bambou, leur demandant de les planter dans la forêt. Ce qu’ils font, bien sûr, et très vite la fougère se met à pousser et à prospérer. Mais rien du côté du bambou, et pourtant le cadet ne renonce pas. Jusqu’au jour où, quelques années plus tard, le bambou sort de terre, et grandit à toute vitesse, et propose son ombrage aux fougères qui souffraient du soleil. Alors, en songe, le père révèle le secret de la vie aux enfants.

Marie Tibi adapte ici avec bonheur une fable orientale aux multiples significations. Il y est question en effet, de deuil et d’héritage, de courage, de volonté de poursuivre ses efforts quand bien même on ne voit aucun résultat. Il y est question de persévérance, mais aussi de découverte de soi, et peut-être surtout de la complémentarité entre la fougère et le bambou, entre les deux frères malgré leurs différences. Ne peut-on y voir comme la manifestation du Yin et du Yang dont l’union assure l’harmonie ? Mais il est aussi question de la différence de rythme entre les individus. Comme le bambou, le cadet a besoin de temps pour consolider ses racines. Porter, jour après jour, des seaux d’eau renforce sa musculature. Belle leçon pour les enfants « en retard », à qui le conte dit qu’ils sont en train de fortifier leurs racines, que la persévérance est récompensée, et que le lien familial, social, va au-delà des différences, et que chacun a sa place dans  le monde qu’il contribue à équilibrer, à rendre plus harmonieux, plus vivable. Cette allégorie de la fougère et du bambou est contée avec finesse dans une langue pleine de sobriété, qui s’attache à explorer le ressenti de chacun des frères, leurs émotions, les doutes qui les assaillent chacun à leur tour.

Cette histoire est portée par des illustrations somptueuses de Jérémy Pailler qui la situent dans un univers animalier, comme pour se rapprocher de l’univers des fables. Nous sommes donc chez des mulots, des mulots très humanisés, représentés avec une grande minutie de détails. Approchez vous. Scrutez les doubles pages où rien n’est laissé au hasard. Et vous verrez que la roue de la brouette est un bouton, qu’un seau percé est réparé par un sparadrap… Ce monde de mulots, miniature et poétique s’avère plein de vie. Il donne à entrevoir l’amour qui unit le père et ses enfants, et les deux enfants eux-mêmes.

Un conte d’origine orientale, la tradition de la fable, la poésie des images pour un bel album à la portée universelle.

Ping Pong – Le livre des contraires

Ping Pong – Le livre des contraires
David A. Carter
Gallimard Jeunesse 2021

Pop-up en mouvement

Par Michel Driol

Gauche / droite, Gros / petit, en haut / en bas… ce sont sept contraires que cet album illustre. La technique est la même : grâce à un ingénieux système de pliage en accordéon, l’image s’anime et change quand on incline le livre de gauche à droite.

Les contraires proposés sont des classiques, mais nommés avec humour (riquiqui / géant) et déjà illustrés par la typographie choisie (disposition dans la page, couleurs, taille…). Ils permettent aussi de belles illustrations, surprenantes et originales (beaucoup / un peu). Les couleurs, pures et très vives, laissent une impression de joie et gaité.

Une belle création de David A. Carter, qui s’avère l’un des plus grands auteurs actuels de livres animés et de pop-ups inventifs.

Mon hippopotame

Mon hippopotame
Janik Coat
Autrement, 2012

 Variations sur un cétartiodactyle

Par Christine Moulin

41C+y35KRXL._SL500_AA300_On avait déjà admiré l’abédécaire de Janik Coat. Ici, le propos est inverse, en quelque sorte puisque le thème est constant (un hippopotame) et que la variété vient des mots qui lui sont associés, organisés par paire d’antonymes. Certains sont attendus: petit/grand, léger/lourd ou même gauche/droite. Mais dans ces cas-là, les dessins, si caractéristiques de la manière de l’auteur, surprennent et ravissent, pleins de ronde douceur et de gaieté (les petits yeux de l’animal semblent briller de malice et de gentillesse). Et surtout, il y a toutes les paires que l’on n’attend pas et qui permettent des trouvailles tactiles (doux/rugueux) ou graphiques: plein/vide, opaque/transparent, positif/négatif, carré/rond ou (hilarant) face/profil. Enfin, certains couples de mots invitent à la réflexion: absent/présent, libre/emprisonné, singulier/pluriel… Le genre « livre des contraires » est ici renouvelé avec un réel bonheur.

Ricochet aussi a aimé!

Pomelo et les contraires

Pomelo et les contraires
Ramona Badescu et Benjamin Chaud

Albin Michel Jeunesse, 2011

 

Un éléphant rose vivant sous un pissenlit pour discuter philo

par Sophie Genin

9782226219923.gifRamona Badescu et Benjamin Chaud (après un album solo l’an dernier, délicieux et drôle : Adieu Chaussette) reviennent avec leur petit éléphant rose. Il avait grandi dans le dernier opus (Pomelo grandit) et, cette fois-ci, ce n’est pas une histoire (quoique !) mais un imagier des contraires. Sauf que les heureux « parents » du petit héros rose sont égaux à eux-mêmes : après avoir envisagé des concepts classiques du genre (fermé/ouvert, noir/blanc, près/loin…), ils abordent des sujets plus délicats (convexe/concave, mort/vivant, éphémère/éternel, bien/mal…) puis « partent en vrille » (stalactite/stalagmite, gastéropode/cucurbitacée, et le mieux : en veux-tu ? en voilà !).
Le tout est servi avec brio : faire comprendre de tels concepts n’était pas aisé et ils y parviennent parfaitement grâce à l’univers de Pomelo (le jardin, son ami l’escargot, la vieille tortue sage mais aussi les fraises et les pomme de terre personnifiées). Encore un grand moment de littérature avec Pomelo !
Si vous n’êtes pas convaincus, ouvrez vite cet album à la page « dur/mou » et « flou/net » car, même dans un imagier, l’auteur et l’illustrateur nous racontent une histoire efficace, brève et drôle !