La bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup – « Vague-à-bonder » en connivence avec les jeunes lecteurs de Taïwan

Pei-Chun Shih, Géraldine Alibeu
La bête et les petits poissons qui se ressemblent beaucoup

HongFei, 2011

« Vague-à-bonder » en connivence avec les jeunes lecteurs de Taïwan

Par Dominique Perrin

 A déguster : trois histoires rieuses, fondantes et nourrissantes de « la Bête », à qui le lecteur s’identifie rapidement et volontiers malgré son étrange physique de têtard-félin à corps de poupon (ou « écureuil-chat-limace » selon un groupe de jeunes lecteurs évoqué par l’illustratrice) : mentalement, elle est parfaitement humaine, ou humainement parfaite, curieuse et disponible – mais sa patience a des bornes – poète et attentive – et cela sans modération. Ce sont là comme trois épisodes d’une histoire bien plus ample, où l’on apprend, petit ou grand, à « vague-à-bonder » en toute confiance au pays des vivants mais aussi au pays des mots.

« La Bête », cousine lointaine plus étrange des Ranelot et Buffolet d’Arnold Lobel, est à Taïwan, son pays d’origine, l’héroïne d’autres histoires, et son propre parcours éditorial en constitue une à part entière. Elle a été créée en 2003-2004, publiée et primée par l’association de littérature de jeunesse de Taïwan en 2007, traduite pour la première fois et illustrée à nouveaux frais en France en 2011 (dans l’illustration taïwanaise, elle était encore autre, « toute mignonne, avec la queue d’un renard, le visage d’un ours et les pieds d’un cochon »)… (entretiens de Pei-Chun Shih et de Géraldine Alibeu en ligne sur http://blog-de-hongfei-cultures.hautetfort.com).

Il est où mon p’tit loup – Les mêmes et l’autre, tableaux de groupes

Stéphanie Blake
Il est où mon p’tit loup

L’école des loisirs, 2011

Les mêmes et l’autre, tableaux de groupes

Par Dominique Perrin

9782211203814.gif« Un chat n’y retrouverait pas ses petits ! » : la dernière production de Stéphanie Blake dans le grand format solidement cartonné de la collection « loulou et cie » illustre cette formule consacrée avec une espièglerie et un entrain féconds. Décidément non narratif, l’album consiste en une série de tableaux évoquant un Maurits Cornelis Escher détendu et bonhomme, accompagnés d’une phrase-comptine référée au titre : Il est où mon p’tit loup …« Si tu es malin, tu le trouveras chez les lapins » – « Et chez les chiens ? Regarde bien ! ».
On passe ainsi d’un univers animalier à un autre, à la fois abstrait, géométrique, et vivant, parlant : dans les pyramides de lapins, de chiens et autres crocodiles qui se succèdent de double-page en double-page, l’art de l’illustratrice anime et singularise tous les personnages. Loin des « cherchez l’intrus » traditionnels, telle est la satisfaisante surprise de ce livre qui mérite sa solidité et sa grande taille : le « petit loup » vert qu’il s’agit de retrouver dans différents tableaux de familles est plus convivial encore que facétieux ; s’il échappe d’abord au regard, ce n’est pas parce qu’il est bien caché, mais parce qu’il trouve sa place dans une série de collectifs multicolores où chacun est digne d’attirer le regard.

Madame chaise :Et que le conte recommence…

Madame chaise
Dorothée de Monfreid
Ecole des loisirs (Loulou et cie), 2011

Et que le conte recommence…

Par Dominique Perrin

chaise04958.gifD’un « certain âge », la chaise d’une petite fille aspire à être plus attirante et confortable ; les autres objets de la chambre lui prêtent leur concours, en sorte qu’elle ressemble finalement à un trône, prêt à accueillir la petite fille en reine… Madame chaise est un album d’une grande sobriété, dont le charme est une fois encore lié au rapport à l’enfance qui singularise l’œuvre de Dorothée de Monfreid, lui conférant cohérence et renouvellement : les petits d’humains y révèlent une forme imprévisible d’éminence, tout à fait comme dans la tradition des contes de fée – où le règne final des rois et des reines est la promesse faite, dans un esprit merveilleusement démocratique, à tout être en formation.

Fruits légumes

Fruits légumes
Soledad Bravi
Ecole des loisirs (Loulou et cie), 2011

Vers un alphabet des saveurs

Par Dominique Perrin

fruits204873.gifArtichaut, airelles, ail, abricot, arbouses, amélanches… Dans ses grandes dimensions solidement cartonnées, le nouvel abécédaire de Soledad Bravi est certes généreux en vocables et couleurs, à l’usage de tous ceux qui ont encore quelques fruits et légumes pas nécessairement exotiques à découvrir en bouche ou au moins en lexique.

Les plus connus de ces objets sont parfois curieusement peu reconnaissables – mais l’énigme figurative incite sans doute à lire. Tous sont représentés dans des échelles hétérogènes, modestes forcément sur les pages densément peuplées, ou énormes, de la hauteur du livre pour le X et le Z, mais aussi pour le I : dans ces cas-là, cela devient comme une ode plastique aux formes de l’iceberg et de l’igname.

Poésies dans l’air et dans l’eau

Poésies dans l’air et dans l’eau
Kochka, Julia Wauters
Père Castor-Flammarion, 2011

Poésie vive !

Par Dominique Perrin

poé.gifSur chaque double-page de cet album d’une fraîcheur d’embruns, trois à sept vers d’une densité irréprochable rayonnent au milieu d’un tableau-poème. L’un à côté de l’autre, l’un avec l’autre, texte et image battent une chamade maîtrisée et irrésistible, évoquant la meilleure tradition du poème illustré pour enfants, mais ouvrant aussi une voie à part, métissée et résolument moderne. Ouvrir un album de poésie et être emporté par un rythme, un air, prendre envie de voir par les fenêtres et de prolonger l’évidence esthétique crayon(s) à la main est une expérience marquante – permise ici par la rencontre opportune d’une auteure féconde et d’une jeune illustratrice dépositaire d’une chatoyante culture des arts textiles.

Les grands classiques du Père Castor à dessiner

Louis Alloing
Les grands classiques du Père Castor à dessiner
Père Castor-Flammarion, 2011

Pour fêter « 80 ans d’édition pour les enfants »…

Par Dominique Perrin

livres à dessiner, Louis Alloing Les grands classiques du Père Castor à dessiner, Père Castor-Flammarion, 2011La seule manière évidente de fêter la longévité d’un éditeur comme le Père Castor était de redonner à lire, aux enfants de 2011, ses toujours très jeunes premiers classiques. La petite bibliothèque du Père Castor réunit ainsi dans un coffret Michka (1941), Roule Galette (1950), La Plus mignonne des petites souris (1953), Conte de la Marguerite (1959), La Vache orange (1961), Le Grand cerf (1972).
Quant à l’album Les grands classiques du Père Castor à dessiner, il prolonge dans la même perspective commémorative la tradition des « livres d’activités » – invitant à plier, découper, apparier, colorier. A partir d’un corpus de huit albums classiques un peu différent de celui du coffret, couvrant la période 1941-1971, il guide le jeune lecteur dans la figuration des huit personnages éponymes. Si la pédagogie du dessin trait à trait, volume à volume (le feutre étant fourni et les pages effaçables à sec) est sans doute éprouvée, aucun fil conducteur ne permet de donner du sens à la juxtaposition des huit doubles-pages dédiées chacune à une figure et un album. Le décor est minimal, l’esthétique proposée évidemment très loin du charme de l’illustration originale, et le texte d’une ou deux lignes d’un intérêt plus que mineur.
Au-delà du plaisir qu’on peut tirer sans doute du mode de dessin proposé, est-ce là un hommage fécond aux albums évoqués, et une conception vraiment engageante de la manière dont on peut inviter le jeune public à prendre part au travail d’illustration ? On  incline à en douter.