Les Frères moustaches

Les Frères moustaches
Alex Cousseau, Charles Dutertre

Éditions du Rouergue, 2013

Nous sommes tous des Frères Moustaches

par François Quet

9782812605802_1_75Plusieurs mois après l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, il n’est pas inutile de lire ou de relire Les frères Moustaches d’Alex Cousseau et Charles Dutertre. Les frères Moustaches font les pitres, tirent la langue, se moquent des tyrans et des rois guerriers, et si on on leur coupe la langue, continuent de danser et de mimer pour ridiculiser. Les auteurs ont eu la bonne idée de partir d’un trio célèbre en Birmanie pour écrire un hommage à tous les clowns et à tous les satiristes. Les clowns osent tout : faire du mauvais roi un pantin, transformer les murs en théâtre d’ombres, danser, mimer, provoquer des rires fous aux dépens des puissants.

Le texte court en bas de page comme le sous-titrage d’un théâtre de marionnettes en langue étrangère. Il décline les exploits de ses héros, leurs persécutions, leurs constantes résurrections. L’emploi du présent, l’accumulation des actions et leur caractère très général (« On les emprisonne, (…) mais dehors le soleil brille encore ») souligne l’universalité du propos. L’illustration, surtout, fascine. Dutertre invente un monde compliqué, grouillant de personnages mi-orientaux, mi-médiévaux, dotés pour la plupart de gigantesques moustaches. Les chevaux, les chameaux, les éléphants ou les coqs et les animaux cornus voisinent avec des créatures fantastiques. Les aplats de couleurs, hachurés ou tramés, dans les gris ou orangés, l’absence de profondeur et de perspective miment un univers anciens de tapisserie ou de décoration murale. Les trois héros, toujours beaucoup plus grands que les autres personnages, pourraient être les marionnettistes de ce théâtre de fantaisie. Bref, rien dans l’image ne vient alourdir la gravité du sujet. Bien au contraire, cet éloge de la satire prend l’allure d’une fresque épique, grouillante et généreuse, portée par le sourire d’un artiste complice de ses personnages.

 

La Chanson pour Sonny et autres nouvelles sportives

La Chanson pour Sonny et autres nouvelles sportives
Ahmed Kalouaz
Rouergue 2015

Médailles d’or en  Droits de l’Homme

Par Michel Driol

sonnyNeuf nouvelles construites sur le même principe : un adolescent d’aujourd’hui découvre un sportif du passé, remarquable par son engagement politique ou humain. Ainsi le cycliste Gino Bartoli, qui faisait passer argent et faux papiers dans le cadre de sa bicyclette pour sauver des Juifs dans l’Italie fasciste. Ainsi Alfred Nakache, nageur français, rescapé d’Auschwitz, ou Roger Bourgarel, le premier rugbyman noir français à jouer dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. On croise bien sûr la finale du 200m à Mexico, en 1968…. Le seul footballeur qu’on rencontre, c’est le gardien roumain Helmuth Duckadam, vainqueur de la coupe d’Europe en 1986, qui disparait en Roumanie sous Ceausescu. On croise aussi des sportifs anonymes, un boxeur devenu SDF, un amateur de tir à l’arc qui évite de tuer ou blesser les animaux.  On croise aussi des figures de poètes engagés, Machado à Collioure, Jean Prévost à Herbouilly dans le Vercors, René Char, ou, dans le Trièves,  le Giono de l’Homme qui plantait des arbres.

Neuf courtes nouvelles à l’écriture concise. Rien de trop : on va à l’essentiel, dans la mise en scène de la confrontation entre l’adolescent narrateur et le sportif. Des adolescents variés dans différentes régions de France : garçons ou filles, sportifs ou non, se découvrant eux-mêmes tout en découvrant des valeurs telles que le courage, l’engagement pour les Droits de l’Homme, contre le colonialisme ou les ségrégations,  la simplicité, la fraternité. Des nouvelles habiles qui savent opérer des rapprochements pleins de sens, comme celui du coureur éthiopien Abebe Bikila et de la photo célèbre de Kim Phuc, courant sur une route du Vietnam, victime d’une attaque au napalm. On regrette l’absence de figures sportives féminines. Mais, à une époque où les médias montrent des sportifs bling-bling plus intéressés par l’argent que par la solidarité, ces récits de vie suggèrent une autre place du sport dans notre société, et invitent peut-être les sportifs, auxquels les adolescents aiment s’identifier, à y jouer un autre rôle aujourd’hui, bien loin du foot spectacle, et de la Fifa.

Un recueil qui, même s’il évoque les tragédies du XXème siècle, se montre plein d’espoir dans l’homme.