La Maison sans pareil (t. 2 : l’homme au masque)

La Maison sans pareil (t. 2 : l’homme au masque)
Elliot Skell
Traduit (anglais) par Alice Marchand
Flammarion, 2013

Sorties d’enfances

Par Anne-Marie Mercier

maisonsanspareil2Un peu comme l’a fait auparavant J. K. Rowlings, l’auteur fait grandir son univers avec son lecteur : chaque volume semble être taillé pour un âge différent. Si le premier (voir la chronique du 4 mars 2013) était porté part une petite dose de suspens et comportait quelques événements dramatiques, il était surtout dominé par la construction d’un univers, celui d’une maison infinie abritant une famille elle-aussi tentaculaire, entièrement occupée à des banquets, fêtes et distractions diverses.

Le deuxième volume est beaucoup plus noir : des menaces, des traques, des morts lui donnent une allure différente, sans le rendre forcément « gothique » comme le voudrait le descriptif du roman. Les répétitions un peu trop nombreuses soulignant la peur de l’héroïne semblent d’ailleurs répondre à une volonté d’augmenter la frayeur du lecteur – procédé inefficace alors que l’intérêt du roman est ailleurs.

On y découvre aussi des haines familiales, des mystères et surtout la découverte faite par l’héroïne de l’histoire de ce monde, des tensions qui y règnent et des rapports de force, dont certains sont des rapports de domination et d’asservissement. C’est un peu le chemin suivi dans un apprentissage lié à un milieu, qu’il soit familial ou étranger : on est sensible d’abord aux rites, aux côtés agréables, plus tard on comprend ce qui le fonde, son côté noir, mais aussi sa fragilité.

Comment faire partie d’un ensemble sans l’approuver totalement ? Comment prendre de la distance sans courir le risque de la rupture ? Toutes ces questions sont posées par cette maison qui interdit qu’on la quitte, mais parfois rejette au loin certains de ses membres, qui est le monde et la vie même, tout en étant un mensonge.

Le charme de ce lieu étonnant et poétique reste intact et l’on s’y promène avec ravissement, comme dans un jeu, heureux de découvrir de nouveaux bâtiments, de nouveaux recoins – fussent-ils des souterrains.

L’oiseau noir (La maison sans pareil, 1)

L’Oiseau noir (La Maison sans pareil, 1)
Elliot Skell
traduit (anglais) par Alice Marchand
Flammarion (grand format), 2012

Maison, douce maison?

Par Anne-Marie Mercier

lamaisonsanspareilLa thème de la maison en littérature de jeunesse mériterait une étude poussée – et pourquoi pas une thèse –, tant il est riche, surtout depuis quelques années. Il surprend par sa plasticité et sa richesse, de la maison qui s’envole, mais juste déplacée, du Magicien d’Oz (1900) à celle, beaucoup plus complexe, du Château de Hurle (1986, superbe roman de Diana Wynne Jones qui a inspiré Le Château ambulant de Murakami), aux maisons à géométrie variable de Coraline (2002) de Neil Gaiman et des Olivia Kidney d’Ellen Potter (publiés en français au Seuil, 2006, 2007), ou aux maisons ouvrant sur une infinité de mondes, dans la trilogie de Pierre Bottero (L’autre, 2006-2009), ou la maison fermée de celle d’Yves Grevet, (Méto, 2008-2009), dont le premier volume est intitulé « La maison »… On peut trouver de multiples raisons à la récurrence de ce thème : la maison est ce qui structure le dehors et le dedans, la famille et l’étranger, ce qui protège mais aussi ce qui cache : on y vit en famille, entre voisins, on s’y aime ou on se déteste, il y a des « cadavres dans les placards », des trappes, des caves et des greniers… La maison est sans doute le premier « monde » qu’un enfant explore, avec ses lieux réservés, espaces interdits ou dangereux, ses zones d’intimité et de collectivité, les lieux pour être ensemble et pour être seul.

La maison sans pareil, château bizarre et pseudo-gothique est presque une ville entourée d’une enceinte : tours, cours, couloirs et coursives, ailes abandonnées, jardins ou forêt intérieurs, rivière souterraine, parc… jusqu’au cimetière appelé le Champ des rêves. « Au delà des tours, des grandes salles, et des longues ailes des bâtiments occupés par les Capelan, il y avait encore d’autres tours, d’autres salles et d’autres ailes qui n’avaient jamais été habitées, et certains endroits bâtis par le Capitaine étaient encore des sortes de pays attendant d’être découverts. Il y avait des centaines, sinon des milliers de pièces dont on n’avait jamais ouvert la porte. »

Les Capelan, une famille devenue elle aussi tentaculaire l’habite depuis deux cents ans. On y vit en autarcie : la fortune léguée par le fondateur, le Capitaine, est si grande que chacun peut satisfaire tous ses désirs sans travailler, faisant venir de l’extérieur ce qu’il lui faut sans rien avoir à débourser. On s’occupe cependant : chacun développe un talent ou un goût qu’il a choisi (artisanat, inventions, sciences et littérature, collections…). Les Capelan adorent les fêtes et il y en a souvent. L’école, qui se déroule dans le Hall des inclinaisons (au lieu de « inclinations », erreur qui détermine l’architecture…) n’est pas obligatoire, mais tous les enfants y vont avec plaisir car les cours sont faits de façon très variée – ils portent d’ailleurs tous sur la Maison car aucun autre savoir n’est nécessaire. On y est gourmand aussi et des banquets délicieux se déroulent dans la Nef mauve ou dans le Hall des humeurs, immenses salles qui font penser au réfectoire de Harry Potter. Le service est assuré par les domestiques de la ville la plus proche qui s’est vidée de ses habitants au profit de la maison et eux mêmes se sont reproduits et occupent des fonctions héréditaires.

Personne ne sort de la Maison : pourquoi partir d’un lieu si parfait ? Mais parfois des personnes extérieures arrivent de loin pour épouser l’un des Capelan et y restent à tout jamais. Le début se rapproche d’un lieu utopique, parfait pour les citoyens à part entière. Mais bien vite, c’est la dystopie qui l’emporte, au moment de la mort du chef de la tribu, le « capitaine » (on devine qu’il a été assassiné) qui ne désigne pas de successeur affirmant : « Je suis mort, maintenant, alors je me fiche de ce qu’il va se passer. Je n’en ai jamais aimé un seul d’entre vous de toutes façons. » Dans ce temps d’incertitude quant à la légitimité du pouvoir, l’héroïne, Omnia Capelan, découvre par hasard des vérités cachées et sa curiosité (caractéristique étrange pour une Capelan) l’amène à explorer la Maison et son histoire, beaucoup plus noire qu’elle ne l’imaginait. Le roman devient alors une enquête policière labyrinthique et passionnante, sur fond de complot. Le côté sombre est souvent désamorcé par des scènes comiques, sans doute pour ménager les plus jeunes lecteurs qui auraient l’âge de l’héroïne (douze ans et quart), ce qui fait du roman un mélange un peu curieux : je partage l’avis de Sophie Pilaire dans Ricochet quant à la dispersion des effets tout en étant impressionnée par le monde inventé.

Les noms des personnages est une autre trouvaille : les noms des hommes commencent tous par Eter : Etergrand, Eterpiaf, Etersonge… ceux des femmes imitent le latin : Artésia, Basilica, Pedagogia… Et une question, posée deux fois à Omnia, propose une énigme : « est-ce le nom qui fait la personne ou la personne qui fait le nom ? » Question qui est ici davantage de l’ordre de la fabrique littéraire que de l’être. Vu le nom de l’héroïne (féminin pluriel de « tout » en latin, toute chose, toutes les choses) fait augurer pour elle un grand destin, à suivre dans les prochains volumes (le prochain est annoncé pour mars 2013).