Lettres à plumes et à poils

Lettres à plumes et à poil
Philippe Lechermeier et Delphine Perret

Thierry Magnier, 2011

Les liaisons dangereuses

 par Christine Moulin

plumes.jpgPour s’initier au genre épistolaire, cet ouvrage est parfait : la variété des tons et des registres fait merveille.

La première série de lettres, du renard à la poule, ne peut que ravir le lecteur grâce aux sous-entendus, à l’implicite et à l’élégante cruauté qui rappellent, toutes proportions gardées, ceux des maîtres du XVIIIème siècle. Le style, quelque peu suranné, sent son boudoir plus que sa basse-cour : « Pourtant, je vous en conjure, n’en faites rien ». « je sais qu’il ne sera pas facile de vous convaincre de la sincérité de mes intentions » : ne croirait-on pas entendre Valmont qui, lui aussi, en quelque sorte, aimait « croquer les poulettes » ?

« Les lettres de la fourmi à sa reine » opèrent un contraste saisissant. C’est une « simple fourmi de la fourmilière de la forêt » qui prend la plume pour exposer son problème à sa souveraine : « J’en ai assez de cette routine qui recommence chaque matin, trimballer des morceaux de macchabées  de scarabées ou des restes de sauterelles qui ont rendu l’âme, ça va cinq minutes mais là, ça commence à me courir sur le kiki, ça m’fout le bourdon, tout ça ». Saura-t-elle trouver le bien-être ?

A cela s’ajoutent de savoureux jeux sur les mots. Ainsi, les poulets sont, bien sûr, des gardiens de l’ordre à qui le corbeau écrit pour dénoncer tout ce qui le contrarie, dans un bel élan de fureur sécuritaire : « Le monde dans lequel on vit est de plus en plus dangereux, moi j’vous l’dis. On est plus [sic] en sécurité nulle part, la canaille vient vous trouver jusque dans votre foyer, crottedediou ! ».

Mais il n’y a pas que le style : les missives, telles des fables, débouchent souvent sur une « leçon » amère et drôle, tout à la fois, mais assez complexe pour susciter l’activité interprétative. L’aventure de l’escargot amoureux d’une limace en est un exemple terrible…

Les illustrations de Delphine Perret, croquées avec un crayon simple, mutin et tendre, ajoutent au charme de cet ouvrage.

Le Duc aime le dragon

Le Duc aime le dragon
Chun-Liang Yeh et Valérie Dumas

HongFei, 2011

Chengyu

par Christine Moulin

chun-liang yeh,valérie dumas,dragon,chine,fable,art,réalité,philosophie,christine moulinUn chengyu est une formule de quatre mots, une expression proverbiale porteuse de sagesse. Dans cet album, nous avons le droit à deux histoires, deux fables, qui illustrent deux chengyu, sur le thème des dragons. L’un, « Duc Ye aime le dragon », nous parle de l’opposition entre l’image que nous nous faisons de quelque chose et ce qu’elle est vraiment; l’autre, « peindre la pupille sur l’oeil du dragon », nous parle de la puissance de l’art, du risque que doivent savoir prendre les génies; les deux réfléchissant aux rapports entre le réel et sa représentation.

Dans notre époque qui privilégie les illusions de l’apparence, qui nous pousse parfois à nous laisser nous aveugler par la séduction de nos chimères, mais qui en même temps foule aux pieds la grandeur de l’art et de la culture, leur refuse toute efficacité, tout poids concret dans nos vies, nous avons besoin de cette philosophie décalée dans le temps et dans l’espace, de sa fausse simplicité, du message qu’elle nous apporte, qui retentit en nous, une fois le livre refermé. Les illustrations riches, colorées, drôles parfois, participent de ce dépaysement salvateur.

C’est avec ce genre de lecture que l’on expérimente ce que c’est que de s’enrichir au contact d’une autre culture et en quoi il est vital de permettre aux civilisations de se rencontrer.