Devine qui est là ?

Devine qui est là ?
Beau Gardner
(Les Grandes Personnes) 2023

Bestiaire surprise

Par Michel Driol

Sur la page de droite, une illustration en couleurs lumineuses représentant une partie d’un animal. On tourne la page, et le voilà, tout entier, en noir sur fond gris.

Cet album paru il y a près de 40 ans aux Etats Unis arrive en France. C’est un imagier qui fait appel à la reconnaissance des formes, et à sa connaissance du monde des animaux. Si certains sont faciles à identifier (les cuisses de la grenouille, les deux bosses du chameau, l’aileron du requin) d’autres jouent sur la surprise (les pis de la vache, les « poils » du porc-épic), voire sont trompeurs (ce que l’on prenait pour une main au bout d’une manche est la langue d’un fourmilier !). Tout cela est très graphique (des formes, les lignes, des courbes très design), d’une seule couleur sur un fond uni. Rien de « naturel » dans cette représentation du monde. Beau Gardner propose donc de regarder les choses autrement, d’en saisir des fragments, de s’interroger sur leur place, leur sens… C’est un jeu avec les formes, un jeu de l’esprit pour les petits, mais aussi pour les grands !

Le livre-jeu fascinant d’un expert en design fasciné par les formes et les couleurs !

Histoire en morceaux

Histoire en morceaux
Almuneda Pano
Versant Sud 2021

Tout est toujours à recoller du monde

Par Michel Driol

Malgré l’interdiction, la narratrice joue au foot dans la maison et casse le vase préféré de sa mère. Cette dernière console sa fille, et lui indique qu’elles vont le recoller toutes les deux. Et c’est comme si les dessins du vase racontaient une histoire, qui conduit la fillette à se demander si tout ne raconte pas une histoire…

Le schéma est bien connu : ce sont les conséquences d’une transgression des règles que raconte cet album.  Avec subtilité, il évoque les conséquences psychologiques de cet acte, la peine ressentie par la fillette, plus troublée d’avoir fait involontairement du mal à sa mère que par le fait d’avoir cassé le vase, sa crainte, sa culpabilité, et la mère, qui montre une réelle affection pour sa fille, en la consolant. Pas de colère, pas de cris, pas de remontrances. Il convient désormais d’aller de l’avant, de réparer ce qui peut l’être, comme une belle leçon de vie. Il s’agit d’accepter les accidents de parcours, qui font partie de la vie, et inscrivent l’histoire dans les objets. Car c’est peut-être cette deuxième lecture qui est aussi intéressante que la première. Dès le titre, histoire en morceaux, il est question de récit, de récit fragmentaire, qui reste à recomposer. Ce nouveau récit que raconte le vase, fruit d’une nouvelle histoire, la sienne et celle des personnages de l’histoire, n’est-il pas à l’image des multiples récits embryonnaires que peut raconter le chemin de l’école ? En d’autres termes, tout n’est-il pas signe, signe d’une histoire à écouter, à déchiffrer, à se raconter, comme ces hirondelles de la dernière page qui annoncent le printemps ? L’album s’inscrit dans une temporalité qui va de l’hiver au printemps, montrée avec subtilité par les illustrations représentant le jardin et les plantes, comme signes d’une histoire de renaissance. En double page, les illustrations presque minimalistes, disent le désarroi de la fillette, le caractère très zen de la mère, et font se succéder, de manière très significative, les morceaux du vase avec les poses de la fillette, elle aussi en morceaux.

Un album touchant qui dit la nécessité de voir les choses sous un autre angle, de tenter de reconstruire le monde à partir de tous les fragments qu’on peut en percevoir.