La décision

La décision
Isabelle Pandazopoulos
Gallimard jeunesse, Scripto, 2013

Genèse d’un abandon

Par Caroline Scandale

la décisionLouise, brillante élève de Terminale, demande à sortir de son cours de mathématiques. Elle accouche quelques instants plus tard, dans les toilettes du lycée… Elle ne se savait pas enceinte.

Louise est un personnage assez énigmatique et finalement peu attachant. Hormis qu’elle est une fille belle et intelligente à qui toutes les filles rêvent de ressembler et avec qui les garçons veulent sortir, on ne sait pas grand chose d’elle… Louise se livre peu. Désincarnée, elle pense qu’elle n’est qu’une image, une illusion… Une vie a poussé en douce dans son ventre. Comment cela a-t-il pu arriver?

La réponse est à la fois simple et tragique… Elle a été victime de la drogue du violeur. Dans ce contexte là, comment créer un lien maternel avec son bébé? Elle ne l’a pas désiré, ne l’a psychiquement pas porté ni accouché, son cerveau ayant poussé le déni au point de lui faire perdre connaissance au moment de le mettre au monde?

Dès lors la décision de le confier à l’adoption ou non est déjà prise… Le foyer des mères-filles, les tentatives de prendre ses responsabilités de maman et de se rapprocher affectivement de son enfant sont vouées à l’échec… Si on ne nait pas mère, on ne le devient pas forcément non plus.

Un livre pudique pour un sujet hautement tabou, qui brise le mythe de l’instinct maternel quitte à bousculer les convenances et à mettre mal à l’aise. Les récits entremêlés des acteurs du drame et la voix de Louise qui tarde à se faire connaître sont autant d’éléments distanciateurs qui permettent au lecteur de prendre un peu de recul face à sa souffrance, et à celle du petit Noé, qu’on imagine abyssale.

On peut rapprocher ce récit douloureux du roman graphique de Rascal, Angie M, paru chez l’édune, confrontant un policier silencieux et une jeune fille mutique autour d’un cas d’infanticide.

Kill all enemies

Kill all enemies
Melvin Burgess
Gallimard jeunesse (scripto), 2012

Metallica comme un havre de paix

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord Billie qui prend la parole. Le lecteur francophone met un peu de temps à comprendre que ce personnage violent est une fille. En décrochage scolaire, placée en foyer, elle vit sa dernière chance avant le centre fermé pour adolescents. Puis c’est au tour de Rob, un garçon un peu trop enveloppé, qui adore sa mère, est martyrisée par son beau-père et par les autres élèves de son collège. Il n’a qu’une passion dans la vie, la musique « metal ». Chris à une vie plus normale, il vit avec un père et une mère aimants et soucieux de son avenir mais il refuse depuis plusieurs années de rendre des devoirs écrits. Ces trois adolescents en échec scolaire vivent tout au long du roman des événements de plus en plus graves qui les conduisent à se retrouver ensemble dans un centre ouvert pour adolescents difficiles. A ces points de vue alternés qui se succèdent d’un chapitre à l’autre s’ajoute celui d’une éducatrice qui suit Billie depuis longtemps; sa perspicacité lui permet de comprendre ce que vivent les deux garçons alors que leur entourage est aveugle. D’abord ennemis, les trois adolescents s’unissent enfin pour un happy end dans lequel la musique « metal » joue un grand rôle, celle du groupe dont le nom a donné le titre du livre.

Melvin Burgess, connu pour ses romans qui dépeignent de façon crue les excès adolescents, a enquêté dans un centre pour élèves délinquants exclus de leurs établissements scolaires (voir son blog) et il propose une vision de l’école assez manichéenne : le collège des trois adolescents est incapable de les prendre en charge, méconnaît totalement la situation familiale dans laquelle ils se trouvent, ou, dans le cas de Chris, ne peut pas diagnostiquer la raison de son refus de l’écrit. À l’inverse, les éducateurs du centre sont présentés comme des professionnels dévoués, soucieux de rester des professionnels tout en développant pour ces enfants perdus une réelle affection.Sur son site, l’auteur explique qu’il a découvert dans cette enquête que ces adolescents n’étaient pas des losers mais des héros : ils ont d’autres soucis que ceux de l’école, des soucis graves, et sont pénalisés pour cela au lieu d’être aidés.

Entre violences scolaires et violences familiales – aussi bien psychiques que physiques – les personnages se débattent et se battent, ou sont battus. Ils sont des êtres désemparés qui s’accrochent à la moindre lueur d’espoir. Le paradoxe est que c’est un groupe de musique « métal » qui s’avérera être un lieu de douceur, de respect et de courtoisie. Le roman est un puzzle qui se construit peu à peu, entre terreur et errance, c’est un tableau dur et bouleversant d’adolescents en crise, malmenés par la vie.