Mon corps, le squelette et moi

Mon corps, le squelette et moi
Sandrine Bonini, Elise Follin
Sarbacane, 2023

Une plongée dans le corps humain entre fiction et documentaire

Par Edith Pompidou-Séjourné

Cet album nous invite à accompagner Maya dans une incroyable plongée à l’intérieur de son corps. Et, si le titre nous laisse croire qu’elle, son corps et le squelette sont trois entités différentes, nous nous rendrons vite compte qu’ils s’entremêlent et ne forment qu’un. Une fracture du poignet causée par une chute en skate et le passage d’une radio servent d’éléments déclencheurs au questionnement de la petite fille sur le fonctionnement des différents éléments de son corps. La nuit suivante, elle rêve d’un étrange petit squelette, qui n’est autre que son mini-moi, et qui, en lui permettant de devenir microscopique, l’invite à pénétrer à l’intérieur d’elle par sa narine gauche. Les illustrations détaillées et colorées sont assez réalistes et envahissent alors la double page : le lecteur est ainsi pris dans cet univers foisonnant et il a l’impression de participer au voyage. Après un passage à travers un tunnel aux teintes rosées où s’enchevêtrent différentes alvéoles qui symbolisent sans doute les voies respiratoires et débouchent aux poumons, et un arrêt déterminant dans le cœur laissant deviner les échanges gazeux et sanguins qui s’y déroulent, Maya et le squelette se retrouvent dans, ce qu’un lecteur averti identifiera comme du liquide stomacal : sorte d’étrange piscine jaunâtre où tous deux se baignent avec les aliments de son dîner. Elle est ensuite entraînée à travers les intestins, perd le mini-squelette mais découvre une flore luxuriante qui l’effraie un peu. Heureusement, celle qu’on devine être la vésicule biliaire et qui malgré ses tentacules, paraît douce et rassurante, lui montre le chemin. Mais pour retrouver son squelette, elle doit descendre dans un précipice, les couleurs chaudes des illustrations disparaissent et tout devient sombre… On se croirait la nuit et de nombreuses petites bêtes que l’on pourrait assimiler au microbiote intestinal en profitent pour faire la fête, alors Maya n’a pas peur et continue de descendre. Pourtant, il fait de plus en plus sombre et on comprend qu’on se rapproche du bas du tube digestif : le squelette est tombé avec toutes sortes de créatures prêtes à être rejetées avec les excréments et il s’est fracturé le poignet gauche, comme Maya. Tout ce petit monde aide Maya à sauver le squelette. Il faut le remonter jusqu’à la gorge pour le mettre en sécurité en évitant qu’il soit évacué comme un vulgaire déchet : elle utilise un noyau et quelques chewing-gums, qu’elle a avalés quelque temps auparavant et qui lui servent de civière et de cordes. Maya peut alors s’en aller en laissant son squelette se rétablir sans danger… Son rêve est terminé, c’est le matin, elle est à nouveau dans sa chambre, sa maman ne comprend pas vraiment l’expédition racontée par sa fille mais elle est satisfaite que celle-ci semble mieux accepter sa convalescence que la veille.
Ce parcours ludique de la petite fille donne une première cartographie intéressante du corps humain. Il rappellera sans doute aux adultes les dessins animés de Il était une fois… la vie, diffusés par France Télévision depuis la fin des années 80. Les images sont très suggestives mais sans connaissance préalable, il paraît difficile de se repérer et le voyage de Maya pourrait alors ressembler à de la science-fiction. Il est ainsi, peut-être regrettable, de ne pas trouver dans l’album une partie plus documentaire avec des explications scientifiques qui l’illustreraient et permettraient une meilleure compréhension de l’architecture et du fonctionnement des organes représentés et rarement définis.

Au Temps des Cerises

Au Temps des Cerises
France Quatrome – Elsa Oriol
Utopique 2018

C’est de ce temps-là que je garde au coeur une plaie ouverte

Par Michel Driol

Autrefois, Clotilde et sa maman se promenaient, cueillaient des cerises, jouaient ensemble. C’était avant la maladie de maman, qui lui fait mal au sein et lui fait perdre ses cheveux. Passent l’automne et l’hiver, qui semble sans fin. Au printemps, le cerisier se recouvre de bourgeons, puis de fleurs. Maman reprend des forces, elle aussi, et, avec Clotilde, va enterrer les restes du monstre au cœur de pierre. Crachant les noyaux des cerises, elles imaginent la forêt de cerisiers qu’elles verront un jour…

On le voit, le thème est sérieux et lourd, comme souvent dans les ouvrages des éditions Utopique. Comment parler aux enfants de la maladie, du cancer qui touche leurs parents, sans dramatiser, mais aussi sans édulcorer ce qu’il y a de souffrance destructrice. Cet album  parvient à la faire avec tendresse et pudeur, sans hésiter à nommer ou montrer les choses (le cancer, la perte des cheveux, la perruque, la fatigue, le dégout qu’inspire la nourriture).  Le texte sait utiliser des formes poétiques pour parler du temps passé. L’anaphore « d’habitude » et l’imparfait qui ouvrent l’album disent, à eux-seuls, la rupture dans la vie introduite par quelque chose qu’on découvrira en son temps, lorsque le texte dira l’aujourd’hui de la maladie, dans un présent qui semble sans fin, et laisse parfois la place à un conditionnel  ou un futur  qui semblent bien hypothétiques. Puis aujourd’hui laisse la place à un futur plein de promesse. Le cerisier devient comme une métaphore de la maladie et de la guérison, dans un cycle où le temps s’écoule à son rythme. Et c’est l’un des grands mérites de cet album de rendre perceptible la durée. Autre grand mérite, montrer la famille unie dans des saynètes pleines d’émotion autour de la nourriture, des attitudes du père envers la mère, de la complicité des choses qu’on peut encore faire ensemble (le yoga ou la route vers l’école).

Les illustrations en double page accompagnent à merveille ce texte : les couleurs chaudes du début, évoquant les moments passés et le bonheur, laissent place à des couleurs plus froides qui se réchaufferont à la fin. On suivra en particulier la façon dont une touche rouge dans chaque image, rappelle ce motif des cerises, tandis que la mère est presque toujours vêtue de bleu. Rien de trop dans ces images, qui suggèrent parfois plus qu’elles ne montrent, et  s’attachent sur les liens familiaux portés par les corps, les attitudes et surtout les visages pleins d’expressivité.

Un album qui est loin d’être un médicament, et qui, au travers de la parabole du cerisier, dit, avec beaucoup de retenue, dans une langue poétique, le lent chemin à parcourir vers la guérison tant espérée.