Moi, Gisèle

Moi, Gisèle
Sandrine Bonini avec Annick Cojean
Grasset, 2024

Manifeste pour le 8 mars

A première vue, on aurait pu croire que cette Gisèle allait retrouver la cohorte des pestes et des rebelles que la littérature de jeunesse aime bien (Lotta d’A. Lindgren, Eloïse de K. Thompson, Zelda de M. van Zeveren…). Comme dans Les Malheurs de Sophie, son portrait est dressé en saynètes, chacune dotée d’un titre (L’injustice, La grève, L’oranger, La Kahena…) qui la montrent dans son milieu familial, dialoguant avec des parents consternés.
Gisèle se révolte devant le fait que ses frères n’ont pas à aider aux tâches ménagères, elle refuse de boire son lait et le verse en cachette au pied d’un oranger, elle s’identifie à son héroïne, une guerrière berbère, elle n’aime pas les bisous imposés, elle s’interroge sur la réalité des châtiments divins réservés aux enfants désobéissants…
Très vite, on comprend que le propos est sérieux et porte sur la condition des femmes : elle constate du haut de ses neuf ans que les femmes sont exposées à la honte sans avoir rien fait pour le mériter, que faute d’indépendance elles dépendent du bon vouloir de leur mari, même pour nourrir leurs enfants. Gisèle croit en l’éducation, elle décide de lire tout ce qu’elle trouve à la bibliothèque, d’apprendre, de gagner sa vie, de ne pas se marier, peut-être, d’être libre sûrement, d’être égoïste, mais aussi de pouvoir aider les autres à se libérer : en devenant avocate, quelle bonne idée ! et en devenant Gisèle Halimi, bien sûr.
C’est l’enfance de Gisèle Halimi qui fait la trame de cette histoire. Elle est résumée en fin d’album par Annick Cojean, journaliste au Monde et autrice de Gisèle Halimi. Une farouche liberté (2020, Grasset), disponible en Livre de poche.
Cette enfance avait tout pour devenir un modèle pour des enfants d’aujourd’hui, comme la Kahina l’avait été pour la petite Gisèle. Les dessins de Sandrine Bonini accompagnent à merveille le ton rageur des propos de la fillette, bien campée dans ses convictions, cheveux roux en bataille sur une sage robe à col Claudine.

Chacun son tour !

Chacun son tour !
Marianne Dubuc
Saltimbanque 2023

Prendre son envol

Par Michel Driol

Quatre amis, Souris, Ours, Tortue et Lapin découvrent un œuf et décident de le garder chez eux, chacun son tour. L’œuf, choyé par tous, éclot et donne naissance à Petit Oiseau qui sera bien accueilli par les quatre amis. Mais, un jour, il disparait, se construit une maison, y invite les quatre amis, et leur pose la question de son nom…

Cet album prend la forme d’une bande dessinée, soit avec quatre vignettes par page, soit en pleine page. On retrouve tous les codes de la bande dessinée adaptés ici aux plus jeunes lecteurs, ainsi qu’un découpage en chapitres correspondant à l’espace et au temps qui passe. Le vocabulaire simple, le graphisme particulièrement clair en font un album de bande dessinée particulièrement lisible.

L’album, avec tendresse et douceur, parle d’amitié, d’accueil, de naissance, d’éducation et d’autonomie. Amitié et bienveillance qui sont les caractéristiques essentielles des quatre amis, unis malgré leurs différences montrées de façon très visuelle dans l’intérieur de leurs maisons, qui correspondent à leurs passe-temps ou à leurs gouts. Pas de dispute lorsqu’ils découvrent l’œuf et décident de le garder, chacun son tour, sans bien savoir à quoi ils s’engagent… Cet œuf a quelques propriétés remarquables : il parle, dit ses besoins (de chaleur) tout comme l’oiseau dira les siens, dictant ainsi leur comportement à ses « parents » adoptifs. Ces derniers se mettent en quatre pour lui : Souris coupe un bout de sa couverture, Lièvre lui ouvre grandes ses réserves. Une fois les premiers besoins (de nourriture) satisfaits, Petit Oiseau a besoin de s’ouvrir au monde de l’imaginaire et des histoires. Et c’est enfin la prise d’autonomie : il n’a plus besoin des quatre amis, devient indépendant. Beau chapitre très touchant dans lequel s’opposent ce désir d’indépendance et les réticences des « parents », qui le trouvent trop petit. L’invitation, et les illustrations de l’intérieur de la maison de Petit Oiseau qui montrent aux murs les portraits des quatre amis, sont comme une belle façon de montrer ce lien filial qui existe entre eux.  Cela pourrait s’arrêter là, mais Petit Oiseau pose la question de son nom et de celui des quatre amis. Ils se nomment par leur espèce. – Pourquoi t’appelles-tu tortue ? – Parce que je suis une tortue… C’est toute la question de l’identité qu’il pose alors, conduisant ses ainés à réfléchir sur eux-mêmes. Belle façon aussi de montrer que chacun a quelque chose à apprendre de l’autre, et que les plus jeunes peuvent aussi faire bouger les choses.

Un album dont les personnages sont représentés de façon anthropomorphe, avec un Petit Oiseau craquant à souhait, tout en duvet jaune. Les intérieurs des maisons sont remplis d’une multitude de détails (photos, bibelots, œuvres d’art…) qui invitent le lecteur à s’attarder sur chaque case… Légèreté du texte, légèreté de l’illustration aux couleurs pastel, tout est là pour contribuer à la réussite de cet album qui évoque, avec sensibilité et d’amour, toute une période de la vie qui va de la gestation d’un enfant à son besoin d’affirmer son indépendance. Tout cela de façon oblique, avec quelques animaux bien sympathiques et empathiques, et sans grandes phrases… Car chacun son tour, c’est évidemment la question de la succession des générations que pose cet album.

Ulysse 15

Ulysse 15
Christine Avel
L’école des loisirs (« neuf poche »), 2018

Partir, rester ?

Par Anne-Marie Mercier

Le héros s’appelle Ulysse, mais il n’a rien du héros, malgré les désirs de ses parents hyper actifs et amoureux de voyages. Ce petit roman raconte pourquoi et comment il est contraint de sortir de son apathie – et de sa coquille : son chat a disparu et il parcourt le quartier à sa recherche, interrogeant les uns, espionnant les autres, affrontant la bande qui le terrifie, se faisant des amis, etc. Jolie histoire : donnera-t-elle des idées à ceux qui sont plus amoureux des livres que du dehors ? En tout cas, le chat donne l’exemple.