Celui qui n’aimait pas lire

Celui qui n’aimait pas lire
Mikaël Ollivier
De La Martinière jeunesse, 2023

Un voyage intime à travers la lecture

Par Loick Blanc

Plongeant dans les méandres de sa jeunesse, l’auteur nous emmène dans ce récit autobiographique derrière lequel se cache le prétexte d’une romance, d’un roman « de gare » où l’attend un train en partance pour un salon du roman policier, et à bord duquel l’attend celle qui deviendra sa femme.C’est une lecture qui parle de la lecture.
Dès la couverture, cette mise en abyme est illustrée par l’image d’un livre dont la 4eme de couverture apparaît également sur celle de notre ouvrage. La mise en avant typographique du « Pas » dans le titre, conjuguée à la représentation de ce jeune garçon, qui semble être au coin, contre cette couverture de livre, mettent en avant ce désintérêt pour la lecture, activité qui est pour lui une punition. Cependant, l’emploi de l’imparfait suggère une évolution en gestation, prélude à un récit où se dessine la métamorphose de cet enfant récalcitrant.
Ce livre se révèle ainsi comme une ode à la lecture, parsemée de références littéraires, retraçant le cheminement d’un enfant qui n’aimait pas lire. Ce qui peut ne pas sembler pas si étonnant que cela finalement… L’auteur dépeint les contours de ce parcours de jeunesse qui l’a finalement conduit à trouver l’amour: celui de la lecture mais aussi celui de sa femme, mettant alors en avant le fait que la lecture peut bouleverser une vie de bien des manières.
Mais ce livre, c’est aussi une œuvre qui déculpabilise les lecteurs qui seraient dans la même situation que cet enfant. En effet, un auteur peut avoir eu un parcours scolaire difficile ou un rapport à la lecture complexe, bien loin de ce que l’on peut imaginer en lisant bon nombre de classiques scolaires. Alors, on réalise que si l’on a du mal à éprouver du plaisir à lire, ce n’est pas une fatalité ; ce n’est peut-être qu’une étape dans la construction de son parcours de lecteur. Il n’y a pas d’âge pour développer un  goût particulier pour la lecture.
C’est donc un livre à mettre entre les mains de ceux qui n’aiment pas (ou pas encore) lire, leur offrant un miroir dans la description du  jeune Mikaël Ollivier, personnage attachant, afin de les rassurer et de leur faire comprendre qu’un jour les graines plantées peuvent finir par germer et faire éclore cet attrait pour la lecture. Il peut aussi intéresser ceux qui aiment lire et qui voudraient faire aimer lire, leur rappelant le processus de construction du lecteur qu’ils sont devenus pour les aider à mieux accompagner ceux qui sont en devenir.

 

Éditions La cabane bleue

Editions La cabane bleue

Écologie en paroles, en images et en actes

Par Anne-Marie Mercier

« La cabane bleue publie des livres pour sensibiliser les enfants à la protection de la planète, dans une démarche 100 % écoresponsable ».
Elle a été co-fondée par Sarah Hamon (qui a travaillé chez Fleurus et Mango Jeunesse) et par Angéla Léry (qui « a exercé (presque) tous les métiers de la chaîne du livre, pour finalement co-fonder La cabane bleue et y insuffler ses convictions écologiques. Elle travaille également pour Gulf Stream Éditeur »).
Les documentaires et « docu-fictions » parlent d’écologie, mais aussi d’ouverture au monde, aux cultures et à la nature, de la flore et de la faune, qui sont autant objets de découvertes et d’émerveillement que de soins.

Charles et moi
Emmanuelle Grundmann, Giulia Vetri
La cabane bleue (« Mon humain et moi » ), 2019

« Charles », c’est Charles Darwin. « Moi », c’est la narratrice, une jolie petite pieuvre qu’il a trouvée au Cap vert et ramenée en Europe. D’après l’histoire, il l’appelle Aglaé ; elle évolue dans un bocal sur son bureau et l’observe en train de réfléchir, de dessiner et d’écrire (elle lui donne un peu de son encre, sympa, la pieuvre!); elle raconte la vie du savant navigateur. Le moment de sa découverte qui l’amènera à la rédaction de L’Origine des espèces est un des temps forts du récit. Il se clôt sur une évocation poétique de voyages, de notoriété et de longue amitié.. enfin, dans un bocal.
Tout cela est joliment écrit, esquissé et peint, dans une maquette aérée qui laisse respirer textes et images. L’évocation de l’histoire à travers le point de vue d’un animal est aussi une belle idée, déclinée déjà dans trois volumes de la collection « Mon humain et moi » : Mozart vu par un étourneau, Joséphine Baker vue par son guépard… Ils sont tous écrits par Emmanuelle Grundmann, avec différentes illustratrices, choisies pour leurs styles très différents et bien adaptés à chaque univers.
Fabriqué en France, éco-conçu, équitable… l’album a toutes les qualités pour être en adéquation avec le projet des éditrices ; et en plus il a été publié grâce à une campagne de financement participatif. Décidément, La Cabane bleue propose de nombreux éléments pour une nouvelle conception de la « petite édition ».

L’Abeille
Benoit Broyart, Suzy Vergez
La cabane bleue (« Suis du doigt » ), 2019

La ruche, la reine, les faux-bourdons, les ouvrières… on accompagne chacun en suivant l’une des lignes de pointillés sur le fond blanc de la page, tachetée des petits corps jaunes des mini héros et surtout héroïnes. La pollinisation, le langage dansé, les différentes espèces d’abeilles dites « sauvages » ne produisant pas de miel… mais aussi les maladies apportées par des espèces étrangères invasives, les insecticides tueurs, les différents types de ruches…, sous une allure simple et joueuse, c’est une vraie mini encyclopédie qui invite à poursuivre l’enquête une fois l’hiver arrivé et le livre fini, et même à agir, avec la référence à des associations, comme « Un toit pour les abeilles » qui propose de parrainer une ruche : le livre fermé, l’aventure continue !
Dans la même collection, on trouve l’ours polaire, la tortue de mer, le hérisson, l’éléphant, le loup, la chauve-souris, et… les plantes.

Le Bain de huit heures

Le Bain de huit heures
Nina Blanchot
Tsarines, 2022

Le héros de huit heures (le/la prof)

Par Anne-Marie Mercier

Après l’ouvrage de Sarah Alami publié chez le même éditeur (Tsarines), Comment lire de vieux textes avec de jeunes élèves ?, qui proposait des séquences de français, voilà l’éditrice elle-même qui prend la parole, pour dire autrement son expérience du métier de « prof de français » (ou de lettres…).
Dans un roman graphique beau, coloré et inventif, jouant de manière variée avec les cadres, rythmé, elle raconte des fragments de sa vie de prof : le cauchemar qui lui vient en fin d’été, au moment où la rentrée approche, le souvenir de son premier cours, l’allure de sa première année, les moments marquants, les échecs cuisants et les probables réussites. Le dessin mêle portraits et décors à grands traits et figures inventées : oiseaux de malheur, sourires flottants… Les dispositions labyrinthiques, les flous, les explosions, toutes sortes d’événements graphiques donnent à cette vie une présence. C’est un réel vécu et senti, éprouvé, que nous sommes invités à visiter.
Le discours est plein de modestie : l’autrice ne se présente pas comme une héroïne du savoir (de très belles réflexions sur la connaissance, représentée comme un cachalot), ni de la pédagogie, ni comme une martyre de la cause. Elle se met parfois en accusation ; à d’autres moments, discrètement, elle s’interroge sur l’institution.
Le ton reste léger. Les dialogues de la débutante avec son compagnon en fin de journée sont drôles et grinçants dans le décalage qu’ils suggèrent. L’espoir d’avoir semé quelque chose fait tenir debout, comme les rencontres avec les ami/es, l’humour, et l’amour de la poésie.
Le livre s’achève en glorification, timide mais réelle, de ces combattant/es du quotidien : « prof : la routine héroïque ».

 

 

 

 

Le Carnet du dessinateur

Le Carnet du dessinateur
Mohieddine Ellabbad
Le Port a jauni, 2018

Petite leçon sur les images, d’ailleurs et d’ici

Par Anne-Marie Mercier

Mohieddine Ellabbad (1940-2010), illustrateur égyptien célèbre dans le monde arabe, est ici présenté aux lecteurs francophones à travers un album publié dans deux langues, arabe et français. Son Carnet du dessinateur, « autobiographie graphique de ses sources d’inspirations », est, à la manière du « Je me souviens » de Pérec, un parcours à travers les images qu’un habitant du Caire pouvait voir au milieu du XXe siècle : illustrations de livres pour enfants orientaux ou occidentaux, billets de banque, timbres, cartes postales, calligraphies… Sur ce terreau il a  développé un regard critique et une pratique artistique longue sur laquelle il porte un regard amusé et modeste.
L’album, au format allongé et étroit, se lit de droite à gauche (on commence par la « fin »), et les deux versions encadrent les images, de manière variée. Beau livre, imprimé sur papier fort, avec des couleurs éclatantes, il rend justice à un maître. Il nourrit la réflexion sur le pouvoir des images, sur leur circulation, sur la rencontre de cultures populaires ou savantes de mondes que bien des choses oppose, mais que l’amour de la beauté réunit.

Le Port a jauni a publié un autre ouvrage de cet artiste, dans le même format : Petite histoire de la calligraphie arabe, recensé sur lietje par Michel Driol.

 

ethel & ernest

ethel & ernest
Raymond Briggs
Grasset jeunesse, 2019

 

« Le tourbillon de la vie »

Par Anne-Marie Mercier

Éthel et Ernest sont d’abord un couple d’amoureux touchant. Elle est femme de chambre, lui livreur de lait ; ils se rencontrent avant la deuxième guerre mondiale (plus précisément, en 1928 – le livre donne régulièrement des dates précises) ; ils se marient, achètent une petite maison en brique avec un jardinet. Ils ont un enfant, Raymond, l’auteur de cette BD, qui livre ici à travers le portrait de ses parents une autobiographie indirecte.
Éthel et Ernest écoutent la BBC (on est en Angleterre), ils s’inquiètent de l’attitude de l’Allemagne, et illustrent la vie quotidienne des Anglais pendant la deuxième guerre mondiale : ils voient leur fils partir à la campagne pour éviter les bombardements, leur maison est touchée par une bombe ; Ernest construit des abris anti-aériens dans le jardin, il devient pompier pour aider les victimes, tous deux sont effarés par l’annonce de l’explosion de la bombe d’Hiroshima.

Ils se disputent un peu à propos de politique (lui est travailliste, elle aime bien Monsieur Churchill), et à propos des évolutions de la modernité (lui croit au progrès et s’enthousiasme pour les changements, elle a des doutes : une page très drôle montre leur dialogue sur la mode de la mini-jupe, une autre sur le premier homme sur la lune, ou sur le téléphone, la légalisation de l’homosexualité). Une machine à laver entre dans leur maisonnette, puis une télévision ; Raymond achète une voiture, Éthel obtient un emploi dans un bureau, son rêve ultime. Ils meurent la même année, en 1971, au moment où l’Angleterre adopte le système décimal.

Le regard porté sur le couple est celui, tendre et parfois agacé, de leur fils. Sa propre vie est esquissée pour montrer le caractère de ses parents, notamment de sa mère, fière de voir son fils faire des études, déçue qu’il ne soit pas officier quand il fait son service militaire – et la guerre de Corée. Elle s’inquiète , comme Ernest, lorsqu’il s’oriente vers des études d’art qui n’amènent pas selon eux à un vrai métier ; il sont rassurés quand il devient professeur (un métier « plus normal »). Elle a toute la dignité d’une femme du peuple qui refuse la vulgarité et le laisser-aller (elle reprend Raymond sur son langage, ne s’habitue pas aux cheveux longs de son fils, ni à sa camionnette) et se préoccupe du regard des voisins. Elle a toute la rigidité qui va avec cette posture, parfois insuportable. Mais malgré ce qu’on devine des tensions entre son fils et elle, le regard porté sur elle comme sur son mari reste tendre et amusé, parfois pathétique au moment de sa mort et de celle d’Ernest, qui la suit de près.

On retrouve l’art de l’auteur du merveilleux Bonhomme de neige, de Lili et l’ours, ou de Sacré Père Noël. Le récit fait alterner de petites vignettes carrées et d’autres plus grandes, ou des pleines pages, présentant tantôt une adhésion au monde, un élan, tantôt un retrait, une absence, ou un enfermement. Presque partout, les dialogues dominent (dans le cas contraire, cela fait sens) et les paroles débordent des cadres. Le dessin et les couleurs, globalement réalistes, s’affranchissent de cette esthétique dans certaines scènes, au profit de l’émotion.
ethel & ernest est à la fois une réflexion sur l’époque (1928-1971), sur la manière d’affronter les épreuves et de vivre les changements, mais surtout une belle et admirable histoire d’amour, aussi bien l’amour qui unit le couple que celui que l’auteur a pour ses parents. La réédition de ce texte, paru en langue anglaise en 1998, est une belle initiative des éditions Grasset qui republient par ailleurs de nombreux classiques. Un film d’animation en a été tiré, réalisé par Roger Mainwood et sorti en 2016.

Le Noir de la nuit

Le Noir de la nuit
Chris Hadfield et Kate Fillion, The fan Brothers (ill.)
Traduction (anglais) d’ilona Meyer
Edition des éléphants, 2016

« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie »… (B. Pascal)

Par Anne-Marie Mercier

On a souvent de mauvaises surprises quand on ouvre un album signé par une « célébrité »,  vedette de la chanson ou du cinéma, de la politique ou du sport… Ici, la première surprise (quoique…) c’est que l’histoire est signée par un astronaute, Chris Hadfield, un peu aidé sans doute par Kate Fillion, dont le nom ne figure pas sur la couverture. La deuxième, c’est que le résultat est très réussi, combinant autobiographie et fantaisie.

Du côté de l’autobiographie, on nous montre le jeune Chris possédé à la fois par une passion de l’espace et par des terreurs nocturnes. Le dénouement associe ces deux éléments, le jour où il voit à la télévision Neil Armstrong et la mission Apollo 11 se poser sur la lune : il deviendra pilote et il se souviendra que rien n’est aussi noir que le noir de l’espace. Des photos en fin d’album montrent la cohérence de ces vies.

Le côté fantaisie est assuré par les illustrations, belles, drôles, rêveuses, qui évoquent tout à la fois un imaginaire de l’espace, comme dans les Tintin et les Caroline, et le monde de la nuit, rassurant par la représentation des parents, de la maison, du chien, inquiétant par les ombres qui prennent des allures d’extraterrestres et évoquent certaines créatures d’Ungerer ou de Sendak. L’infini des rêves et de l’espace se combinent pour faire rêver celui qui oublie d’avoir peur.

Billie H.

Billie H.
Louis Atangana
Rouergue, 2014

L’enfance du Jazz

Par Anne-Marie Mercier

Billie H. c’est Eleanora Holiday, pas encore devenue la Billie Holiday que l’on connait ; elle ne le devient qu’à la fin du livre, repérée dans un club par celui qui lui fait enregistrer son premier disque pour la Columbia, John Hammond. Le récit de Louis Atanga, fondé sur des biographies de la chanteuse retrace l’enfance d’une adolescente noire et pauvre, à Baltimore, puis New York, en lui donnant un fil conducteur classique en littérature de jeunesse, la quête du père : musicien, il les a abandonnées et a « refait » sa vie après avoir goûté à la liberté à Paris, pendant la guerre de 14-18.

C’est aussi – et c’est un aspect  plus intéressant du récit–, le portrait de nombreux destins noirs dans l’Amérique de la ségrégation. Les filles sont les plus mal loties et Billie subit tout, avec amertume et révolte : c’est un portrait d’héroïne malmenée par la vie mais digne et fière. De nombreux thèmes présents dans ses chansons sont ainsi esquissés. La narration passe rapidement sur les moments sombres (prostitution, prison…) pour s’attarder sur les rencontres de Billie avec le jazz, dans la rue, dans les clubs, dans sa voix.

La voix de Billie Holiday, sa manière de chanter, l’« âge » de sa voix (elle semble avoir 30 ans dans sa voix alors qu’elle n’en a que 18 quand sa carrière débute) sont évoqués avec précision, attention, musicalité enfin. Le récit, rédigé en une forme syncopée, avec de nombreuses phrases nominales, reprises, ellipses, imite le rythme de la chanson jazz, et garde un bon tempo qui donne envie de réentendre la « Lady Day » de cette époque ou de plus tard.

Confucius. Toute une vie

Confucius. Toute une vie
Chun-Liang-Yeh, Clémence Pollet
HongFei, 2018

Vie d’un philosophe, philosophie de la vie

Par Anne-Marie Mercier

Comme le titre l’indique, c’est bien la vie du sage chinois qui nous est racontée, déroulée de sa naissance à sa mort et fixée dans une chronologie à la fois chinoise (l’époque qui précède celle des Royaumes combattants) et mondiale (on apprend en fin de volume qu’il est né peu après Siddhârta (Bouddha), et mort peu avant la naissance de Socrate. Mais bien entendu, cette vie est aussi un parcours de la pensée : plusieurs épisodes montrent Confucius faisant des choix, répondant à des questions, évoluant. On est très loin d’une volonté d’héroïser ou de sublimer la vie du philosophe ; il est présenté comme un homme ordinaire, agissant, réfléchissant, lisant, conversant avec ses semblables.
L’histoire est portée par les belles images de Clémence Pollet, de type sérigraphique en quatre tons, très lumineuses. Elles inscrivent ce parcours dans la nature et insistent sur son aspect itinérant et son inscription dans le contact avec ses semblables (une quadruple page centrale montre un village bordé par une rivière où chacun vaque à ses occupations, contemple, passe…).
Les dernières pages proposent un texte faisant le point sur le personnage de Confucius et sa pensée aujourd’hui, son rapport à la tradition, à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, à la sagesse et à la religion. C’est bref et clair et cela a aussi le mérite de souligner les différences de mentalité entre les cultures chinoises et françaises pour indiquer qu’il faut aller un peu plus loin si l’on veut vraiment comprendre. C’est une initiation ; elle se présente comme telle.
Pour la découvrir en musique...

Mon cher Victor Hugo

Mon cher Victor Hugo
Chantal Brière
Bulles de savon, 2016

Ecrire à Victor Hugo…

Par Christine Moulin

Les éditions Bulle de savon ont conçu une collection originale : il s’agit pour l’auteur d' »écrire une lettre à l’une des icônes de la littérature, de la peinture, de la musique, voir ce que ce personnage nous dit aujourd’hui, le mettre en scène dans des petites fictions et l’imaginer revivre d’un coup » (1). A la lecture de cet extrait de la quatrième de couverture, on pressent la complexité de l’objet que va faire naître une telle feuille de route.
Spécialiste émérite de Victor Hugo, Chantal Brière a relevé le défi. Elle nous donne ainsi à lire un livre passionnant, dense, qui fournit toutes sortes d’informations sur Victor Hugo et évite les écueils habituels : par exemple, elle ne colporte pas les erreurs mille fois répétées sur le fameux « Chateaubriand ou rien », elle ne fait pas de l’opposition à Napoléon III une hostilité personnelle due à une quelconque déception de n’avoir pas été nommé ministre, etc. Bref, cet ouvrage est riche et fiable.

Mais riche, il l’est sans doute, à cause du format même de la collection, un peu trop. Complexe, ce livre me semble compliqué pour un jeune public, auquel il est censé s’adresser. Sur le plan matériel, les diverses couleurs de pages peuvent certes servir de repères mais cela suffit-il à distinguer toutes les formes énonciatives qui se succèdent? Les pages blanches sont dévolues à la « lettre » que Chantal Brière est censée écrire à Victor Hugo. Mais cette lettre est interrompue par des citations hors contexte, écrites en gros caractères, et elle paraît parfois un peu artificielle, puisque l’auteur est obligée de rappeler à Hugo des éléments qu’il ne peut avoir oubliés ; au hasard: « Tout près habite une petite fille qui vient de temps à autre s’amuser avec vous dans les herbes folles » (p. 9) [Il s’agit d’Adèle, bien sûr, qui deviendra Madame Hugo] ou bien: « Léopoldine, Charles, François-Victor et Adèle, ce sont vos quatre enfants » (p. 63). Les pages jaunes laissent place à des récits dont Chantal Brière est la narratrice, récits mettant en scène Victor Hugo. Mais alors pourquoi les pages bleues et roses ont-elles la même fonction? Ces codes fluctuants ne sont pas éclairés par les jeux typographiques: certaines phrases sont écrites en gros caractères et en gras. Pourquoi?
A ces changements énonciatifs viennent s’ajouter des « pirouettes » chronologiques peu propices à la compréhension : juste après l’évocation de l’enfance de Hugo, par exemple, nous voilà propulsés en 1855, à Jersey. Cela se justifie puisque Hugo écrit alors le poème « Pepita » (sans que, d’ailleurs, la référence exacte en soit donnée: « Pepita » est un poème écrit en 1855, mais publié en 1877, dans L’art d’être grand-père…), poème lié à son voyage en Espagne de 1811. Pour des lecteurs qui ne sauraient pas pourquoi Hugo se retrouve à Jersey ni pourquoi l’Espagne est si importante pour comprendre son oeuvre, le détour est sans doute un peu rude. Ces allers et retours sont constants dans l’ouvrage, ce qui soutient l’intérêt, certes, mais ne favorise pas la mémorisation de la chronologie.
Enfin, encore une fois à cause du format de la collection, les informations sont toujours denses et souvent allusives.

Bref, pour un adulte qui connaît la vie et l’oeuvre de Victor Hugo, cet ouvrage est intéressant et plaisant, d’autant que Chantal Brière a une plume particulièrement élégante, qui semble avoir été influencée par son objet.
Mais pour les destinataires de l’ouvrage, la lecture est sans doute difficile. Par ailleurs, on regrette qu’il n’y ait ni références ni bibliographie: si cet ouvrage doit servir à bâtir un exposé, par exemple, c’est une lacune regrettable.

(1) Avant Victor Hugo, ont été mis à l’honneur Voltaire, Van Gogh et Mozart.

 

Robêêrt (Mêêmoires)

Robêêrt (Mêêmoires)
Jean-Luc Fromental
Hélium, 2017

La condition animale vue par Robêêrt (ou Mémoires d’un mouton)

Par Anne-Marie Mercier

« Mouton, en principe, ce n’est pas un métier. Pas comme chien. On peut être chien de chasse, chien d’avalanche, chien d’aveugle, de berger, de cirque, de traineau, chien des douanes ou chien policier, une multitude de carrières s’offre à vous quand vous êtes chien.
Mais mouton…
Certes, nous sommes utiles en tant qu’espèce : couvertures, chaussettes, cache-nez, vestes de tweed et pull douillets, tout ça vient de nous… Ce n’est pas pour rien qu’on appelle « moutons » les petits tas de poussières qui trainent sous les meubles des maisons mal tenues.
Déjà, sans me vanter, il est rare qu’un mouton ait un nom. Tout le monde ou presque a un nom, quand on y réfléchit. Les chiens et les chats ont des noms, les poissons rouges en ont, une tortue peut s’appeler Janine ou Esmeralda, même votre ours en peluche jouit d’un patronyme.
Mais les moutons… »

Sans se vanter, avec une belle simplicité, Robêêrt nous raconte son histoire : comment, simple agneau, il a appris à parler chien auprès de celui qui assurait la garde du troupeau, puis cheval, puis humain… comment il a appris divers métiers : d’abord chien de berger, avec un certain succès, mais dans une grande solitude (les moutons n’aiment pas que l’un de leurs pareils « monte » en hiérarchie et donne des ordres) ; puis animal domestique dans la « Grande Maison », auprès de petites filles qui jouent avec lui, puis animal de compagnie d’un cheval de course un peu fou, et enfin chômeur en quête d’un travail à sa mesure (mais en dehors de la filière « laine-viande »…).
Au passage, on apprend beaucoup de choses sur le milieu hippique, les règles des courses et leurs coulisses : rencontres de propriétaires, jockeys, entrainements, déplacements en Angleterre ou ailleurs (Etats-Unis et Japon), sur la tricherie et les paris.

C’est très drôle, surtout à cause du petit ton sérieux utilisé par le narrateur pour raconter son histoire, et dans le détail de nombreux épisodes (comme le récit des techniques qu’il utilise pour calmer son cheval, et l’évocation des lectures qu’il lui fait – toutes sur le thème du cheval avec notamment la série des Flicka…). Les situations sont variées, c’est intéressant, avec un zeste d’aventure policière, un soupçon d’amour (tout le monde, chevaux et moutons, se marie à la fin), et une pointe de féminisme.
Les dialogues sont spirituels, tout comme le style qui emprunte souvent au thème lexical du mouton ou plus généralement de l’animal et ne craint pas de jouer avec les formes de l’autobiographie, comme dans le récit du voyage au Japon où concourent les chevaux :
« A l’arrivée à Tokyo nous étions déjà copains comme cochons. […] Je ne garde de cette nuit dans le « monde flottant », comme les poètes appelaient l’ancien Tokyo, qu’un souvenir très flou zébré d’images brutales, de la même matière que ces rêves qui vous secouent toute la nuit pour vous lâcher pantelant au réveil. Je me revois dans une rue bondée, stridente de bruits et de néons, j’entends des applaudissements, on crie sur notre passage, une forêt de smartphones se dresse, les flashes nous éclaboussent de leurs glorieux halos… »
Les jeunes lecteurs, que Robêêrt ne prend pas pour des agneaux de la dernière pluie, ne seront pas rebutés par le le style, tantôt original, tantôt recourant aux clichés, on peut en faire le pari : l’histoire de ce sympathique personnage les portera, comme son ton et son écriture.

Voir un  article dans Libération, par Frédérique Roussel, intitulé « Robêêrt, le vaillant petit mouton », qui classe avec justesse ce roman dans les romans initiatiques.
On connaît bien les éditions Hélium pour leurs albums, on oublie parfois qu’ils ont aussi une belle collection de romans et de romans illustrés (ici par Thomas Baas).