Mamouchka et le coussin aux nuages

Mamouchka et le coussin aux nuages
Michel Piquemal, Nathalie Novi

Gallimard, 2012

Lever les voiles (mourir)

Par Dominique Perrin

mamou Une très vieille dame habite le monde à tout petits pas, vivant frugalement une vie dont le fil s’amenuise. Un coussin brodé de nuages, généreusement acheté à un brocanteur rétrospectivement mystérieux, vient soulager ses maux. Délassant son corps, il procure à « Mamouchka » la magie de la réversibilité du temps : la voici dans la fleur aimante de son âge, au temps de la rencontre amoureuse, du mariage, de l’enfantement, en un voyage immobile et comblant.
Ce récit très sobre, à l’image de son titre, s’accomplit dans les images dansantes et chatoyantes de Natahalie Novi. Que texte et image campent une Russie des plus traditionnelles n’ôte rien à la juste beauté de ce conte de la mort comme évanescence et avènement – à contrepied, posément, des représentations dramatiques de l’ultime vieillesse caractéristiques de l’inconscient collectif occidental.

Mademoiselle Lune


Mademoiselle Lune

Cendrine Genin, Nathalie Novi (ill.)
Gallimard Jeunesse, 2011

« Mes mots sont quelque part »

Par Christine Moulin

mademoiselle luneMême si la littérature de jeunesse s’est  affranchie de beaucoup de tabous, certains sujets restent malgré tout rarement traités : la folie (avec toutes les précautions oratoires que mériterait l’utilisation de ce terme, cela va sans dire), et notamment la folie d’un parent, est de ceux-là (même si l’on se souvient de bouleversantes réussites comme Follede Bernard Friot, Thierry Magnier, 2002).

Tel est donc le thème de cet album, dont la splendeur graphique contraste avec la gravité du propos. Nathalie Novi, avec les couleurs chaudes dont elle a le secret (le rose Novi devrait exister, au même tire que le bleu Klein) a fait œuvre de peintre, proposant ses tableaux sur la « belle page », la bien nommée, en face du texte qui occupe celle de gauche, faisant de cet album plus un livre illustré qu’un album au sens strict.

La narration se fait sous la forme d’un monologue adressé à sa mère par Lune, ou Luna (pourquoi cette hésitation sur le nom?), le jour de son anniversaire, pour conjurer l’absence, l’écriture venant remplacer la parole, devenue impossible (« Parce qu’en vrai, je ne parle plus. On m’a dit d’arrêter de me faire du mal, alors j’ai arrêté de parler »). On apprend ainsi, à travers un récit rétrospectif mais mené au présent, le temps des blessures toujours vives, qu’un assistant social est venu arracher Luna à sa mère, que la douleur qui ronge celle-ci est de la sale espèce sinistrement nommée bi-polaire (« toi qui rigoles et pleures »), que Luna a été placée chez une vieille dame, Jeannine, dont la maisonnette ressemble à celle d’un conte de fées et que malgré les efforts de cette même pas sorcière, Luna s’enferme dans un mutisme désespéré. Puis, soudain, au moment où (seule exception à l’alternance faussement sage entre texte et illustration) l’image, tel un appel vers la liberté, se déploie sur une double page, tout en restant, il est vrai, écrasée par le texte qui la surplombe,  la maman de Luna vient la chercher: est-ce vrai? La petite fille semble en douter. Pourtant, elle écrit: « Pour me punir, sûrement, celui  qui m’a enlevée ne m’a pas ramenée chez Jeannine ». La fugue a bien eu lieu, générant une culpabilité d’autant plus compréhensible que la relation mère-fille est visiblement fusionnelle. Fusion mortifère car Luna s’enfonce dans ce qu’elle nomme sa « bulle ». Placée dans une autre famille, elle s’en sort, grâce à un « docteur qui fait dessiner ». Mais elle continue d’attendre…

L’analyse des sentiments, dans leur complexité, est esquissée sans pesanteur. L’écriture est belle, fragmentée par le silence, traversée par des fulgurances (« Non, je ne suis pas chagrin, maman »). On regrette d’autant plus, dans un texte qui a su donner une idée de l’ambivalence des sentiments de Luna à l’égard de sa mère, quelques banalités didactiques qui sont comme des corps étrangers, : « Les enfants ont droit qu’on leur explique. parce que, peut-être que, quand on sait, on souffre moins ». Justement, si ce livre émeut, c’est parce qu’il n’explique pas trop.