Le Secret de Golden Island

Le Secret de Golden Island
Natasha Farrant
Gallimard jeunesse, 2025

Les possibilités d’une île

Par Anne-Marie Mercier

Sur cette île interdite au public, sans trésor malgré son nom, se dévoileront plusieurs secrets : celui de Céleste, qui se sent coupable de n’avoir pas pu aider son grand-père qui lui avait fait découvrir cette île, celui de Iakov et des cauchemars nés des bombardements qu’il a subis en Ukraine. Lui aussi porte une culpabilité bien lourde qu’il ne pourra révéler qu’à un moment de crise, tard dans le récit. Enfin, d’autres personnages qui concourent avec eux pour gagner l’île comme cela était proposé dans une annonce cachent eux aussi un passé parfois trouble.
Le roman, très riche en événements et en émotions fortes, met en scène la naissance d’une belle amitié, celle qui unit Iakov et Céleste autour de ce projet fou. Elle les rend complices de gros mensonges pour se libérer de la surveillance des adultes et leur fait affronter de multiples dangers, maritimes, terrestres et souterrains, se sauvant mutuellement la vie à tour de rôle.
Le secret c’est aussi celui de cette île enchanteresse qui semble appeler Iakov par une musique que lui seul entend. La géographie de l’île, illustrée par une carte, se révèle peu à peu dans le texte, depuis la description faite par le grand-père de Céleste qui y a abordé clandestinement quand il était jeune, jusqu’aux indices cachés dans une vieille chanson de marins, en passant par les explorations qu’ils mènent, de jour, puis de nuit et sous la menace d’un individu armé et dangereux.
Le pari proposé par les propriétaires de l’île, proche d’une chasse au trésor avec des indices et des passages secrets se transforme en course inquiétante plus proche des Chasses du comte Zarov que d’un jeu enfantin. Mais tout finit bien et les deux enfants apprennent à surmonter leurs silences et leurs peurs, à dénouer leurs blocages et à découvrir quoi faire d’une île : bien autre chose que ce qu’en font les héros du Club des cinq. Ici, l’île rayonne vers l’extérieur.

Journal de guerre : deux témoignages, d’Ukraine et de Russie

Journal de guerre : deux témoignages, d’Ukraine et de Russie
Nora Krug
Gallimard 2024

Une année de guerre en Ukraine vue par deux civils

Par Michel Driol

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Nora Krug interviewe à distance, semaine après semaine, une Ukrainienne et un Russe. A Kiev, K est journaliste, et a envoyé ses deux enfants au Danemark, avec sa mère. Durant l’année, elle fait de nombreux allers-retours entre ses enfants et son métier, en Ukraine, ce qui la conduit sur la ligne de front. A Saint Pétersbourg, D est artiste. Il s’oppose à la guerre, à Poutine, sans oser le dire officiellement, de crainte des représailles. Il cherche aussi à protéger sa famille, cherche à émigrer, séjourne dans les Pays Baltes, à Istanbul, en France.

Dans une longue introduction, Nora Krug évoque les parcours singuliers de ces deux correspondants, leur naissance dans ce qui était encore l’URSS, et revient sur l’origine de son projet, mettant en particulier l’accent sur l’importance du témoignage humain pour comprendre les mentalités, les souffrances de celles et ceux qui sont victimes de la guerre.

Chaque double page correspond à une semaine, K à gauche, D à droite.  Le texte est sagement écrit sur des bandes jaunes tandis que des illustrations mettent en valeur tel ou tel épisode raconté. Scènes de la vie ordinaire, comme ce gâteau d’anniversaire dont on souffle les bougies, scènes poignantes marquant la séparation et l’exil, avec le téléphone comme lien, valises qu’on fait ou qu’on défait, personnages de jeux vidéo appréciés des enfants. Peu d’illustrations évoquent la violence de la guerre, quelques files d’attente, des avions qui traversent le ciel, les passagers d’un autocar attendant à la frontière…

On ne peut qu’être profondément ému  à la lecture de cet album, tout comme les personnages, dont les larmes coulent à de nombreuses reprises. Larmes devant la destruction de leurs vies, l’exil, la fracture de leurs vies familiales respectives, larmes aussi devant leur impuissance – surtout celle de D – à agir en accord avec ses propres valeurs et convictions. Larmes de tristesse, de rage, d’épuisement. On partage l’intimité de K et de D, dans de nombreuses situations très concrètes de leur vie, où on mesure ce que représente pour chacun d’eux le traumatisme de la guerre, qu’ils abordent avec leurs personnalités respectives. K, journaliste, prend d’avantage la mesure des choses, les replace dans des contextes historiques, et tente de concilier ce qui reste de sa vie de famille avec la nécessité de témoigner, de documenter, de suivre les événements.  D se sent plus paralysé, tandis que sa famille reste en Russie, il tente de préparer, avec ses amis occidentaux,  un hypothétique exil, déchiré entre son désir de rester dans son pays et le danger qu’il ressent à y être.

On mesure alors ce qui rapproche D et K, leur désir de protéger leurs familles, leur besoin de démocratie, leur désir aussi de vivre en paix dans leurs pays, au point que dans certaines doubles pages le montage montre des sentiments, des attitudes identiques. On mesure aussi ce qui les différencie, que cela soit lié à leur personnalité, à leur métier, ou à leur pays. Comment ne pas penser à Dostoïevski  quand on lit la culpabilité qui mine D tout au long, quand cela affecte ses relations avec tous les autres qu’il n’ose pas regarder en face, quand il avoue son impuissance face au destin, face à Poutine ? Il a le dernier mot : La guerre m’a montré qu’on ne peut strictement rien contre ceux qui nous gouvernent. C’est terrible, mais c’est comme ça.

Ce constat d’échec face à ceux qui nous gouvernent qui clôt l’album n’est pas partagé par l’autrice (qui le dit dans sa préface). Nous avons le choix entre rester passifs ou agir pour ne pas nous laisser faire. C’est en cela que ces deux témoignages, humains, si humains, sont indispensables, pour ressentir l’empathie nécessaire envers les victimes, pour aussi  nous donner la force de lutter contre tous les totalitarismes.