Deux Ans de vacances

Deux Ans de vacances
Jules Verne, Frédéric Pillot
Abrégé par Thibault Vermot
Sarbacane, 2023

Un classique pour d’autres jeunes Robinsons

Par Anne-Marie Mercier

Pour ceux qui ne connaissent pas Deux ans de vacances (1888), roman de Jules Verne au titre trompeur, il est urgent de le lire, car c’est un petit chef-d’œuvre (enfin, pas si petit). Il est proche de Robinson Crusoé, bien sûr : les héros, de jeunes naufragés, abordent sur une île déserte, qui ne le restera hélas pas assez pour leur épargner quelques grandes frayeurs.
Pas d’adulte avec eux, à part un jeune mousse, cela le différencie des autres robinsonnades de Jules Verne. La nature du groupe (14 garçons inscrits dans le même collège de Nouvelle Zélande, de nationalités différentes) le rapproche de Sa Majesté des mouches de Golding, comme la difficulté de la survie et la tension qui règne entre les enfants, qui augmente sans aller jusqu’aux extrêmes de sauvagerie dans laquelle tombent certains personnages de Golding.
Son seul défaut est d’être un peu long sans doute pour les lecteurs modernes : cette édition l’a raccourci un peu (mais pas trop : il reste 179 pages dont un tiers est couvert par l’illustration, très présente, et la mise en page aérée. De nombreuses pleines pages aux superbes couleurs  augmentent tantôt la beauté de l’aventure, avec de magnifiques paysages et des perspectives vertigineuses, tantôt  la noirceur de certains passages.
Un beau cadeau des éditons Sarbacane, sans doute pour des lecteurs expérimentés malgré l’apparence un peu trop enfantine des images. Ce que l’album chroniqué plus bas (Les Petits Robinsons) recensait comme difficultés de survie, ce récit le met en actes. Les héros ont bien du mal à les surmonter, mais ils les surmontent et le roman finit avec un bel optimisme : la rédemption est possible, le danger réunit les hommes, vive Jules Verne !

Chère Fubuki Katana

Chère Fubuki Katana
Annelise Heurtier
Casterman, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

C’est à une véritable immersion dans le Japon contemporain que nous invite Annelise Heurtier: évidemment, le mieux serait de pouvoir vérifier l’exactitude de ses descriptions (!) mais en attendant, on a vraiment l’impression d’y être. Tout est là pour créer l’illusion: le vocabulaire, la description des lieux (cela va du Mont Fuji, bien sûr, aux bars à thèmes – plus précisément, un bar à chats, qui joue un rôle important dans l’intrigue-); les boutiques; les odeurs, la nourriture, les coutumes.

Tout cela pourrait rester superficiel: mais le parti pris de l’auteure nous permet un réel dépaysement et une plongée passionnante dans l’univers japonais. En effet, nous adoptons le point de vue d’une adolescente, Emi, ce qui nous permet de comprendre de l’intérieur la vie familiale; l’univers scolaire, d’autant plus que l’héroïne est victime de harcèlement. Plus encore, ce sont les représentations sociales, les règles tacites, les tabous que nous découvrons: ainsi, à travers les lois d’airain qui obligent à taire ses émotions, on retrouve, décuplés,  les tourments de n ‘importe quelle adolescente (notamment un dramatique manque de confiance en soi et un sentiment de culpabilité incessant).

A cela s’ajoute un procédé particulièrement réussi: l’héroïne, pour s’échapper de la réalité quand elle devient suffocante, imagine la scène qu’elle est en train de vivre sous forme de mangas car elle est fan de ce genre.

Et enfin, l’intrigue est pimentée par une touche de mystère: des lettres énigmatiques adressées à la Fubuki Katana du titre émaillent le récit et créent un suspens qui rend la lecture fluide et prenante.

Bref, ce roman est une vraie réussite dans la mesure où il parvient à la fois à nous faire découvrir une culture très éloignée de la nôtre, sans lourdeur, sans explications indigestes, et à nous la rendre proche, en dégageant l’universalité des émotions.

 

 

Simon la Gadouille

Simon la Gadouille
Rob Evans
Traduit de l’anglais par Séverine Magois
L’Arche, 2012

Par Clara Adrados

Dans cette pièce de théâtre on suit l’histoire de Martin, histoire somme toute banale : celle d’un enfant, le nouveau de sa classe, un peu perdu, un peu seul, qui va se lier d’amitié avec l’autre nouveau de la classe, Simon.

L’histoire se passe dans une école primaire, les enfants se cherchent, se chamaillent… Martin est la risée de ses camarades qui s’empressent de se moquer dès qu’une légère différence pointe son nez chez l’un de leurs camarades. Pour Martin, c’est le fait de venir de Birmingham et peut-être d’être un peu timide, en manque d’attention. Simon le sauve et lui permet de rêver, de rire, de s’inventer une vie qui lui correspond, où les moqueries glissent sur lui. Jusqu’au jour où Simon tombe dans la boue et se ridiculise devant tout le monde. Martin ne réagit pas, ne va pas vers son ami pour l’aider. Et c’est le surnom de « Simon la Gadouille » qui poursuit le pauvre garçon où qu’il aille. Les enfants répètent en chœur ce surnom. Le lecteur ressent alors l’oppression à laquelle la victime doit faire face. La narration constituée de très peu de dialogue contribue à rendre ce sentiment d’envahissement, d’étouffement subi par Simon. Peu de mots sont dits, peu de dialogues mais des chuchotements incessants qui constituent une rengaine malveillante dans sa vie. Martin est déchiré entre la culpabilité de renier son ami, et l’envie de faire partie du groupe des « populaires », de ceux à qui on ne donne pas de surnoms dégradants. Il choisira l’entente avec tout le monde plutôt que de garder son ami d’enfance. Les années passent et Martin souhaite revoir son vieil ami. La culpabilité et la peur de le retrouver et de voir qu’il ne lui a toujours pas pardonné hantent ce quarantenaire. Les deux hommes se donnent rendez-vous pour se revoir : une façon de retrouver un vieil ami ? Un moment propice aux excuses, au pardon ? Ou un instant pour se redécouvrir, adulte, dégagé de ces schémas de martyr / groupe dominant ?

Le lecteur peut se faire sa propre fin.

Cette pièce aborde avec justesse un sujet précieux pour les enfants scolarisés : le harcèlement à l’école. Martin semble avoir autant souffert que Simon de cette situation, même s’il a intégré le parti des harceleurs à un moment donné. Cela a détruit une part de lui-même pour que trente ans plus tard il ne se le soit toujours pas pardonné. Le personnage de Martin faisant office de narrateur, nous n’avons pas le point de vue de Simon, et cela donne toute sa force au texte. Simon accepte de revoir son vieil ami et on peut imaginer que ce dernier a bien réussi dans la vie, qu’il s’est construit malgré les maux auxquels il a été soumis, peut-être même que sa force vient du fait de ne s’être jamais plié à ses bourreaux. Une pièce qui ne laisse personne sur le côté : bourreau, martyr … Une ligne facile à franchir.

Ogre vole

Ogre vole
Rascal (texte) et Edith (illustrations)
Pastel l’école des loisirs 2014

Il est bien peu de monstres qui méritent la peur que nous en avons. (André Gide)

Par Michel Driol

ogre-voleLe premier matin d’hiver,  un Ogre, au cours de sa promenade, voit une aile d’ange, puis deux se fixer sur son dos. Dès lors l’Ogre vole, et, dans le ciel, trouve sur des nuages tous les enfants qu’il a mangés. Alors ses ailes se détachent de lui, se divisent, et vont se fixer sur les enfants qui redescendent sur terre, tandis que l’Ogre reste prisonnier de son nuage.

Chaussé de bottes rouges, privé de nom et de prénom, Ogre est l’archétype de tous les Ogres.  C’est ainsi que le texte le présente, monstrueux personnage de légende, à la limite du vrai et du faux,  incarnation des peurs. Les cadrages de l’illustration mettent en évidence sa  stature, sa laideur presque touchante aussi, au moment où il gambade dans la neige de cette journée extraordinaire qui va lui permettre d’éprouver la peur : peur au moment de trouver l’aile, et le sentiment nouveau d’avoir à réfléchir, à ne plus se contenter des automatismes, Pour autant, mis en présence des enfants qu’il a mangés, Ogre éprouve un sentiment de culpabilité, et devient spectateur, du haut de son nuage, des retrouvailles joyeuses des enfants avec leur famille, avant de n’être plus que grondements les soirs d’orage. Il disparait de limage, qui laisse la part belle aux enfants.

Cet album vaut par le merveilleux de l’histoire – réécriture de certains contes ou légendes dans lesquels une intervention divine sauve des enfants victimes -, tout en abordant, avec des mots et des situations simples –  des thèmes particulièrement complexes : la solitude, la culpabilité, le regret, les peurs.

Plus haut que les oiseaux

Plus haut que les oiseaux
Eric Pessan
Ecole des loisirs, Medium, 2012

Vertiges ?  Non !  Trop gentil !

Par Maryse Vuillermet

plus haut que les oiseaux imageUn premier roman jeunesse d’un écrivain qui écrit habituellement pour les adultes. C’est l’histoire d’un adolescent de cité qui  a pour habitude de grimper sur le toit de l’immeuble avec ses amis. Mais   il se tord de culpabilité parce qu’il a commis un acte très grave, le suspens dure assez longtemps,  le lecteur pense que c’est un crime ou que son ami qui aime s’approcher trop près du bord est tombé, enfin,  on apprend qu’ils ont jeté des bouteilles de bière vides et que l’une d’elle a blessé gravement le jardinier, il est dans le coma. Le héros s’exprimant à la première personne du singulier, nous fait part de son immense sentiment de culpabilité d’autant plus qu’il étudie avec un professeur merveilleux le roman de Dostoïevski,  Crime et châtiment qui traite justement de la culpabilité.

On n’accroche pas vraiment à cette histoire, le crime n’est pas si horrible ! Le héros est un jeune parfait, il ne boit pas, lit ses livres d’école,  a des parents très gentils… un professeur de français qui donne des vrais cours de littérature ! Un modèle !

A la fin,  n’y tenant plus, il s’apprête à se dénoncer mais,  au dernier moment,  le jardinier sort du coma et ô miracle,  tout est résolu, l’enquête policière s’arrête, et il n’est pas obligé de se dénoncer ! Pas très moral !

De plus,  il se met  soudain à militer activement avec son père,  comme pour se racheter mais sans que le texte ne nous y ait préparé ou n’ait expliqué pourquoi.

La Fourmilière

La Fourmilière
Jenny Valentine,
traduit (anglais) par Cyrielle Ayakatsikas
Ecole des Loisirs (Médium), 2011

Une auberge espagnole trash

par Sophie Genin

adolescence,culpabilitéLes vingt-quatre chapitres de ce roman original sont alternativement pris en charge par Sam et Bohemia, tous deux jeunes locataires d’un immeuble délabré d’un quartier peu fréquentable de Londres. Sam a 17 ans et a fugué, laissant derrière lui une sombre histoire que le lecteur, perplexe, découvre peu à peu. Sam souhaite se faire oublier dans la capitale anglaise. Il ne veut parler à personne mais c’est sans compter sur la vie et la rencontre avec Bohemia, gamine de 10 ans paumée, élevée par une mère alcoolique, droguée et totalement perdue.

On suit les deux points de vue sur la vie et l’amitié avec avidité, tant les personnages sont attachants, déroutants et jamais caricaturaux. La découverte progressive de l’ancienne vie et surtout de l’évolution de Sam est touchante et les seconds rôles (la mère, Cherry, la voisine âgée qui se mêle de tout, Isabel, et son chien Paillasson, Mick, le cycliste paumé et Steve, le propriétaire défiguré) font sans cesse penser à un film, un bon film par lequel on se laisse embarquer, surprendre, passant du rire aux larmes, comme dans la vie, en plus intense encore !