Mon cher Victor Hugo

Mon cher Victor Hugo
Chantal Brière
Bulles de savon, 2016

Ecrire à Victor Hugo…

Par Christine Moulin

Les éditions Bulle de savon ont conçu une collection originale : il s’agit pour l’auteur d' »écrire une lettre à l’une des icônes de la littérature, de la peinture, de la musique, voir ce que ce personnage nous dit aujourd’hui, le mettre en scène dans des petites fictions et l’imaginer revivre d’un coup » (1). A la lecture de cet extrait de la quatrième de couverture, on pressent la complexité de l’objet que va faire naître une telle feuille de route.
Spécialiste émérite de Victor Hugo, Chantal Brière a relevé le défi. Elle nous donne ainsi à lire un livre passionnant, dense, qui fournit toutes sortes d’informations sur Victor Hugo et évite les écueils habituels : par exemple, elle ne colporte pas les erreurs mille fois répétées sur le fameux « Chateaubriand ou rien », elle ne fait pas de l’opposition à Napoléon III une hostilité personnelle due à une quelconque déception de n’avoir pas été nommé ministre, etc. Bref, cet ouvrage est riche et fiable.

Mais riche, il l’est sans doute, à cause du format même de la collection, un peu trop. Complexe, ce livre me semble compliqué pour un jeune public, auquel il est censé s’adresser. Sur le plan matériel, les diverses couleurs de pages peuvent certes servir de repères mais cela suffit-il à distinguer toutes les formes énonciatives qui se succèdent? Les pages blanches sont dévolues à la « lettre » que Chantal Brière est censée écrire à Victor Hugo. Mais cette lettre est interrompue par des citations hors contexte, écrites en gros caractères, et elle paraît parfois un peu artificielle, puisque l’auteur est obligée de rappeler à Hugo des éléments qu’il ne peut avoir oubliés ; au hasard: « Tout près habite une petite fille qui vient de temps à autre s’amuser avec vous dans les herbes folles » (p. 9) [Il s’agit d’Adèle, bien sûr, qui deviendra Madame Hugo] ou bien: « Léopoldine, Charles, François-Victor et Adèle, ce sont vos quatre enfants » (p. 63). Les pages jaunes laissent place à des récits dont Chantal Brière est la narratrice, récits mettant en scène Victor Hugo. Mais alors pourquoi les pages bleues et roses ont-elles la même fonction? Ces codes fluctuants ne sont pas éclairés par les jeux typographiques: certaines phrases sont écrites en gros caractères et en gras. Pourquoi?
A ces changements énonciatifs viennent s’ajouter des « pirouettes » chronologiques peu propices à la compréhension : juste après l’évocation de l’enfance de Hugo, par exemple, nous voilà propulsés en 1855, à Jersey. Cela se justifie puisque Hugo écrit alors le poème « Pepita » (sans que, d’ailleurs, la référence exacte en soit donnée: « Pepita » est un poème écrit en 1855, mais publié en 1877, dans L’art d’être grand-père…), poème lié à son voyage en Espagne de 1811. Pour des lecteurs qui ne sauraient pas pourquoi Hugo se retrouve à Jersey ni pourquoi l’Espagne est si importante pour comprendre son oeuvre, le détour est sans doute un peu rude. Ces allers et retours sont constants dans l’ouvrage, ce qui soutient l’intérêt, certes, mais ne favorise pas la mémorisation de la chronologie.
Enfin, encore une fois à cause du format de la collection, les informations sont toujours denses et souvent allusives.

Bref, pour un adulte qui connaît la vie et l’oeuvre de Victor Hugo, cet ouvrage est intéressant et plaisant, d’autant que Chantal Brière a une plume particulièrement élégante, qui semble avoir été influencée par son objet.
Mais pour les destinataires de l’ouvrage, la lecture est sans doute difficile. Par ailleurs, on regrette qu’il n’y ait ni références ni bibliographie: si cet ouvrage doit servir à bâtir un exposé, par exemple, c’est une lacune regrettable.

(1) Avant Victor Hugo, ont été mis à l’honneur Voltaire, Van Gogh et Mozart.

 

La mort préfère Ava

La mort préfère Ava
Maïté Bernard

Syros, 2013

Consolatrice tu seras

par Christine Moulin

cvt_La-mort-prefere-Ava_3036Depuis Harry Potter, le lecteur apprécie que le héros d’une série évolue, grandisse, mûrisse. C’est le cas pour Ava, et c’est tant mieux car la maturation de l’écriture accompagne celle de l’héroïne.

D’abord changement d’île. Nous voici à Guernesey, ce qui nous permet de visiter la demeure de Victor Hugo, Hauteville House, ou plutôt, dans un premier temps, de ne pas la visiter, les horaires étant confidentiels (ce qui correspond assez bien à la réalité!) pour ensuite apprendre ou retrouver toutes sortes d’anecdotes sur le célèbre écrivain, bien amenées et bien choisies, en accord avec le cadre fictionnel: c’est ainsi que l’auteur insiste sur l’inscription gravée sur un mur, Absentes adsunt (les absents sont présents), ce qui fait écho au destin d’Ava, sans cesse confrontée à des fantômes. Dans le même ordre d’idées, l’auteur donne une explication toute personnelle du phénomène des Tables tournantes. C’est une des connaissances d’Ava, Joséphine, qui répondait, en fait, au grand homme: « pendant que Victor Hugo croyait parler avec Chateaubriand, Dante, Racine, Marat, Charlotte Corday, Robespierre, Louis XVI, Napoléon 1er, Mahomet, Jésus, des animaux bibliques et les fantômes de sa maison, il a parlait à Joséphine qui avait la culture, l’imagination, la versatilité et l’à-propos nécessaires pour tromper un des esprits les plus  brillants de son temps ». Voilà un mystère d’éclairci!

Mais de façon moins périphérique, le roman développe deux dimensions qui lui donnent tout son intérêt : la dimension sentimentale, Ava ayant du mal à concilier sa « vocation » de consolatrice et ses histoires d’amour, ce qui, mutatis mutandis, ne la distingue guère des jeunes femmes d’aujourd’hui; la dimension politique: Ava essaye toujours d’organiser le système d’aide à apporter aux âmes errantes et se heurte à des factions et des luttes pour le pouvoir dignes des entreprises modernes. Le côté fantastique renvoie assez « naturellement » à des faits de société actuels. Maïté Bernard est, en quelque sorte, notre JKR à nous, sans pour autant la plagier.

Enfin, comme dans les tomes précédents, un mystère est au cœur du livre: le projecteur éclaire progressivement le passé de Cécilia, le mentor d’Ava.

On a donc affaire à une véritable série, qui n’est pas artificiellement divisée en plusieurs tomes, tous plus épais les uns que les autres, pour obéir aux nouvelles lois du « marketing », une série qui progresse véritablement, prend de l’ampleur et de l’épaisseur.

 

Ava préfère les fantômes et Ava préfère se battre

Ava préfère les fantômes
Maïté Bernard
Syros, 2012

et Ava préfère se battre
Syros, 2013

Le fantôme d’Alice?

Par Christine Moulin

avaOn dirait que ce serait « un » Alice, oui, Alice, de Caroline Quine (d’ailleurs, Ava/Alice… Non? Je vais trop loin? Bon…) Et alors, on aimerait bien.

Beaucoup de ressemblances, en effet, peuvent faire songer, en plus moderne, bien sûr, à l’indestructible succès de la Bibliothèque Verte.  Sans avoir perdu sa mère, l’héroïne, solitaire, est en butte à l’indifférence de ses parents qui se débarrassent d’elle pour mieux divorcer et l’envoient à Jersey, chez son oncle (qui, lui, ressemble beaucoup au père du Club des Cinq). Elle se trouve alors mêlée à une aventure rocambolesque: toutefois, comme les enfants sont plus « solides » de nos jours, ce ne sont pas les vols qui se multiplient mais les meurtres, sur fond de secret de famille, de plans indiquant un trésor viking, de grottes reliées à un château par de sombres souterrains plus glissants les uns que les autres, de croix qui bougent de place, d’empoisonnements divers et variés, etc.

L’intrigue, pleine de rebondissements, est compliquée, pour ne pas dire touffue, pour ne pas dire difficile à comprendre, pour ne pas dire invraisemblable. Toutefois, l’intérêt est ravivé par la particularité d’Ava: elle voit les morts et découvre, dans ce premier livre d’une série (dureté du marketing oblige…), qui elle est vraiment. Ce qui nous promet un tome 2, joliment annoncé, il faut le dire: « Mais elle était là maintenant, modeste, curieuse, travailleuse, et bientôt elle ferait partie de ceux grâce à qui tout est à sa place dans le monde ». Phrase révélatrice du caractère de notre héroïne: timide, embarrassée de son don, elle n’est pas du tout une « supergirl » mais bien plutôt une jeune fille de bonne volonté, ce qui la rend plutôt sympathique. Enfin, quelques trouvailles stylistiques, dont on aimerait qu’elles soient plus nombreuses, réveillent parfois le lecteur: « […] on m’a raconté que tu t’étais battue bec et ongles, ou plutôt petites assiettes et vases, pour nous défendre ».

Sans attendre avec une très grande  impatience de lire la suite, on s’y résout volontiers.

(Quelques jours plus tard)

liv-2631-ava-prefere-se-battreEh bien, voilà qui est fait et ce deuxième tome est une bonne surprise: il comporte encore une intrigue policière mais l’enquête se déroule uniquement dans l’univers des fantômes car c’est sur eux, leurs mœurs, leur organisation, leurs rivalités, leurs luttes pour le pouvoir que se focalise le roman. Ce qui le rend à la fois plus original et plus alerte que le premier. De plus, Ava mûrit et assume son rôle de « Consolatrice » : cela laisse place à des dialogues intéressants où elle essaye, telle une « psy », de comprendre ce qui bloque les fantômes et les empêche de mourir en paix et de trouver les mots qui pourraient les délivrer. A cela s’ajoutent le récit d’une mignonne amourette et l’évocation de Jersey (et de Victor Hugo : on comprend pourquoi il a cessé de faire tourner les Tables à Guernesey et qui a véritablement écrit « Au Lion d’Androclès« , le poème qui se termine par:  « Et, l’homme étant le monstre, ô lion, tu fus l’homme. ») : que souhaiter de plus ? Peut-être lire le tome 3 : La mort préfère Ava…, d’autant que d’après les on-dit, l’action se déroule à Guernesey!