La chaise de Peter
Ezra Jack Keats
Didier, 2013
D’un discret chef-d’œuvre
Par Dominique Perrin
La chaise de Peter se présente comme un récit classique d’appropriation par un jeune garçon de sa nouvelle condition d’aîné : Peter constate que son mobilier est en passe d’être intégralement repeint en rose, à destination de sa toute jeune petite sœur. Il opère à l’extérieur de la maison un mouvement de retrait et de contestation, mais aussi d’émancipation, qui le conduit finalement sans mélodrame à assumer pleinement l’évolution de son statut.
Il s’agit en fait là d’un classique au sens historique et génétique du terme, dont la création remonte à 1967. L’image y découpe des silhouettes nettes, agréablement stylisées sur des fonds jouant avec bonheur sur différents motifs de papiers peints. Esthétiquement fort, ce théâtre du quotidien revêt une portée que l’immense majorité de ses descendants n’ont pas : sans aucun effet d’emphase, il offre comme un évident universel littéraire la représentation d’une famille noire-américaine de condition modeste.
Retracer l’histoire de l’auteur – enfant comme un peu plus tard Maurice Sendak d’une famille polonaise juive émigrée à New-York – et des controverses suscitées par son engagement à mettre en scène des enfants noirs serait ici une autre histoire. Peut-être la présentation de l’éditeur français fait-elle bien de ne pas attirer l’attention sur ces aspects : les lecteurs pourront calmement constater, loin de douloureuses polémiques, qu’un chef-d’œuvre peut être infiniment discret, mais se laisse définir assez simplement comme « de la pensée engagée dans une forme ».