Le Petit de la poule

Le Petit de la poule
Anne Fronsacq, Kiko
Flammarion (« Les Histoires du Père Castor), 2024

Petit croco deviendra grand

Par Anne-Marie Mercier

Publié sous couverture rigide en 1975 sous le titre « The chicken’s child » avec un texte et des illustrations de Margaret A. Hartelius, traduit en France et paru dans la même présentation en 1979, le revoilà, avec un changement d’auteure entretemps… Bizarreries de l’édition jeunesse. Il est regretable que les collections patrimoniales ne soient pas plus respectueuses des attributions (c’était déjà le cas pour La plus mignonne des petites souris d’Etienne Morel – également auteur illustrateur de La Petite Poule rousse – devenu Souricette veut un amoureux chez Didier jeunesse).
Anne Fronsacq a certes donné un texte à cet album fameux, mais on ne peut pas dire qu’elle en est la seule auteure : ce n’est pas parce qu’un album n’a pas de texte qu’il n’a pas d’histoire et donc d’auteur d’histoire. Notons aussi que sur le site sur lequel on peut voir les planches originales le nom de l’auteure première est mal orthographié (Hartelins au lieu de Hartelius).
Donc, il s’agit du petit de la poule. Non, ce n’est pas un poussin : Poulette, sans enfant et désespérant d’en avoir, a trouvé un œuf abandonné, l’a couvé et il en est sorti un petit alligator que, par amitié pour elle, le fermier et les autres animaux ont accepté, jusqu’au jour où…
Jolie fable sur l’amour maternel, souvent aveugle, sur l’acceptation de la différence et ses limites possibles (ici repoussées à la fin), sur les talents particuliers de chacun, elle est illustrées en images naïves aux couleurs vives. La couverture de Kiko a le mérite de créer et maintenir le suspens sur la nature de ce petit qui va sortir de l’oeuf.

 

 

 

Le Doudou partagé

Le Doudou partagé
Yves-Marie Clément, Anne-Isabelle Lucas
Sarbacane, 2024

Pour accueillir un bébé

Par Anne-Marie Mercier

Un « doudou partagé », quelle drôle d’idée !
Un bébé nait dans une famille qui a décidé de vivre de manière éco-responsable. On évite les achats inutiles et on réutilise les vêtements de l’enfant précédent, la narratrice, qui s’enthousiasme de la bonne idée : les pyjamas mille fois lavés sont plus doux, les livres qu’on a lus mille fois et gardés sont les meilleurs… elle va jusqu’à offrir d’elle-même son doudou lapin, revenant sur tous les beaux moments qu’elle a passés avec lui.
Si on peut avoir des doutes sur l’excellence de l’idée (on ne choisit pas un doudou, c’est l’enfant qui le choisit), la joie de la petite fille est charmante. Les images sont simples et belles, en bichromie sur le fond blanc qui ressort parfois dans la couleur : des pages jaunes, rouges ou vertes soulignées de tracés noirs (une page, celle qui évoque la transmission des jouets, est en quadrichromie). Les formes sont simples, et font voir tout un univers enfantin. Le texte, en cursive, semble porter la voix de l’enfant.
Il reste que malgré sa simplicité apparente, une ambiguïté demeure dans cet album. On peut supposer que ce partage est davantage une idée qu’une réalité, une projection sur une relation future plutôt qu’un accord réciproque : ce doudou est, d’après la narratrice, un « cadeau ». Mais l’image de couverture et une page à l’intérieur de l’album semblent montrer que le cadeau n’en serait pas un mais qu’il serait bien un « partage », un cadeau à la mode enfantine (je garde mais tu peux en profiter si je veux), en attendant le moment hypothétique ou le doudou serait véritablement transmis .

L’Amour géométrique

L’Amour géométrique
Victoria Kaario – Juliette Binet
Rouergue 2024

Lorsque l’enfant parait

Par Michel Driol

L’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, on le sait bien, est sujet de bouleversements pour de nombreux enfants. C’est un thème abondamment traité en littérature pour la jeunesse. L’Amour géométrique l’aborde, à sa façon, par le biais du récit, page de gauche, par le biais d’illustrations très géométriques, pages de droite, fruit d’une nouvelle collaboration entre Victoria Kaario et Juliette Binet (voir le Temps est rond, au Rouergue également)

Le récit évoque d’abord le réaménagement de l’espace, la peinture de la nouvelle chambre, des bruits et des odeurs bien dérangeants pour Céleste Après un temps au parc, c’est le retour, le repas de crêpes sucrées, puis la nuit au cours de laquelle Céleste fait un drôle de rêve. Réveillée, elle réorganise à sa façon l’appartement, envahissant le salon de ses jouets, et la chambre du bébé de son linge. Retour à l’ordre, après un gros câlin, pour comprendre qu’il faut une bonne place pour les choses, et qu’il y a assez de place dans la maison.

C’est un récit facile à comprendre, très explicite, qui évoque bien les émotions, les sentiments, les actions d’une petite fille que la venue d’un petit frère inquiète, qui cherche à s’accaparer tout l’espace de peur de perdre l’amour de ses parents dans le grand chamboulement qui affecte la maison et la désorganise.

C’est bien là que les illustrations prennent le relai, pour montrer grâce à des figures géométriques l’ordre menacé par le désordre. Globalement, chaque illustration est divisée en quatre rectangles de même taille, de couleurs différentes, comme représentant quatre des pièces de la maison, dont le jaune de la chambre de Céleste. Puis on voit comment, par des triangles, les meubles sont déplacés dans el salon bleu, tandis que des triangles – agressifs – envahissent de bleu piscine le gris du bureau, devenant ainsi la nouvelle chambre du bébé. Mais ce bleu envahit sournoisement toute la maison, à l’image du futur bébé qui envahit l’esprit de Céleste. Promenade et jeux au parc, comme un chemin jaune. Retour à la maison, devenue grise, avec une grosse crêpe ronde et jaune au milieu. Des ronds, des triangles jaunes matérialisent l’envahissent de la maison par Céleste, tandis que les images finales associent les ronds, les triangles, le jaune et le bleu, pour montrer une nouvelle organisation, et correspondent à la chute du livre : Tout est en ordre, même si tout a bougé.

C’est à la fois très conceptuel, et très évocateur pour dire les bouleversements de l’espace  et la stabilité de l’amour  sans avoir recours aux traditionnels petits cœurs… Ces figures géométriques disent leur permanence et leur stabilité, malgré leurs réarrangement. Elles invitent aussi à l’accueil du nouveau, montrent qu’il y a place pour lui aussi. Les enfants s’étonneront sans doute de ces figures, les compareront, les exploreront… dans une démarche d’appropriation d’un art  plus abstrait que ce qu’on leur propose habituellement, un art qui tient aussi, quelque part, du jeu, et ce d’autant plus que le format de l’album, ses pages cartonnées le destinent aux plus petits.

Céleste en jaune, Ernest en bleu, comme un double écho à Ernest et Célestine et à Petit Bleu, Petit jaune… Comme une façon d’inscrire ce bel et original album sous le double patronage symbolique de Gabrielle Vincent et de Leo Lionni, deux auteurs dont il partage les valeurs.

De si mignons ogrillons

De si mignons ogrillons
Clotilde Perrin
Seuil Jeunesse 2023

Anges et/ou démons ?

Par Michel Driol

Dispositif ingénieux que celui de cet album. Une première page présente deux ogrillons sages comme des images. Mais, dès que l’on rabat la demi-page de droite, l’image devient celle de deux affreux garnements. Affreux, sales et méchants ! Dans une seconde partie, une surprise frappe à la porte : un bébé ! Mais le dispositif continue, les rabats une fois tournés, on voit les mauvais traitements que les deux ogrillons lui réservent !

Réduit à une seule ligne sous l’illustration pleine page, le texte se veut commentaire de l’image, avec deux formules récurrentes, Quels charmants petits ogrillons d’amour, suivi, page suivante, de Enfin, à peu de chose près… Humour du texte qui se situe soit dans l’hyperbole un peu puérile, soit dans la litote, laissant donc finalement le lecteur juger ce que montre l’image. Une image remplie de détails : bottes de sept lieues, tableaux et affiches qui se transforment, rat expressif omniprésent, livres (de cuisine) aux titres alléchants… Comique de gestes, comique de situation, grotesque : l’album joue de tout cela pour libérer un rire salutaire. Un rire disant et amplifiant des choses bien identifiées. Qu’il est bien difficile pour des enfants – ogrillons ou humains – de se conformer à ce qu’on attend d’eux : la gentillesse, l’ordre et la politesse, l’accueil sans sourciller d’un petit frère ou d’une petite sœur. C’est bien de cela que parle cet album, qui donne, sous ses outrances carnavalesques, une image vivante et bien réaliste  de l’enfance et de ses contradictions. Par la caricature, l’autrice montre et exhibe ce gout des enfants pour la transgression des règles, et pose en filigrane la question de leur identité : sont-ils mignons ? Sont-ils affreux ? La fin apporte une réponse… encore que…

Un album qui joue sur les effets de surprise, de rebondissement, dans lequel on retrouve tout l’univers graphique et imaginaire de Clotilde Perrin : drôle, décalé, cruel pour montrer, avec humour, à quel point « La chose la plus terrifiante, c’est de s’accepter soi-même », phrase de Gustave Jung citée en exergue.

Mon frère s’appelle Raymond

Mon frère s’appelle Raymond
Florent Marchet
Thierry Magnier – petite poche 2022

Dur, dur, d’avoir un petit frère !

Par Michel Driol

Depuis que Raymond, le petit frère, est arrivé dans la maison, il n’y en a que pour lui. Les parents bêtifient. Les routines ont dû changer. Voilà qui déplait beaucoup à la narratrice, une fillette de 6 ans, déjà dotée d’un plus grand frère.

Ce court roman propose quelques scènes de la vie de famille, dans une langue familière et vivante, à la limite de l’oralité, bon reflet de la personnalité de la narratrice. On ne révèlera pas ici la chute, pourtant bien préparée par le texte, ses situations, son vocabulaire. On dira simplement qu’elle jette un regard nouveau sur les familles contemporaines, sur nos petits et grands travers, et incite à relire le roman d’un œil nouveau. Ah ! Le plaisir d’avoir été trompé par une narratrice participe aussi des découvertes à faire dans l’univers de la littérature!

Un court roman, destiné à des lecteurs débutants, qui invite à se questionner sur ce qu’on aime et comment on l’aime, la jalousie et la vie de famille.

Promesses

Promesses
Christine Roussey
Editions de La Martinière, 2021

Je te donne…

Par Christine Moulin

Le format ressemble à celui des innombrables livres pour bébés qu’on peut acheter en librairie ou… n’importe où. Mais la délicatesse peut se cacher derrière un cartonnage épais. Ne serait-ce que grâce à de poétiques fenêtres qui permettent  de s’initier aux joies de la surprise et de la métamorphose. Tel papillon est en fait un cerf-volant: il suffit de changer de point de vue en tournant la page! Cependant, l’ouvrage de Christine Roussey ne serait pas la petite merveille qu’il est sans le texte, qui dit le miracle d’être parent. Accueillir un enfant, c’est enfin être comblé, découvrir le vrai sens de la vie: « Je te donne la vie, tu deviens mon soleil et mon phare dans la nuit. » Mais c’est aussi partager, léguer les plaisirs les plus concrets, les plus délicieusement terre à terre: « Je te donne […] tes bottes pour sauter dans les flaques. » C’est faire du quotidien un tremplin pour les rêves: « Je te donne ton bain et nous traversons les océans » (comme il est doux, ce « nous » et comme il est agréable de rendre au verbe « donner » tout son poids dans cette expression pourtant si commune: « donner le bain ». Presque un baptême…). C’est faire confiance à l’avenir et à son enfant: « Je te donne du temps, tu gravis les montagnes. » C’est offrir au lecteur la magnifique phrase finale: « Je te donne ta place, tu prends racine. »  Le livre Promesses les tient toutes, et surtout celles de la quatrième de couverture: « c’est tout l’amour qui déborde  et qu’un « je t’aime » ne suffit pas à dire. »

Cet ouvrage est le troisième tome d’une série qui comporte aussi : Promesses, tome 2Promesses, tome 1 et Promesses, tome 4.

Bienvenue

Bienvenue
Marta Comin
Les Grandes personnes, 2021

Less is more

Par Christine Moulin

L’objet, avant même qu’on ne le découvre, est un chef d’œuvre de mignonitude, comme on dit maintenant, parfois: c’est un carré tout blanc avec deux trous qui figurent des yeux, bleus, et un petit museau rose (on comprendra plus tard que ce sont ceux d’un lapin). La lecture déroule ensuite, sur la page de gauche, colorée en jolies teintes pastel, une douce litanie, rythmée par le mot « bienvenue » et par l’adresse à l’animal que nous sommes invités à découvrir en dépliant la page de droite. Les pliages sont toujours très simples et parfaitement évocateurs: que ne peut-on faire avec du papier blanc et une minuscule touche de couleur! C’est à l’émerveillement qu’invite ce beau livre, dont la dernière phrase célèbre la vie et la naissance: « Bienvenue courageux petit oiseau ». C’est un beau cadeau, somme toute.

La cachette

La cachette
Andrée Prigent
Didier Jeunesse, 2019

Coucou caché félin

Par Christine Moulin

La scénographie, minimale, se révèle diablement efficace. La double page présente une boîte, tel un castelet, dans laquelle on voit, jamais en entier, Yvette qui, comme son nom ne l’indique pas, est un chat, enfin, une chatte. Le décor autour de cette boîte évoque, de façon très épurée, un salon décoré de quelques plantes vertes et d’un coussin rouge à pois blancs. Tout l’intérêt réside dans le mouvement qui nous fait pénétrer dans la pièce grâce à un savant travelling: sur la poignée de la porte se pose une main. On aperçoit alors un chemisier rouge à pois blancs qui, en faisant écho au coussin, aspire le lecteur vers la boîte mystérieuse. Progressivement, l’espace va être envahi par cette présence humaine. Parallèlement, Yvette se cache, se montre, bref, fait le chat, sans jamais quitter son refuge. Le texte rythme le jeu (« Yvette, je vois tes oreilles », « Yvette, je vois ton dos »), jusqu’au silence, qui inquiète délicieusement: « Yvette, je n’entends plus rien. Tu dors? » Le carton disparaît pour laisser place à la belle révélation finale qui explique la réticence d’Yvette à sortir de sa cachette. Tout est doux, serein, naturel : la complicité entre l’homme et l’animal (qu’on devine dès la couverture), la joie de la naissance. Les illustrations rappellent, par leur lisibilité et leur charme, celles de Nathalie Parain (dont le premier ouvrage s’intitulait d’ailleurs Mon chat): la filiation est flatteuse!

PS: il est possible de feuilleter (en partie) le livre sur le site de l’éditeur

 

Big Bang Pop !

Big Bang Pop !
Claire Cantais
L’atelier du poisson soluble, 2018

… et le monde fut

Par Anne-Marie Mercier

Les papiers découpés de Claire Cantais, qui avaient fait merveille dans ses albums manifestes (On n’est pas des poupées, On n’est pas des super héros) sont tout aussi beaux ici, avec une autre visée. On retrouve leurs couleurs vives et contrastées, mais aussi de beaux noirs et gris lorsqu’il s’agit d’entrer dans le sujet : rien moins que la naissance du monde.
Une première partie relate donc toute l’histoire de la terre, depuis le big bang (et on devine les magnifiques effets d’explosions cosmiques) jusqu’à la conquête de la lune, en passant par les dinosaures (parés de couleurs extraordinaires sur fond de cieux jaunes ou roses), les premiers hominidés, les débuts de la civilisation, les inventions et découvertes, etc.
La deuxième partie montre une autre création, celle d’un enfant qui se développe dans le ventre de sa mère comme une planète, et émerge pour habiter cet univers que l’on vient de déplier.
Le texte est simple, une à trois lignes par double page, pas plus ; c’est l’image qui porte l’émerveillement et l’optimisme de toute cette belle histoire de l’humanité.

Qu’est-ce qu’il y a dans ton ventre ?

Qu’est-ce qu’il y a dans ton ventre ?
Sara Trofa, Elis Wilk
Le Diplodocus, 2015

Annonces

Par Anne-Marie Mercier

« Dans mon ventre il y a… » suit une liste de diverses choses, petites d’abord, puis de plus en plus grosses : un grain de terre, un trèfle à quatre feuilles, une luciole… mais ce sont aussi des mouvements, des histoires, des désirs, des sensations…
Tout cela est une réponse à la question posée par une enfant à sa mère, enceinte. Ce sont autant de promesse de vie, d’histoires, de complicités. Les aquarelles aux couleurs acidulées ont des effets de texture qui évoquent la technique des tampons encrés, avec beaucoup de douceur et de subtilité.
Cela dit, on espère que la réponse de cette mère poète pourra être complétée par des informations plus précises : vite, un documentaire !