Killiok

Killiok
Anne Brouillard
L’école des loisirs (Pastel), 2023

Oh la belle journée !

Par Anne-Marie Mercier

On retrouve avec un grand plaisir plaisir le chien Killiok qui dans La Grande Forêt. Le pays des Chintiens, attendait son ami Vari Tchésou, un humain, et dans Les Iles, cherchait à le rejoindre. Dans un autre album il rendait visite, malgré la neige, à son ami Pikkeli Mimou. C’est dire si l’amitié est importante dans cet univers et combien l’espace et le temps qui nous séparent de ceux qu’on aiment ont une épaisseur.
Ici, c’est l’été, et il se contente d’attendre à nouveau Vari Tchésou. Il aère la chambre de son ami, va prendre un café dehors, devant sa maison, au bord du lac. Et c’est beau et on savoure l’instant avec lui.
Le charme d’une belle matinée calme près de l’eau est merveilleusement évoqué.
Mais la tasse se renverse, le journal s’envole… il faut rétablir cette perfection et Killiok a une idée : transformer sa maison et lui ajouter une terrasse.
On le voir faire des allers et retours vers sa maison (fort jolie), dessiner des plans, discuter avec la souris qui vit dans un trou là où il pense bâtir, découvrir le vivant qui grouille dans le sol, discuter avec un ami de passage (le Chat Mystère)… avant de renoncer : il a peur de défigurer sa jolie petite maison, de déranger la souris, et de tout le désordre que des travaux apporteraient.
La morale de cette toute petite histoire où un grand projet ne donne rien est utile à tous ceux qui veulent trouver une perfection là où elle est impossible et concilier l’inconciliable : se contenter de la beauté qui est là  est une grande force – et cette maison très simple est très jolie, on en a même le plan à la fin.
Pourtant, ce n’est pas la morale qui importe : l’autrice nous propose de passer une belle journée avec son personnage, au bord d’un lac, à attendre un ami, discuter avec un autre, faire des plans et découvrir tout ce qui vit autour de soi. Ses images aux couleurs éclatantes et fraiches nous emportent de façon magique dans son pays imaginaire.

 

http://www.lietje.fr/2017/02/05/la-grande-foret-le-pays-des-chintiens/

Pikkeli Mimou

 

 

Pitié, Juliette ! / Allez, Churros !

Pitié, Juliette ! / Allez, Churros !
Tristan Koëgel/ Raphaël Frier
Rouergue (boomerang), 2021

Point de vue animal, point de vue enfantin

Par Anne-Marie Mercier

Churros est un cochon d’Inde ; c’est son point de vue que l’on entend dans une moitié de ce livre (celui-ci fonctionne comme tous ceux de la collection boomerang, mettant chaque texte en vis-à-vis avec un autre). Il se sent vieux et fatigué ; sa « maîtresse » l’exaspère et les amies de celle-ci tout autant, sinon plus. Les situations dans lesquelles Juliette le met (tentative de reproduction, concours de beauté…) sont autant d’épreuves, cauchemardesques pour lui et très drôles pour le lecteur; Churros s’en sort de manière inattendue. Ce tout petit récit est plein de rebondissements et à en plus le mérite de finir bien.
Le point de vue de Juliette est bien différent : loin d’être, comme le croit Churros, en adoration devant son hamster bougon, elle se sert de lui, aussi bien pour tenter de combler sa frustration de ne pas avoir pu convaincre ses parents de l’inscrire à des cours d’équitation que pour entrer en relation de compétition avec d’autres filles. Et si tout finit bien, ce n’est pas de tout pour le motif que croit deviner Churros.
C’est drôle, surprenant, bien raconté (la « voix » du vieux hamster est très réussie, de même que celle de la pauvre Juliette) ; c’est aussi truffé d’exemples de malentendus entre gens qui ne se veulent que du bien, que ce soit entre les parents, entre eux et leur enfant, entre enfants et animaux…
Quant à ceux qui ne sont pas si gentils (copine pimbêche, jeune femelle cochon d’Inde prétentieuse… et même parfois Churros lui-même quand on l’énerve), ils sont joliment ridicules.
Cela fait beaucoup de belles petites choses pour un petit livre, et d’autres, pas si petites, à méditer : le traitement des animaux de compagnie, les relations de compétition entre amis, et la difficulté pour les parents de satisfaire les désirs de leurs enfants.

Les Bonshommes de neige sont éternels

Les Bonshommes de neige sont éternels
Dedieu
Seuil jeunesse, 2016

Au-revoir Bonhomme ! Bonjour Bonhomme !

Par Anne-Marie Mercier

On commençait à se demander si un album pourrait un jour détrôner histoire de Perlette, goutte d’eau, un classique scolaire de Marie Colmont et Gerda paru au Père Castor, utilisé dans les classes pour enseigner le cycle de l’eau. Celui-ci pourrait être le bon : très grand format, images superbes (qui reprennent l’esthétique sépia et le personnage de A la recherche du Père Noël), et une belle aventure « humaine ».

Les personnages sont pourtant des animaux.

Un écureuil, une chouette, un hérisson et un lapin ont depuis un mois un ami extraordinaire, un Bonhomme de neige qui leur raconte des histoires, organise des jeux, leur rend la vie passionnante et gaie. Mais un jour, ils devinent que le printemps arrive et s’inquiètent pour leur ami : sait-il qu’il va mourir ? Lorsqu’il disparaît, ils apprennent qu’il n’est pas mort, car tout ce qui est eau retourne à la mer ; ils fabriquent un radeau, le cherchent sur l’océan, en vain (« autant chercher une goutte d’eau dans l’océan », dit fort justement l’un). Lorsqu’ils rentrent, bredouilles et tristes, levant les yeux au ciel, ils voient le Bonhomme, assis sur un cumulus, qui les salue. Il leur promet de revenir l’hiver suivant et de leur raconter son tour du monde avec toutes les histoires et les paysages qu’il aura recueillis.

Cycle des saisons, message christique, leçon de « choses » sur le cycle de l’eau, c’est un peu tout cela. Autant dire que le charmant Perlette est un peu fade à côté. Sont évoqués aussi la mort et le caractère éphémère de la vie, la douleur des proches quand ils pressentent la fin de ce qu’ils aiment (que l’on retrouve dans des contes populaires comme « La jeune fille de neige », ou « Le garçon de neige »), la force de l’amitié et du souvenir (on pense aussi à Au revoir Blaireau sur ce thème).

Les images sont à la hauteur du projet métaphysique et physique, avec des couleurs qui passent d’une dominante de blanc au vert, bleu, rouge, puis au blanc. Les animaux sont très expressifs, les plans accentués en plongées ou contre plongées spectaculaires, dramatisant les situations avec efficacité : c’est drôle, émouvant, intéressant, beau…

voir Perlette, en dessin animé.