Guenièvre et Lancelot

Guenièvre et Lancelot
Béatrice Masini, Juliette Valery (traduction de l’italien), Octavia Monaco (ill.)
Grasset Jeunesse, 2005

Un beau conte d’amour et de mort ?

par Christine Moulin

lancelot« Un beau conte d’amour et de mort », comme l’était Tristan et Iseut ? Beau, certainement, grâce aux magnifiques illustrations d’Octavia Monaco (1), qui jouent en particulier sur la splendeur de fonds inspirés de parchemins, ou sur la richesse de tissus recouvrant des corps immenses, disproportionnés par rapport à des têtes petites, mais particulièrement expressives. A cela s’ajoutent l’éclat des couleurs et le dynamisme des courbes qui animent chaque page. Un conte? Oui, avec un parti pris original: une narration en « je », ce « je » restant mystérieux jusqu’à la page finale. Serait-ce la colombe, présente dans toutes les pages? Chut… Un conte d’amour ? Oui: Lancelot est jeune et beau, « toutes les dames l’épient et soupirent après lui »; Guenièvre « jeune et belle comme lui, […] l’admire elle aussi ». Un conte de mort? Pas tellement. Les exploits de Lancelot sont rapidement traités (le titre nous avait prévenus: c’est bien Guenièvre qui est la première citée), parfois même aux dépens de la cohérence: le chevalier se retrouve bien brutalement prisonnier de Viviane, sans qu’on connaisse les péripéties qui ont précédé. Les nombreuses épreuves qu’il traverse chez Chrétien de Troyes sont pour la plupart passées sous silence. La dimension légendaire et chevaleresque est tout entière gommée au profit de la relation entre Guenièvre et Lancelot, dont on peut regretter qu’elle devienne un banal adultère, comme le prouve le combat singulier entre Arthur et Lancelot, pour les beaux yeux de Guenièvre.

Ainsi, on regrette, comme souvent dans les adaptations de la geste arthurienne, la désacralisation de l’histoire, l’effacement du tragique et de la dimension spirituelle: si Guenièvre trahit Arthur (plus précisément, elle le trompe…), ce n’est pas parce que tel est son destin, mais seulement parce qu’Arthur est « si vieux ». Lancelot séduit Guenièvre avec « un peu d’astuce et de ruse », au lieu que l’amour tombe sur eux comme une splendide catastrophe. Guenièvre est présentée comme une pimbêche qui le repousse par caprice, une fois qu’il est monté sur la charrette qui lui donne son nom (l’anonymat de Lancelot, sur lequel repose toute la tension du roman de Chrétien de Troyes, ayant disparu). Pire encore: la charrette d’infamie, celle des voleurs et des assassins, devient une charrette de comédiens, et Lancelot se déguise en bouffon. On est loin de la portée initiatique de cette épreuve, qui fait de Lancelot un paria, bravant le déshonneur pour mieux honorer les exigences de l’amour courtois. Bref, la légende s’embourgeoise: c’est sans doute le prix à payer pour qu’elle continue à nous parvenir.

(1) prix Andersen 2005 de l’illustration, excusez du peu…

Enfants de la forêt

Enfants de la forêt
Béatrice Masini
La joie de lire (encrage), 2012

 Le livre des enfants perdus

par Anne-Marie Mercier

Le thème de la robinsonnade est ici renouvelé par l’univers du conte et de la science-fiction. Dans un monde post-apocalyptique, des enfants ayant survécu à la catastrophe et d’autres issus d’éprouvettes sont parqués à l’air libre autour d’un centre où vivent quelques adultes qui les surveillent plus qu’il ne les aident. Malgré l’abrutissement provoqué par le médicament qu’on leur distribue pour les empêcher de se souvenir, un groupe d’enfants résiste. L’un d’eux a trouvé un livre et, après l’avoir longtemps caché, le partage avec les autres. Ils s’enfuient dans la forêt, guidés par des contes traditionnels. Par eux ils savent par avance que jamais les adultes ne secourent les enfants perdus, donc qu’ils doivent se sauver eux-mêmes et pour cela se trouver un lieu pour vivre – qu’ils ne trouveront pas, du moins pas comme ils l’imaginent.

Si la fin est un peu abrupte et décevante par son réalisme, la plus grande part du roman est d’une grande poésie. On y trouve de très belles idées : celle qui consiste à mélanger des enfants « normaux » et d’autres qui, issus d’un laboratoire, n’ont pas connu d’enfance ; celle des bribes de souvenirs, les « tessons », lumineux et douloureux ; celle d’enfants qui redécouvrent à travers un livre un langage plus riche, des sentiments nouveaux, qui construisent entre eux des relations autres que de domination/soumission ; celle des contes traditionnels comme modèles à suivre (pour le pire et le meilleur).

Enfin le cadre de la science-fiction propose un contre-point à l’univers du conte : deux adultes du centre suivent le groupe à l’aide d’une caméra, s’inquiètent pour eux, voient venir le drame, proposent un reflet au lecteur-voyeur. Ainsi, ce roman plein de références directes aux contes renouvelle la thématique de l’enfant perdu, du Petit Poucet, et surtout de l’ogre : au-delà de la forêt, il y a un peuple dont on a peur…