Miss Charity

Miss Charity
Marie-Aude Murail
Illustré par Philippe Dumas
L’école des loisirs (medium), 2008

Peter Rabbit: roman historique

par Anne-Marie Mercier

C’est unMissCharityGRANDe surprise de trouver chez L’école des loisirs un ouvrage d’une telle dimension: un format inhabituel, un volume de 500 pages, cela fait beaucoup, même si les nombreuses illustrations de Philippe Dumas aèrent le texte. C’est une autre surprise de voir Marie-Aude Murail s’adonner à une biographie imaginaire proche à la fois du roman historique et du conte.

L’ensemble est composé d’éléments très divers et cependant a une grande unité. Le personnage est inspiré de la vie de Beatrix Potter (le lapin de Charity s’appelle Peter) et Philippe Dumas imite à merveille ses images (certaines sont presque des copies) tout en gardant son propre style. Béatrix-Charity recueille toutes sortes d’animaux quand elle est enfant, les peint lorsqu’elle est jeune « jeune-fille », vend des images à l’unité, puis écrit une histoire à partir de croquis de Peter faits pour distraire un enfant malade. Viennent ensuite des histoires de crapaud, souris, etc. Elle fait la cruelle expérience de la rapacité des éditeurs et de la difficulté à mener une vie indépendante pour une jeune fille de sa condition.

Charity écrit son histoire. Mi-journal, mi-autobiographie, le récit suit la vie d’une jeune fille solitaire de la bonne société anglaise, de son enfance à son mariage, tardif : fille unique avec quelques talents, puis fille à marier difficile à placer, puis personnage inclassable et déclassé, « vieille fille », originale, elle devient une artiste.

Avant de devenir une aquarelliste douée, Charity s’entoure d’animaux à la compagnie improbable : si le lapin passe, il n’en va pas de même du rat, du grillon, du canard, du corbeau. La société qui l’entoure apprécie diversement. L’enfant solitaire est plus proche des animaux que de ses parents ou des enfants de son âge. Elle les observe, relève leurs attitudes, part en rêverie à propos d’eux. Ainsi du corbeau Petruchio : « Quand Thabita cousait, Petruchio sautait autour de sa chaise, inspectant son panier à intervalles réguliers et l’observant elle-même d’un air de gravité exceptionnelle. Je pense que, si la vie lui avait accordé le bonheur de fonder un foyer, il aurait su repriser les chaussettes de ses enfants ». Ce mélange de formules toutes faites bien-pensantes, de choses entendues par l’enfant Charity, qu’elle mêle à sa rêverie farfelue est un des charmes constants du livre. Les illustrations de Philippe Dumas le redoublent : les petits corbeaux esquissés dans des positions différentes mais avec le même regard dépité sur leurs chaussettes à rayures trop larges sont parfaits de drôlerie.

Le regard sur la société anglaise du dix-neuvième siècle est acide : jeunes hommes ternes ou prétentieux, jeunes filles snobs mais qui seront brisées comme les autres par le mariage, dandys qui prennent Oscar Wilde pour modèle et en payent cher le prix, domesticité égarée, folle de chagrin et d’amertume, ou folle tout court. Dans les personnages positifs on trouve un précepteur allemand, une gouvernante française, un fils d’éditeur (le père est un requin, bien sûr), un jeune acteur. Autant dire que c’est à la marge que cette société est humaine. Le personnage du père de Charity est intéressant, épargné par le regard de sa fille. Marie-Aude Mural, contrairement à bien des auteurs, ne triche pas avec l’écriture à la première personne.

On y trouve de magnifiques personnages secondaires : la nurse écossaise au passé trouble qui transmet ses propres angoisses morbides à l’enfant. Si elle ne lui transmet pas sa folie tout entière, elle encourage certaines bizarreries et l’on se demande tout au long de ce long texte jusqu’où chacune pourra aller. L’histoire de la gouvernante française forme à elle seule un petit roman, rose au début de l’histoire puis d’une noirceur étonnante, qui renoue avec la veine de Dickens pour la description des « institutions charitables ». L’évocation de la campagne anglaise et du charmes des activités qu’on peut y mener donne envie de s’y installer jusqu’à la fin de ses jours.

Si l’on met à part le « happy end » fort peu vraisemblable, le roman est excellent, passionnant et attachant, mêlant réalisme et fantaisie, tendresse et férocité. De nombreux thèmes s’y entrecroisent : les animaux, la jalousie des femmes entres elles (sœurs, cousines, amies, mères et filles), la création, le statut des femmes, les relations mère-fille ou père-fille, l’amour de la campagne et de la solitude…)Ce mélange permet de ménager un suspens permanent (le mystère de la servante écossaise ne se dénoue qu’à la fin), ce qui aidera les jeunes lecteurs à aller jusqu’au bout de leur lecture.

L’ouvrage a été publié hors collections et c’est justifié tant il s’adresse à un public large, touche à des sensibilités différentes.

Un livre très touchant, drôle et grave. On se risquerait à dire le meilleur ou l’un des meilleurs de Marie-Aude Murail s’il était possible d’établir des comparaisons entre tant d’ouvrages aussi différents.

(notice publiée en 2008 sur le site sitartmag)

L’Aventure de Noël de Pierre Lapin

L’Aventure de Noël de Pierre Lapin
Emma Thompson

Gallimard jeunesse, 2013

Contrefaçon/imitation

Par Anne-Marie Mercier

L’Aventure de Noël de Pierre LapinSi le nom de Beatrix Potter figure sur la couverture, c’est précédé de la mention « inspiré du conte original de », autant dire que les amateurs qui n’auraient pas lu l’intégralité de l’œuvre de Beatrix sont invités à continuer avec les originaux et que le talent de la nouvelle illustratrice, Eleanor Taylor doit être souligné : c’est une belle imitation du style Potter.

C’est le deuxième épisode raconté par Emma Thompson (oui, la célèbre actrice). L’histoire racontée ici (le sauvetage d’un dindon condamné à être rôti le jour de Noël) n’a rien d’original, mais l’évocation du rituel anglais de Noël, fruits secs et crème, aidera à patienter avant le grand jour – et n’est-ce pas dans les vieux pots qu’on fait de bons ragoûts ?

Pierre lapin copié/copie

La Nouvelle Aventure de Pierre lapin
Emma Thompson, illustrations de Eleanor Taylor
Traduction (anglais) de Jean-François Ménard
Gallimard jeunesse, 2012

Pierre lapin petit facteur
Traduction (anglais) de Vanessa Rubio-Barreau
Gallimard jeunesse, 2012

Lapin à vendre : du plagiat et de Beatrix Potter

Par Anne-Marie Mercier

nouvelleaventurepierrelapinQuand les acteurs ou autres vedettes du monde du spectacle se mettent à écrire pour les enfants, le résultat est rarement concluant. Dans La Nouvelle Aventure de Pierre lapin, le dessin imite le style de Beatrix Potter, la sobriété du texte et la simplicité de l’histoire sont proches de celles de ses histoires, tout cela est fort mignon, mais cela reste une imitation assez pâle.

Autre imitation et même imitation d’imitation, avec Pierre lapin petit facteur qui reprend (sans nom d’auteur !) le principe des  classiques que sont devenus les albums Pierrelapinpetitfacteurd’Allan et Janet Ahlberg : Le gentil facteur ou lettres à des gens célèbres (Jolly Postman, 1987) et Le facteur du Père Noël (1991). Comme dans ces ouvrages, on trouve à l’intérieur de l’album des enveloppes avec des fac simile de lettres, documents divers. Ici, les découvertes sont liées par une intrigue simple (simplette ?) mais efficace : Le jeune Pierre lapin envoyé faire des courses par sa mère découvre que le renard Tod qui a invité la cane à dîner veut facteur 1la manger. Comme les albums précédents, qui ont servi lieu à de nombreux travaux en CE1, cette nouvelle version qui propose non seulement des lettres mais d’autres documents variés (des « écrits sociaux »), Pierre lapin petit facteur devrait plaire à un large public en profitant de l’image des albums de B Potter et de l’affection que l’on a pour Peter Rabbit (qui dispose d’un « site officiel » facteur2100%commercial…).