Mademoiselle vole

Mademoiselle vole
Laurence Gillot – Illustrations d’Emma Morison
Editions du Pourquoi pas 2022

Le musée comme abri

Par Michel Driol

Hana et sa mère sont réfugiées en France, sans domicile. La nuit, elles se réfugient au musée pour y dormir. Lorsqu’Hana est invitée à un anniversaire par une amie d’école, elle trouve qu’un mouchoir brodé par sa mère ne serait pas un assez beau cadeau, et elle vole, dans la boutique du musée, une broche représentant sa statue préférée qu’elle a surnommée Mademoiselle vole. Lorsque les déménageurs arrivent tôt pour emporter cette statue dans un autre musée, ils trouvent Hana et sa mère… Heureusement, la conservatrice du musée, émue par le lien entre la fillette et la statue, permettra une fin heureuse à cette histoire dont on se demande comment, dans le monde réel, elle se serait terminée…

Ce qui frappe d’abord dans ce roman, c’est l’empathie de l’autrice envers les deux personnages principaux, visible dans des petits détails comme les devoirs faits – mal faits, mais faits aussi bien que possible – sur les genoux, dans la salle d’attente de la gare en attendant d’aller au musée tandis que le gardien sort les poubelles. C’est la peur de se faire prendre, le conseil donné par la mère de se faire invisible… Tout cela vu à hauteur d’enfant par une fillette qui a fui son pays à cause de la guerre, ne sait pas ce qu’est devenu son père, et se réfugie dans les tableaux du musée qui forment comme un cadre protecteur, permettant de s’ouvrir au monde. Ce qui frappe ensuite, c’est ce dialogue entre la fillette et cette statue qui donne son nom à l’ouvrage, statue bien évidemment symbolique d’un monde sans frontières, déesse protectrice et rassurante. C’est bien, d’une certaine façon, le rôle de l’art qui et questionné ici : comment il aide à vivre, comment il unit aussi au-delà des cultures et des générations cette fillette et la conservatrice du musée. C’est aussi un dialogue muet qui se noue entre la broderie orientale traditionnelle, art pratiqué par la mère, et les œuvres d’art du musée. Avec intelligence et subtilité, les illustrations montrent souvent le fil et l’aiguille, à la fois symboles d’une pratique féminine qui se transmet de mère en fille, mais aussi, plus largement, symboles de ce qui reste à coudre ensemble pour faire société. Tout est toujours à remailler du monde, écrivait Yves Bonnefoy. A sa manière, ce roman invite les lecteurs à remailler l’ailleurs et l’ici, l’orient et l’occident, le migrant et l’autochtone. Ce n’est pas pour rien que les paroles d’Hana et de sa mère sont écrites en arabe (traduites en bas de page). C’est bien une façon de dire l’égale dignité des langues, des paroles dans leur authenticité, de dire le dissemblable et le semblable qui peuvent se dépasser dans la contemplation et l’appréciation des mêmes œuvres d’art, ou dans le partage des mêmes valeurs liées à l’éducation des enfants, à l’accueil et à la dignité. Sur un thème proche, il y a trente ans, Robert Boudet avait écrit la Ballade d’Aïcha, texte beaucoup plus sombre et sans doute beaucoup plus réaliste. Mademoiselle vole tient plus du conte qui finit bien avec dans le rôle de la bonne fée la conservatrice du musée. C’est un texte lumineux, soutenu par des illustrations qui ne mettent jamais l’accent sur le côté misérabiliste de l’existence d’Hana. « Il faut bien réenchanter le monde », écrit l’auteure avec justesse.

Un court récit de vie dont la lecture est accessible à tous, simple et touchant, pour parler de ceux que la guerre a chassé de chez eux, et qui font ce qu’ils peuvent pour vivre ici et y éduquer leurs enfants, ainsi que du rôle rassembleur de l’art et de la culture dans notre monde.

 

 

 

Où se cache ma fille ?

Où se cache ma fille ?
Iwona Chmielewska
traduit (polonais) par Lydia Waleryszak
Éditions Format, 2020

Broderies et handicap

 Par Anne-Marie Mercier

On cherche une petite fille dans toute la maison : chaque page présente un coussin, un meuble, une porte, un placard, un rideau, et toutes sortes de lieux enfin où elle pourrait se dissimuler. Ce n’est qu’à la fin qu’on la voit, cachée derrière une porte vitrée à mi-hauteur. La dernière page montre qu’elle est assise sur un fauteuil roulant.
Cet album propose une autre manière de voir le handicap : une enfant handicapée est d’abord une enfant. Le texte, à chaque double page, la décrit : parfois gaie, parfois triste, calme, ou vive, etc. en accompagnant ces adjectifs de comparaisons animales toutes charmantes et parlantes, parfois originales (triste comme un phoque, aussi maladroite d’un hippopotame), parfois non (forte comme un éléphant, lente comme une tortue).

Ces animaux sont représentés émergeant des lieux où l’on cherche l’enfant et la grande originalité de l’album consiste dans la nature des images : ce sont des photos de pièces de tissus cousues et brodées qui figurent l’ameublement de la maison. Les animaux évoqués par les comparaisons eux aussi sont de cette sorte, mais on les voit sur l’envers sur une page, et sur l’endroit à son envers, représentant alors un tout autre animal : la réversibilité du caractère de l’enfant est ici figurée par ces métamorphoses.

C’est beau, subtil, plein d’humanité. Toutes ces étoffes de récupération portent en elles de multiples présences. La broderie et la couture nous parlent d’un réel abimé à reconstruire. Le handicap de l’enfant n’en est qu’un des aspects, même si le regard porté par l’album sur ce point est essentiel. Voir la vidéo

sur l’auteur (site de l’éditeur):

« L’organza blanc et les chiffons qui ont servi à confectionner ce livre proviennent de diverses friperies polonaises important des vêtements d’Europe de l’Ouest. L’organza était sans doute le rideau d’une fenêtre. Les morceaux de caleçons, de taies d’oreiller, de rideaux, de mouchoirs, de pyjamas, de jupes longues ou de robes de fillettes, utilisés naguère quelque part par quelqu’un, ont été assemblés dans ce livre en un tout. J’ai la conviction que tous ces petits bouts de tissus renferment, d’une certaine manière, le vécu et l’énergie des personnes qui les ont portés autrefois. » (Iwona Chmielewska)
Iwona Chmielewska est une grande illustratrice polonaise, dont les images, tout en douceur, vont bien au-delà d’une simple interprétation du texte. Elle a remporté de nombreux prix, dont le Bologna Ragazzi Award en 2011, en 2013 et en 2020 (Prix Nouveaux Horizons), ainsi que La Pomme d’or de la Biennale de l’Illustration de Bratislava en 2007.
Ses livres sont publiés en Corée du Sud, en Pologne, en France, en Chine, au Japon, à Taïwan, en Italie, en Allemagne, au Portugal, au Mexique et au Brésil. Elle est connue en France pour ses albums : Les yeux, La Mésaventure, Dans ma poche chez Format.