Le Jour où j’ai voulu sauver la forêt

Le Jour où j’ai voulu sauver la forêt
Nora Dåsnes
Casterman 2023

J’en ai marre d’être mignonne

Par Michel Driol

A 12 ans, Bao est déléguée des élèves de son collège. Lors d’une réunion, où elle voudrait faire avancer l’idée d’un collège éco-responsable, elle se heurte aux adultes qui veulent agrandir le parking du collège, pour des raisons de sécurité, en détruisant la moitié de la forêt. Après avoir essayé de les convaincre, en rédigeant un rapport manuscrit sur le climat avec ses amies, elle persuade tout le monde de passer à d’autres formes de lutte : accrochage d’une banderole en haut du collège, puis occupation de la forêt.

Ce roman graphique mêle habilement un récit traditionnel (cases, planches…) avec des conversations WhatsApp. Le récit est conduit dans des vignettes qui font alterner les gros plans sur les visages, passant par toutes les émotions, les réactions, et des plans plus larges de forêt, souvent en double page. Toutes les techniques de la bande dessinée ont ainsi mises au service de la narration, pour faire ressentir au plus près les sentiments des protagonistes, leurs élans, leurs découragements, leur volonté. Il montre bien les angoisses des adolescents d’aujourd’hui face à l’urgence climatique, et la façon dont les adultes (mal)traitent leur engagement. Le roman traduit bien le sentiment d’impuissance que ressentent les ados face à des adultes qui ne les écoutent pas, pour différentes raisons, et voudraient bien les voir ses cantonner dans des rôles bien définis : faire des exposés, se documenter, s’engager de façon théorique. Il montre bien aussi la passivité des adultes face à l’urgence climatique. S’ils en ont conscience, ils n’agissent pas, préférant leurs intérêts à court terme. Cette opposition entre adolescents et adultes est particulièrement bien vue et bien traitée dans ce roman graphique. Ce que montre aussi le roman, c’est la dégradation de la relation entre Bao, qui veut vivre au plus près de ses convictions, et sa mère, protectrice, avocat, trop occupée, privilégiant les trajets en voiture. Bao apparait ici comme une héroïne forte, engagée, mais tiraillée entre son désir d’indépendance, d’autonomie et la nécessité d’avoir recours aux autres pour faire avancer une cause. Mais c’est grâce à l’appui de tous, à la mobilisation des élèves, à l’écho apporté par l’usage des réseaux sociaux, que la forêt sera sauvée.

Voilà un roman graphique très actuel et qui s’adresse directement, au travers d’une fiction, à des jeunes qui, comme l’héroïne, partagent cette éco-anxiété. Il se termine par quelques pages documentaires engagées qui expliquent à des mineurs comment faire entendre leur voix avant d’avoir l’âge de voter, quelles actions on peut entreprendre, comment il est possible de s’engager très concrètement aujourd’hui pour faire comprendre aux élus que l’écologie est un réel sujet et que leurs décisions ne prennent pas toujours en compte l’avenir de notre planète. En d’autres termes, la fiction devient un guide d’action. Bien utile et bien documenté.

Quel tableau !

Quel tableau !
Julien Couty
Rouergue, 2020

Détournement d’art

Par Anne-Marie Mercier

Dès la page de garde, on voit que Julien Couty a convoqué de nombreux peintres célèbres pour l’aider à faire passer son message : Vinci, Monet, Rousseau (Henri), Manet, Millet… (le XIXe siècle est bien représenté).
Un homme et un petit garçon visitent un musée. A la stupéfaction de l’adulte, les tableaux ont été transformés et il y a trop de tout : trop de monde, trop de pesticides (Millet désertique), trop de gâchis (la laitière de Vermeer est distraite), trop de fumée (la mer de nuages de Friedrich est transformée en fumées crachées par de vilaines usines), trop de chaud, trop de froid. Ou pas assez de quelque chose : d’arbres, d’animaux… Les tournesols de van Gogh sont fanés. Julien Couty croque et détourne les œuvres avec un crayon rapide, un beau talent d’aquarelliste et de l’humour (les joueurs de cartes de Cézanne installés à la table du café sont nus mais ont gardé leur chapeau, : « trop chaud ! »).
Je regrette cependant qu’on se serve de l’art pour un message qui n’a rien à voir avec lui : la publicité s’en charge assez (« trop », comme dit ce livre) et que l’on livre ainsi un constat désespérant, un peu trop ressassé ces derniers temps. Certes, « il faut se prendre en main», c’est ce qui est dit en conclusion. Soit. Mais est-ce un bon moyen ?
Le projet du livre tient dans le jeu de mot sur l’expression proposée par son titre : quel tableau !

 

 

 

La Révolte de Sable

La Révolte de Sable
Thomas Scotto – Mathilde Barbey
Editions du Pourquoi pas ? 2021

Personne n’est trop petit pour faire la différence – Greta Thunberg

Par Michel Driol

Sable est une jeune renarde qui joue souvent avec le narrateur, dont on ne connait pas la race exacte, jusqu’au jour où, prenant conscience d’un dérèglement climatique en voyant le printemps arriver trop tôt, et s’inquiétant pour la Terre, elle s’enferme dans le silence. Rien n’y personne ne peut l’en faire sortir. Sable sort pourtant de sa tanière plus forte et déterminée, entraine à sa suite ses parents et le narrateur, et se rend en ville pour gronder contre les hommes qu’elle tient pour responsables de la situation. Si les adultes sont moqueurs et indifférents, les enfants, eux, sont sensibles à ce discours, et relaient auprès de leurs parents un message pour avoir une planète vivante.

Bien sûr il est question ici de Greta Thunberg – présente à la fois dans l’épigraphe et représentée en dernière page aux cotés de Sable. Mais ce serait réducteur de ne voir dans cet album qu’une fable sur cette jeune fille. D’abord en raison de la poésie du texte de Thomas Scotto, poésie de l’écriture, qui introduit dès les premières lignes le lecteur dans un univers où la syntaxe est bousculée pour faire le portrait de Sable, façon de dire qu’elle est unique. Ce travail poétique de l’écriture se poursuit tout au long du texte, et en fait la qualité : travail sur le rythme des phrases, sur l’utilisation de la phrase nominale, sur l’évocation de la nature. Ce travail sur l’écriture accompagne un récit métaphorique dont le narrateur, le compagnon de jeu de Sable, est le témoin un peu craintif, moins fin que sa compagne, à l’image d’un lecteur lambda qui voit les choses sans forcément en prendre conscience ou en mesurer les dangers potentiels : il voit bien que les litières sont plus sèches et que de plus en plus d’animaux viennent se réfugier de ce côté-ci de la forêt… Le récit fait aussi un beau portrait de personnage révolté, capable de s’indigner et d’accuser. Portrait en trois phases : l’une consacrée au jeu et à l’insouciance, l’autre liée à la prise de conscience qui isole et condamne au silence, silence dont l’auteur a la sagesse de ne pas donner les raisons, et la dernière consacrée à l’action qui prend forme d’un discours magnifiquement évoqué par le narrateur à travers les attitudes et le regard de Sable, autant que par ce qu’il croit avoir compris de ses mots. C’est finalement le regard qui prend la place de la parole : regard de Sable, regard des enfants, mais aussi regard sur la nature, façon paradoxale de souligner l’insuffisance des mots dans un texte hautement littéraire.

Mathilde Barbey accompagne ce texte plein d’esprit de juste révolte par des illustrations à base de papiers découpés, illustrations jouant sur le contraste entre un ciel bleu et froid et la chaleur de la robe de Sable, ou des couleurs des arbres, des plantes, des animaux, ou, à la fin, des banderoles portées par les enfants.

La poésie engagée de Thomas Scotto invite donc à ne pas baisser les bras, et à ne plus assister avec passivité à la destruction de la nature.