Nous sommes l’étincelle

Nous sommes l’étincelle
Vincent Villeminot

Pocket Jeunesse, 2024

L’espoir d’un avenir

Par Pauline Barge

2061, Montana, Dan et Judith pêchent au bord de la rivière, au cœur de la forêt qu’ils ont toujours connue. Ils se font capturer par un groupe de braconniers sans scrupules. Qui sont ces ennemis, ces soi-disant « cannibales » ? Et qui est cet homme dans les arbres qui tente de les sauver ?
Avec des va-et-vient sur trois générations, entre passé et présent, l’histoire se démêle petit à petit. On remonte aux origines de cette vie dans la forêt. Cette révolte, cette étincelle qui a poussé certains à se reconstruire dans un ailleurs loin de cette société, dans cette forêt hostile, mais si belle.
Le récit pousse à se questionner. Il nous plonge dans cet avenir proche et soulève toutes ces idées, ces ambitions, ces rêves d’une vie autre et meilleure. Mais cette vie utopique est-elle vraiment la solution ? Ce n’est pas un roman sur une révolution. C’est un roman sur le retour à la nature, le retour aux sources. C’est une lecture pleine de réflexion, qui nous interroge sur nous-mêmes, sur nos choix de vie, une parole engagée et poétique, mais surtout nécessaire face à ce futur incertain.

Paru en 2019, cet ouvrage est à présent en version poche. On peut entendre et voir des interviews de l’auteur sur youtube.

 

 

Je m’appelle Forêt

Je m’appelle Forêt
Anne Maussion – Alain Simon
Editions du Pourquoi Pas ?? 2024

Symphonie sylvestre

Par Michel Driol

En un long poème symphonique en trois mouvements, la forêt s’adresse au lecteur. Dans un premier mouvement, allegro, elle donne à entendre tous les sons qui la caractérisent, des plus éclatants aux plus secrets. Dans un deuxième mouvement, largo, elle déplore son espace de plus en plus restreint, sa force perdue, et ses tentatives pour se défendre. Dans un dernier mouvement, vivace, elle appelle à s’unir pour la préserver. Les illustrations accompagnent les trois mouvements dans des tonalités différentes. Un jaune éclatant pour le premier, le sombre de la nuit et le rouge de l’incendie pour le deuxième, et un blanc porteur de paix et d’espoir pour le troisième.

A la richesse écologique de la forêt correspond la richesse du lexique déployé par l’autrice. Carcophores, mycélium, nématodes, autant de mots rares, scientifiques, qui valent ici autant pour leurs sonorités que pour leur façon de nommer, de façon précise, tout le vivant qui trouve refuge dans la forêt. Mots dont on ne connait peut-être pas la signification, mais qu’importe ? Ils sont là pour dire la diversité du monde menacé. L’originalité de ce texte est de faire la part belle au registre musical, comme une façon de faire prêter l’oreille aux multiples sons de la forêt. Dès lors se multiplie le vocabulaire de la musique, notes, partition, pulsation…, comme une façon de faire de la forêt, du nom de la forêt, un chef d’œuvre aux multiples solistes qui s’accordent.  Mais cette poésie contemplative, laisse place à un chant de révolte dans lequel le lexique charge de tonalité. Il est question de cacophonie, de cris, de produits phytosanitaires.  La poésie s’engage aux côtés de la forêt face des adversaires dépeints sans ménagement, aveuglés du profit, grands humains en uniformes de politiciens. Le ton se fait amer face à l’impuissance de la forêt à se défendre, à se faire entendre, ce qu’une strophe dénonce avec vigueur :

Mais il est difficile de faire
entendre le chant de la nature
face au brouhaha des intérêts personnels.

Comment rester insensible à ce cri de détresse d’une forêt menacée, sans appuis, isolée, malmenée, encerclée ?

La fin du texte, le troisième mouvement, ouvre le choix entre la disparition de la forêt, dont la voix ne serait pas plus forte que la stridulation d’un criquet et un final tonitruant, dans lequel s’uniraient toutes les voix afin que la chanson devienne un hymne à préserver.  Cette métaphore filée de la musique assure au texte une grande cohésion et lui permet de se terminer sur une note de paix, d’harmonie universelle scellant la réconciliation de l’homme et de la nature.

L’autrice, dans sa note d’intention, évoque une écriture à voix haute. Et c’est bien de cela qu’il est question dans ce texte fait pour l’oralisation, avec ses anaphores, ses reprises, ses rythmes particuliers, ses jeux sur les sonorités. Un texte qui s’adresse à toutes et à tous pour que résonne encore longtemps le nom de la forêt vivante.

Pouce

Pouce
Raphaële Frier – Kam
Editions du Pourquoi pas ?? 2024

Insatiable ?

Par Michel Driol

Tout commence par la naissance d’un enfant attendu, mais qui nait pas plus grand qu’un pouce. Pour le faire grandir, ses parents se dévouent : il engloutit tout le lait de sa mère, puis celui d’animaux, puis les légumes du  potager qu’on fait pousser à la place de la forêt. Désespérés, les parents emmènent Pouce au plus profond de la forêt. Les animaux de la forêt se relayent alors pour le nourrir, au point que l’enfant, devenu un géant, la menace. La forêt exile alors Pouce sur  une haute montagne, où il mange des cailloux… et continue de grandir et grossir jusqu’à son réveil. Devenu volcan, il laisse échapper une lave épaisse qui engloutit tout avant de s’endormir. Au pied du volcan, la population se déchire en deux clans entre lesquels le récit ne tranche pas…

Voici un album qui, tout en conservant les caractéristiques du conte traditionnel, touche à l’écologie, bien sûr, mais aussi à la philosophie de façon très métaphorique et polysémique. Polysémie du titre d’abord, qui est à la fois le nom du héros, sorte de descendant du petit Poucet, mais aussi « Pousse », cette interjection par laquelle les enfants arrêtent un jeu. Polysémie ensuite du rapport entre le texte et les images, qui développent un autre discours en contrepoint, dans lequel on voit un paysage très naturel s’urbaniser et s’industrialiser peu à peu : maisons, centre commercial, mines, usines, c’est tout cela que détruit le volcan. Double narration donc qui fait de Pouce à la fois le personnage du conte et l’archétype de l’humanité, qui s’empare de tout, avale tout, tout pour assurer sa survie, jusqu’à tout détruire dans une coulée de lave, sans mesure, à son image.

Du conte traditionnel, l’écriture reprend les répétitions de formules symboliques et pleinement signifiantes, qui le rythment et en marquent la progression. Deux, en particulier, reviennent, l’une pour dire que le temps passe, avec l’image de l’horloge qui continue son travail, dont les aiguilles tournent toujours, inéluctable. L’autre, c’est la répétition de la formule Mange, mange, où la forêt / la montagne / le volcan /  te mangera. Cette dernière formule, comme un proverbe frappé au coin du bon sens, qui part de la bonne intention des parents de protéger le nouveau-né, subit très vite une inversion maligne, car la voracité humaine n’a pas de limite, et l’enfant, métaphoriquement, de petit poucet devient ogre… L’album nous fait glisser d’un niveau de lecture à un autre, pour nous questionner sur nos modes de vies, nos besoins, et notre rapport avec la nature environnante, jusqu’à la question finale. Devons-nous continuer à pratiquer cette philosophie qui nous oppose à la nature, comme un danger, qui nous mangera si nous ne la mangeons pas,  ou changer de mode de vie. La décroissance est-elle une option face au volcan – figure à la fois du risque naturel et figure de l’hubris humaine – qui menace de tout engloutir ? Sommes-nous condamnés à toujours conquérir d’avantage de terres, à détruire toujours plus de forêts, à détruire toujours plus la nature ou reste-t-il l’espoir d’une prise de conscience ? Si l’album ne tranche pas, le sens du récit est clair, mais laisse chaque lecteur libre de choisir une option.

Un album qui, sous la forme d’un conte, avec une belle écriture dont les formules rituelles ne demandent qu’à être oralisées, donne à voir un personnage ambigu, à la fois chétif, que tout un chacun veut protéger, un personnage qu’on abandonne plusieurs fois, mais qui devient le pire ennemi de ceux qui prennent soin de lui. Belle métaphore de l’anthropocène…

Goutte à goutte

Goutte à goutte
Philippe Ug
(Les Grandes personnes) 2024

L’eau, sur terre, sous terre…

Par Michel Driol

Philippe Ug est parmi les plus prolifiques et talentueux auteurs de pop-up contemporains. Livre jeunesse, livre d’artiste, sculpture de papier, tous ces termes s’appliquent bien pour tenter de définir ses ouvrages, et celui-ci n’y fait pas exception. En six tableaux, on assiste d’abord à la pluie, puis à une cascade. On entre ensuite sous terre, l’eau s’infiltre partout, puis on la voit créer des concrétions. Et c’est une grotte dans laquelle on la voit ruisseler, avant de la voir renaitre par les sources et jaillir, en fontaines.

Ce voyage qui suit le trajet d’une goutte d’eau  est une invitation à découvrir les mondes représentés dans ce théâtre de papier plein d’invention, où l’eau est toujours pure et blanche. Il faut voir la représentation de la pluie qui tombe, longues bandes blanches qui s’entrecroisent, créant un effet visuel étonnant. Il faut voir l’eau qui s’infiltre, dans un réseau en relief où les filets d’eau se divisent, se croisent. Mais il faut aussi voir jaillir du sol les concrétions qui montent et l’eau qui jaillit en fontaines et jeux. Le texte, court, saturé en verbes de mouvement, accompagne ce parcours vivifiant de l’eau et le commente, laissant tout l’espace aux illustrations pop-up.

On ne peut rester insensible à cette magie du pop-up, à cet accord parfait entre des illustrations, du texte, et une simple mécanique de papier qui donne du relief et du volume à des tableaux clefs, dans un univers graphique particulièrement géométrique. Il y a là une vraie recherche formelle, recherche d’effets, de surprise. Du pur travail d’artiste !

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle
Joséphine Serre

Théâtrales, juillet 2024

« La forêt se déchaîne, les vivants se soulèvent, la beauté mène l’insurrection, et à l’intérieur ça vit, ça chante, cherche, explose, ça s’étreint et se déchire, cela vit, vit, vit. »

par Lidia Filippini

M.A.D, Je te promets la forêt rebelle est une pièce engagée en faveur de la protection de la Terre.
Une jeune femme apprend à l’aéroport la mort de son frère dans une ZAD. Elle renonce alors au voyage d’affaire qui devait lui permettre de vendre un projet d’ingénierie à des start-ups pour se rendre sur les lieux où le jeune étudiant en botanique a disparu. Pacifiste et mu par le désir de vivre autrement son rapport à la terre, Frère était parti, son carnet en poche, pour recenser les espèces végétales présentes dans la ZAD. Il a été victime d’une grenade offensive, lancée par un gendarme lors d’affrontements opposant les zadistes aux forces de l’ordre.

 La ZAD est située dans une forêt qui, comme toutes les forêts, regorge de mystères. Entre les arbres, Sœur croit apercevoir Walden, le chien de son enfance. Lancée à sa poursuite, elle va rencontrer toute une galerie de personnages plus ou moins oniriques : un jardinier nommé Neil Armstrong qui, s’il avait eu un fils, aurait aimé l’appeler Judas, une fille-jaguar, une sorcière, mais aussi le fonctionnaire auteur de la bavure. Les zadistes, quant à eux, lui font entrevoir cette manière de vivre différente où chacun s’efforce de construire ensemble un « autre futur » qui avait tellement séduit son frère.

 L’enquête que mène Sœur pour comprendre ce qui est arrivé à Frère prend peu à peu la forme d’une quête identitaire. Au fil de des rencontres, la jeune femme qui, jusqu’alors ne comprenait pas l’engagement écologique et social de son frère, va voir ses certitudes vaciller.

Le texte est traversé de bout en bout par des références à Macbeth, et plus précisément à l’acte V de la pièce de Shakespeare, « La forêt qui marche » dans lequel une armée de soldats, portant chacun une branche d’arbre avance vers le château de Macbeth. Une des sorcières rencontrées pendant sa jeunesse avait bien prédit au roi : « Rien ne pourra t’arriver tant que la grande forêt ne se sera pas mise en marche contre toi. » Mais, Macbeth, qui était encore un jeune général à l’époque, avait pris cette prophétie à la légère : « Cela n’arrivera jamais ! Qui peut de force enrôler la forêt et ordonner à l’arbre d’ébranler sa racine enchaînée dans la terre ? […] notre grand Macbeth vivra jusqu’au terme normal de toute vie et rendra le dernier soupir à l’heure où tout homme doit le rendre. », s’était-il écrié, sûr de son pouvoir et de sa puissance. Dans M.A.D, la forêt rebelle, c’est celle des zadistes et des défenseurs de la nature qui, seuls, ont compris l’importance de changer notre modèle de société. M.A.D, acronyme de « monde à défendre », c’est la folie des hommes qui ne respectent plus leur planète.

Joséphine Serres s’est librement inspirée, pour écrire la pièce, de l’histoire de Rémi Fraisse, étudiant en botanique mort en 2014 lors de l’assaut d’un groupe de gendarmes. Le jeune militant écologiste occupait avec d’autres zadistes le site de Sivens, dans le Tarn, pour protester contre la construction d’un barrage. Pour Joséphine Serres, cet évènement tragique n’est pas « un fait divers mais vraiment un fait politique ». Elle considère Rémi Fraisse comme « un des premiers morts de ce qu’on pourrait appeler la guerre de l’eau en Europe ».  Très juste dans son ton, l’autrice ne verse à aucun moment dans une vision idéaliste de la ZAD. Le microcosme qu’elle dépeint (surtout d’ailleurs dans Nous habitons vos ruines, une des trois courtes pièces qui accompagnent M.A.D et qui peut être présentée « en parallèle des représentations » ou « en guise de prologue ou d’épilogue ») est loin d’être un monde parfait. On y trouve toutes sortes de gens – et même des « cons » – « [e]t ça discute tout le temps et ça s’embrouille, mais ça échange ». Car au fond, ce qui lie ce groupe hétérogène c’est bien cette idée d’échange, de partage de connaissance, la « liberté inconditionnelle de la conscience ».

Le texte est percutant et néanmoins poétique. Extrêmement bien documenté, il fait le lien, par le jeu de l’intertextualité, avec l’œuvre de Shakespeare, mais aussi avec des ouvrages plus récents, fictions, poésies ou essais (Yourcenar, Whitman, Jünger). Joséphine Serres cite également de nombreux articles donnant envie au lecteur de les lire à son tour. On plonge dans le texte en commençant par la fin, la mort de Frère, dans un troisième chapitre intitulé « Anekdiegesis » (un monde privé de récit). Une voix s’est éteinte, celle du jeune homme d’où tout est parti. On découvre ce qu’était cette voix en remontant le cours du récit grâce à l’enquête de Sœur qui se termine au chapitre un « Homo Sapiens. Humilis. ». Devenir des « humain[s], humble[s], sage[s] de la terre », tel est le message de M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle qui nous engage à faire entendre, à notre tour, notre voix.
La pièce a été jouée en juin 2024 au Théâtre de la Tempête à Paris, mise en scène par Joséphine Serres qui interprétait plusieurs personnages.

 

Au gré du vent

Au gré du vent
Mapi, Emmanuele Benetti
A2Mimo, 2024

A bas les murs !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un petit village tranquille où chacun vaque à ses occupations, quand soudain… tout simplement arrive le vent. Le vent pendant trois jours et trois nuits, avec ses bruits et ses odeurs, c’est bien fatiguant et ça dérange beaucoup d’activités. Les habitants, menés par le maire décident de faire quelque chose, de construire un mur par exemple. Et ils le font, hélas.
Cette jolie fable illustre les dangers des décisions trop radicales face au changement. Elle invite à s’adapter plutôt (belle leçon en temps de changement climatique). Elle illustre aussi les dangers de l’enfermement, de manière imagée : on ne voit pas les fleurs qui surgissent au printemps, on ne comprend que tardivement que c’est le vent qui les a apportées.
Les illustrations en noir et blanc, en style naïf, mettent l’accent sur le caractère villageois et bon enfant de cette histoire (les actualités sinistres sont ainsi éloignées). Sur ce fond monochrome les volutes vert pistache du vent se répandent et mettent une belle animation.

 

Mori

Mori
Marie Colot, Noémie Marsily

Cotcotcot éditions, (« Les Randonnées Graphiques »), 2024

Mori : une forêt en plein Tokyo

Par Lidia Filippini

Au cœur de Tokyo, Mikiko vit seule avec sa mère. Son père a disparu un jour de séisme, « à cause de la fissure ». Depuis, Mikiko a peur du noir. Elle tousse et se sent triste. La nuit, quand sa mère travaille, elle se blottit contre Ma-san, la vieille voisine qui la garde. Puis, Ma-san disparaît à son tour. Mikiko a huit ans. Curieuse, elle pénètre dans l’appartement désormais vide de sa voisine et ce qu’elle y découvre va changer sa vie. Par la fenêtre d’une pièce qu’elle ne connaissait pas, elle aperçoit une forêt. « Yappari… ça a l’air d’un endroit fabuleux pour jouer », lance-t-elle.
Cette forêt urbaine sera le lieu de nombreuses rencontres. Celle, surtout, avec le botaniste Akira Miyawaki, son voisin dans le roman, créateur de ce miracle végétal. Dans le monde réel, ce scientifique japonais est connu pour avoir développé des forêts sur des parcelles dénuées d’arbres. Sa « méthode » consiste à planter uniquement des essences autochtones et à les laisser proliférer à leur guise créant ainsi une forêt « quasi naturelle » en quelques années seulement. Il a reçu le Blue Planet Prize, équivalent du Prix Nobel dans son domaine, en 2006 pour ses travaux et leur mise en pratique.  Dans le roman, Miyawaki est un vieil homme joyeux qui prend la jeune Mikiko sous son aile, en fait son assistante et l’encourage à développer son talent pour le dessin en s’inspirant des végétaux alentour. Grâce à lui, et à son chat, la petite fille se sent moins seule et reprend goût à la vie.
Les arbres grandissent et Mikiko avec eux. Elle a dix ans quand Kakuzo, le neveu de Miyawaki, vient vivre avec son oncle à Tokyo. Le jeune homme, qu’elle n’apprécie guère au début, devient vite son ami. À quinze ans, Mikiko comprend qu’elle l’aime et qu’elle partagera sa vie avec lui. Miyawaki n’est presque plus jamais à Tokyo. Il passe son temps à l’étranger où son savoir est précieux pour faire naître de nouvelles forêts urbaines. Les jeunes gens font prospérer la leur et entrent peu à peu dans l’âge adulte. Avec la mort de Miyawaki, ils deviennent les gardiens de ce lieu plein de promesses. L’image de la jeune femme enceinte, à la fin du roman, dans une tenue similaire à celle que portait sa propre mère, enceinte elle aussi, lors de son emménagement dans leur appartement tokyoïte, vient boucler un cycle et préfigure une nouvelle ère.
Mori (« forêt » en japonais) est un excellent docu-fiction graphique.
Des aquarelles colorées et enfantines de Noémie Marsily se dégage une certaine douceur, une légèreté qui fait du bien. L’illustratrice avoue n’être jamais allée à Tokyo, pourtant, on s’y croirait. Au fil des pages, les personnages, tracés à l’encre, grandissent en même temps que la forêt s’épanouit. Peu à peu, la ville semble s’effacer, cédant la place à la végétation foisonnante et lumineuse, pour le plus grand bonheur du lecteur.
Marie Colot, quant à elle, offre un récit poétique à l’écriture limpide dans lequel on prend plaisir à se glisser. Son texte, très documenté, est l’occasion de découvrir les forêts urbaines. Micro-poumons dans la ville, ces îlots de fraîcheur, souvent gérés sur un mode participatif, offrent de nombreux avantages. Ils améliorent la qualité de l’air mais aussi celle des sols. Ils contribuent également à lutter contre le réchauffement climatique et constituent ainsi un espoir de vie meilleure pour tous les citadins. En grande connaisseuse du Pays du soleil levant, l’autrice parsème son récit de mots et expressions japonais qui sont recensés, ainsi que de nombreuses informations relatives à la culture nippone, à la fin de l’ouvrage. De quoi plaire aux passionnés du Japon.

 

Vivantes !

Vivantes !
Stéphane Bientz
Editions espaces 34 – 2024

BC-BG : Béton –ciment, bitume-goudron

Par Michel Driol

Trois enfants, deux gamines, Nil et Ursula, et un gamin Griotte, dans une cité où ne survit qu’un seul arbre, sous serre, protégé par la Fondation Vitalenergies d’Hugo Formenton, dont en entend la voix et les discours à la radio. Nil aimerait bien préparer une chorégraphie pour la gagner le premier prix à la fête des 300 ans de l’arbre, bientôt. Mais survient Ursula, qui, bravant les interdits, pénètre dans la serre et y verse de l’eau.

 C’est un texte de théâtre contemporain à plus d’un titre. D’abord par sa forme, mêlant le récit au dialogue, dans des scènes brèves et percutantes campant bien les personnages et leurs relations dans une langue très vivante. Ensuite par la thématique qu’il aborde, celle de la sauvegarde de la planète. Nous sommes dans un monde dont la nature est absente, et où la canicule règne. Dans un monde où seront dévoilées les véritables intentions de Vitalenergies, la fondation dont il suffit de changer une lettre pour trouver – peut-être – son modèle hors du théâtre. Ce qui se joue sur le plateau est donc très politique, et montre en quoi, pour certains grands groupes, l’écologie est un frein plus qu’un moteur. Mais c’est aussi un texte très imagé et très poétique, avec un symbole fort, celui du lierre, qui pousse à cause des actions d’Ursula, actions de désobéissance propres à faire revivre la nature.

Vivantes, dernier mot du texte, exprime bien une vision de notre monde, propose une façon de faire renaitre la joie dans un monde gris, et montre le pouvoir des enfants de pouvoir régénérer la nature, en s’affranchissant des interdits, dans un univers très poétique.

Le Doudou partagé

Le Doudou partagé
Yves-Marie Clément, Anne-Isabelle Lucas
Sarbacane, 2024

Pour accueillir un bébé

Par Anne-Marie Mercier

Un « doudou partagé », quelle drôle d’idée !
Un bébé nait dans une famille qui a décidé de vivre de manière éco-responsable. On évite les achats inutiles et on réutilise les vêtements de l’enfant précédent, la narratrice, qui s’enthousiasme de la bonne idée : les pyjamas mille fois lavés sont plus doux, les livres qu’on a lus mille fois et gardés sont les meilleurs… elle va jusqu’à offrir d’elle-même son doudou lapin, revenant sur tous les beaux moments qu’elle a passés avec lui.
Si on peut avoir des doutes sur l’excellence de l’idée (on ne choisit pas un doudou, c’est l’enfant qui le choisit), la joie de la petite fille est charmante. Les images sont simples et belles, en bichromie sur le fond blanc qui ressort parfois dans la couleur : des pages jaunes, rouges ou vertes soulignées de tracés noirs (une page, celle qui évoque la transmission des jouets, est en quadrichromie). Les formes sont simples, et font voir tout un univers enfantin. Le texte, en cursive, semble porter la voix de l’enfant.
Il reste que malgré sa simplicité apparente, une ambiguïté demeure dans cet album. On peut supposer que ce partage est davantage une idée qu’une réalité, une projection sur une relation future plutôt qu’un accord réciproque : ce doudou est, d’après la narratrice, un « cadeau ». Mais l’image de couverture et une page à l’intérieur de l’album semblent montrer que le cadeau n’en serait pas un mais qu’il serait bien un « partage », un cadeau à la mode enfantine (je garde mais tu peux en profiter si je veux), en attendant le moment hypothétique ou le doudou serait véritablement transmis .

Indrazaal et la quête de l’océan

Indrazaal et la quête de l’océan
Kama La Mackerel – illustrations de Nátali de Melli
Kata 2024

Un récit initiatique pour prendre soin de la nature

Par Michel Driol

Indrizaal vit au sommet d’une montagne, au centre d’une ile. Une nuit, iel rêve d’une vieille dame, la mère de l’océan, signe  qu’il est temps de prendre la route vers l’océan. La montagne d’abord lui indique le chemin, lui révélant la création du monde, et l’initiant aux semences des plantes. Plus loin, les flamboyants racontent leur odyssée depuis une autre ile. Les roussettes volantes, à leur tour,  lui indiquent leur rôle dans la dispersion des pépins des fruits. Après avoir salué animaux et insectes divers, iel rencontre les mangroves, qui le renseignent sur leur origine et leur rôle écologique. Enfin c’est l’océan, et les retrouvailles avec la vieille dame, qui affirme être là pour protéger ses enfants.

L’album se situe entre le conte merveilleux, où les plantes et les animaux parlent, et le documentaire écologique où sont expliquées les origines de la vie et de la végétation sur une ile, et ce qui y maintient un équilibre en permettant la symbiose des plantes et des animaux. Du conte, on retrouve la quête initiatique d’un personnage touchant, désireux de découvrir, d’apprendre, et les répétitions de situations, de formules de salutation ou de départ, et le fait que toute la nature parle.  Du documentaire scientifique, géologique et botanique, on conserve les noms des plantes ou des animaux, leurs caractéristiques biologiques, des précisions relatives à leur rôle dans la nature. Avec douceur et poésie, l’album aborde avec bienveillance la relation entre l’humain et la nature, et laisse entrevoir, sans le nommer, le respect qui doit exister au sein du vivant, dans une perspective presque animiste. Un mot sur le personnage principal, Indrazaal, non binaire, désigné par le pronom iel, représenté comme un enfant au genre indifférencié, peut-être à l’image de Kama La Mackerel, artiste multidisciplinaire, educateur·ice,  auteur·ice, médiateur·ice culturelle,  traducteur·ice littéraire mauricienne-canadienne. Quant aux illustrations, elles laissent exploser les couleurs vives pour sublimer une nature luxuriante et variée. Dans les pages de garde, Kama explique le point de départ de cette histoire, la catastrophe écologique causée par le naufrage d’un vraquier japonais en juillet 2020, au sud-est de Maurice.

Une conte écologique, inspiré de l’île natale de l’autrice, pour parler de la découverte de la beauté d’un lieu précieux mais menacé, et inviter à en prendre soin..