Une île st née

Une île st née
Virginie Aladjidi et Caroline Pellissier- illustrations de  Manon Diemer
Saltimbanque 2025

Quand la nature accueille la vie

Par Michel Driol

Quelque part au sud de l’Islande, en 1963, l’éruption d’un volcan donne naissance à une ile, qu’on baptisera Surtsey. Ce documentaire retrace son histoire, et chronologiquement montre comment des traces de vie, d’abord infimes, s’y implantent. Aujourd’hui cette ile est vierge, véritable laboratoire à ciel ouvert, réserve naturelle accessible seulement aux chercheurs quelques jours par an.

L’album se présente comme un livre de bord, avec quelques notations datées en bas de page, et une grande illustration dans des teintes bleutés. On peut ainsi suivre pas à pas, heure par heure, d’abord l’éruption du volcan, Pendant près de trois ans, tant que la lave coule, seuls quelques oiseaux ou insectes survolent l’ile, sans s’y installer. La première plante à y pousser ne résiste pas aux laves qui proviennent d’une ile éphémère voisine. Puis fleurs et lichens apparaissent, des oiseaux viennent nicher, leurs déjections fertilisant le sol sur lequel prospère la végétation. La dernière image montre une vie prospère, variée, forte et belle.

Basé sur des observations scientifiques, le texte énonce des faits, mettant à distance toute émotion (si l’on omet quelques points d’exclamation) jusqu’à la dernière phrase, adressée directement au lecteur, explicitant ce qui était sous-jacent, la beauté et la force de la vie capable de s’installer dans des conditions extrêmes. Les illustrations, au contraire, parfaitement cadrées, soulignent la beauté et le merveilleux de cette naissance dans une atmosphère à la fois réaliste – voir par exemple la délicatesse de la représentation des plantes, des oiseaux, des mammifères – et onirique – dans la représentation de  la lave, du minéral, qui confèrent aux illustrations cette impression de création du monde.

Entre réalisme scientifique et poésie (rappelons les liens étymologiques entre la poésie et la création), un magnifique album qui laisse rêveur, contemplatif, face à la force de la vie et à ses conditions d’apparition dans des milieux hostiles.

Savez-vous planter les choux ?

Savez-vous planter les choux ?
Pauline Kalioujny
Thierry Magnier 2025

Dans les choux, les pesticides !

Par Michel Driol

Détournant une nouvelle fois une célèbre chanson enfantine, et reprenant  sa petite héroïne, Pauline Kalioujny alerte contre l’usage intensif de produits chimiques dans l’agriculture. Le texte propose, page après page, les paroles de la chanson qui lui donne son titre. Mais les illustrations racontent, bien sûr, une toute autre histoire. Tout commence par une fillette, au milieu d’un champ de choux, dans un univers tout vert, peuplé d’une foule d’animaux vivant paisiblement. Cet univers vert est soudain taché de rouge, par les produits suffocants qui sortent d’un pulvérisateur. Les pages suivants sont, peu à peu, envahies d’engins de plus en plus gros, qui déracinent les haies, détruisent le sol, de techniciens agricoles qui répandent partout leurs produits, faisant fuir les animaux, au grand dam de la fillette, qui assiste, impuissante, à au grand remplacement du vert par le rouge. Jusqu’à la page finale, qui s’ouvre en rabats, et montre la fillette chevauchant une taupe géante pour faire fuir les hommes en rouge.

Suivent quatre pages très documentées, les deux premières expliquant ce que sont les pesticides et leurs effets sur la biodiversité, tout en signalant d’autres modèles agricoles possibles. Quant aux deux dernières pages, elles donnent des conseils très concrets pour limiter l’impact de ces produits.

On le voit, le détournement de la comptine est au service de l’engagement constant de l’autrice pour le respect de la nature et du vivant, l’écologie. Elle illustre sa thèse de façon à la fois très visuelle et pleine d’inventivité. On a déjà signalé l’utilisation des deux couleurs, le vert et le rouge, couleurs symboliques à plus d’un titre, couleurs qui donnent à voir aux plus jeunes les bonnes pratiques et les mauvais usages d’une agriculture productiviste. Signalons aussi la richesse des détails des illustrations qui ne manquent pas d’humour dans l’attitude de cette grenouille repue, par exemple, ou les petits êtres à la fois humains et végétaux.

Invitation à cultiver son jardin, sans intrants, utilisation malicieuse d’une chanson bien connue,  on prend grand plaisir à savourer cet album, œuvre de plasticienne autant que d’autrice engagée.

Entre terre et eau

Entre terre et eau
Eva Moraal, Marieke ten Berge (gravures)
Traduit et adapté (néerlandais) par Catherine Tron-Mulder
Rue du monde, 2024

Tout un monde gravé

Par Anne-Marie Mercier

Cette superbe encyclopédie des animaux est aussi très représentative de ce règne : les uns sont terrestres (blaireau, putois, lièvre et lapin, hérisson, campagnol, d’autres aquatiques (castor, triton, grenouille, taupe, chevreuil…), d’autres aériens (hirondelle, oie sauvage, héron, martinet, faucon, chouette chevêche, gorge bleue à miroir blanc…). Ajoutons quelques insectes (Anax empereur ou libellule, grand sphinx de la vigne), un serpent (couleuvre helvétique), un escargot (le vertigo de des Moulins), et après le parcours de cet album on aura appris bien des choses.
Chaque animal a sa double page, une image pleine page à gauche, le texte à droite (c’est inhabituel et cela montre bien l’importance de celui-ci). Composé en petits pavés de courts paragraphes qui facilitent la lecture, il est rédigé sur un ton alerte, s’adressant souvent au lecteur pour souligner les choses étonnantes ou embrayer dès les premières lignes avec un détail qui va capter l’attention. Par exemple, pour l’avocette élégante : « ne t’inquiète pas, mon aile n’est pas cassée. Je fais juste semblant d’être blessée pour éloigner ce renard de mes poussins ». Ou pour le vanneau huppé : « Eh, toi ! Ne t’approche pas trop de mon nid ! Je vous connais, vous les humains. Pendant des siècles vous êtes venus voler nos œufs pour les manger. Aux Pays-Bas on fêtait même l’arrivée du printemps en présentant au commissaire du roi, au maire ou à la reine, le premier œuf de vanneau huppé ». Quant au martinet il affirme : « je suis un sportif de haut niveau ». L’oie interpelle : « tu as vu ? c’est moi qui vole en tête ».
Parfois avec humour, parfois avec fierté, un peu à la manière de la revue La Hulotte, l’animal révèle les traits essentiels de son espèce : habitat, alimentation, chant ou cri, parade nuptiale et reproduction, élevage des petits, dangers, espace de vie, et pour certains les menaces actuelles liées à l’activité humaine.
On trouve quelques records qui plairont également aux encyclopédistes en herbe, comme celui de la taille du plus grand barrage de castors (800m), le nombres d’insectes attrapés en une journée par le martinet (20 000), ou des bizarreries comme le cri de la bécassine imitant le bruit d’un cheval au galop à la saison des amours, les mœurs curieuses des faeders, sous espèce primitive d’un oiseau appelé combattant varié, etc. tout est passionnant et écrit avec brio.
Mais c’est aussi par ses images que cet album captive. Les gravures de Marieke ten Berge sont magnifiques : belles couleurs, souvent en camaïeu, postures variées des animaux montrés dans leur habitat ou en pleine activité, seuls ou en groupes, tout est beau. L’impression est d’une remarquable qualité, la reliure solide. C’est un livre fait pour durer, n régal pour les yeux et l’esprit, un trésor à mettre entre toutes les mains.

L’Arbrophone

L’Arbrophone
Donatienne Ranc – Barim
Editions du Pourquoi pas ?? 2025

Parler avec les arbres…

Par Michel Driol

A l’aide d’Amandine, Lou s’est construit une cabane dans son châtaigner préféré, Châty.  Une nuit, elle entend de drôles de bruits dans l’arbre, dont elle note le rythme sur son carnet. Comprenant que c’est l’arbre qui lui parle dans une sorte de morse, elle se débrouille pour le décoder, et, à l’aide d’Amandine, construit à partir d’un vieux gramophone un traducteur instantané. Les deux fillettes invitent tout le village à venir écouter ce que l’arbre a à dire.

Voilà un texte qui hésite entre le conte et le cri d’alerte. Du conte, on retient la cabane, le lien mystérieux qui unit la fillette et un élément de la nature, l’arbre. Du conte, on retient aussi l’utilisation poétique des vieux objets, comme un vieux gramophone, et non un banal ordinateur, pour transformer en paroles les signaux de l’arbre. Du conte, on retient aussi que les arbres peuvent parler le langage des hommes, et même le français ! Le cri d’alerte, il est porté par la voix de l’arbre, qui s’adresse aux hommes, à leur hubris, dans leur volonté de tout surexploiter, et dans la façon dont l’arbre fait connaitre son cahier de doléances. Face à l’urgence, le texte se fait alors moins poétique et plus militant. Cette hésitation est-elle la marque des limites du conte, de la poésie, du rêve pour dire l’urgence ? L’arbre qui parle un langage clair, explicite, argumenté et grave dit l’urgence dans laquelle nous sommes, et les impasses où nous conduit un certain type de rapports avec la nature.  Le récit se clôt par une fin heureusement ouverte, laissant entrevoir différents scénarios, différentes réactions pour sauver la nature, qui peuvent donner à réfléchir le lecteur.

Comme toujours, la langue de l’autrice est une langue de conteuse, une langue faite pour l’oral, avec sa respiration, son jeu sur les sonorités. C’est elle qui reprend les paroles de Châty, dans un discours indirect qui autorise les anaphores, les énumérations, lui donne du souffle. Les illustrations de Barim, dans des dominantes complémentaires de rouge et de vert, sont pleines de gaité et de fantaisie.

Un récit dont les hésitations, la double appartenance générique, disent bien les questions que se posent aujourd’hui les autrices et auteurs de littérature jeunesse face aux messages environnementaux à faire passer aux jeunes générations ? Quelle place y donner à l’imaginaire ?  Quelle place y donner au cri d’alarme ?

Nous sommes l’étincelle

Nous sommes l’étincelle
Vincent Villeminot

Pocket Jeunesse, 2024

L’espoir d’un avenir

Par Pauline Barge

2061, Montana, Dan et Judith pêchent au bord de la rivière, au cœur de la forêt qu’ils ont toujours connue. Ils se font capturer par un groupe de braconniers sans scrupules. Qui sont ces ennemis, ces soi-disant « cannibales » ? Et qui est cet homme dans les arbres qui tente de les sauver ?
Avec des va-et-vient sur trois générations, entre passé et présent, l’histoire se démêle petit à petit. On remonte aux origines de cette vie dans la forêt. Cette révolte, cette étincelle qui a poussé certains à se reconstruire dans un ailleurs loin de cette société, dans cette forêt hostile, mais si belle.
Le récit pousse à se questionner. Il nous plonge dans cet avenir proche et soulève toutes ces idées, ces ambitions, ces rêves d’une vie autre et meilleure. Mais cette vie utopique est-elle vraiment la solution ? Ce n’est pas un roman sur une révolution. C’est un roman sur le retour à la nature, le retour aux sources. C’est une lecture pleine de réflexion, qui nous interroge sur nous-mêmes, sur nos choix de vie, une parole engagée et poétique, mais surtout nécessaire face à ce futur incertain.

Paru en 2019, cet ouvrage est à présent en version poche. On peut entendre et voir des interviews de l’auteur sur youtube.

 

 

Je m’appelle Forêt

Je m’appelle Forêt
Anne Maussion – Alain Simon
Editions du Pourquoi Pas ?? 2024

Symphonie sylvestre

Par Michel Driol

En un long poème symphonique en trois mouvements, la forêt s’adresse au lecteur. Dans un premier mouvement, allegro, elle donne à entendre tous les sons qui la caractérisent, des plus éclatants aux plus secrets. Dans un deuxième mouvement, largo, elle déplore son espace de plus en plus restreint, sa force perdue, et ses tentatives pour se défendre. Dans un dernier mouvement, vivace, elle appelle à s’unir pour la préserver. Les illustrations accompagnent les trois mouvements dans des tonalités différentes. Un jaune éclatant pour le premier, le sombre de la nuit et le rouge de l’incendie pour le deuxième, et un blanc porteur de paix et d’espoir pour le troisième.

A la richesse écologique de la forêt correspond la richesse du lexique déployé par l’autrice. Carcophores, mycélium, nématodes, autant de mots rares, scientifiques, qui valent ici autant pour leurs sonorités que pour leur façon de nommer, de façon précise, tout le vivant qui trouve refuge dans la forêt. Mots dont on ne connait peut-être pas la signification, mais qu’importe ? Ils sont là pour dire la diversité du monde menacé. L’originalité de ce texte est de faire la part belle au registre musical, comme une façon de faire prêter l’oreille aux multiples sons de la forêt. Dès lors se multiplie le vocabulaire de la musique, notes, partition, pulsation…, comme une façon de faire de la forêt, du nom de la forêt, un chef d’œuvre aux multiples solistes qui s’accordent.  Mais cette poésie contemplative, laisse place à un chant de révolte dans lequel le lexique charge de tonalité. Il est question de cacophonie, de cris, de produits phytosanitaires.  La poésie s’engage aux côtés de la forêt face des adversaires dépeints sans ménagement, aveuglés du profit, grands humains en uniformes de politiciens. Le ton se fait amer face à l’impuissance de la forêt à se défendre, à se faire entendre, ce qu’une strophe dénonce avec vigueur :

Mais il est difficile de faire
entendre le chant de la nature
face au brouhaha des intérêts personnels.

Comment rester insensible à ce cri de détresse d’une forêt menacée, sans appuis, isolée, malmenée, encerclée ?

La fin du texte, le troisième mouvement, ouvre le choix entre la disparition de la forêt, dont la voix ne serait pas plus forte que la stridulation d’un criquet et un final tonitruant, dans lequel s’uniraient toutes les voix afin que la chanson devienne un hymne à préserver.  Cette métaphore filée de la musique assure au texte une grande cohésion et lui permet de se terminer sur une note de paix, d’harmonie universelle scellant la réconciliation de l’homme et de la nature.

L’autrice, dans sa note d’intention, évoque une écriture à voix haute. Et c’est bien de cela qu’il est question dans ce texte fait pour l’oralisation, avec ses anaphores, ses reprises, ses rythmes particuliers, ses jeux sur les sonorités. Un texte qui s’adresse à toutes et à tous pour que résonne encore longtemps le nom de la forêt vivante.

Pouce

Pouce
Raphaële Frier – Kam
Editions du Pourquoi pas ?? 2024

Insatiable ?

Par Michel Driol

Tout commence par la naissance d’un enfant attendu, mais qui nait pas plus grand qu’un pouce. Pour le faire grandir, ses parents se dévouent : il engloutit tout le lait de sa mère, puis celui d’animaux, puis les légumes du  potager qu’on fait pousser à la place de la forêt. Désespérés, les parents emmènent Pouce au plus profond de la forêt. Les animaux de la forêt se relayent alors pour le nourrir, au point que l’enfant, devenu un géant, la menace. La forêt exile alors Pouce sur  une haute montagne, où il mange des cailloux… et continue de grandir et grossir jusqu’à son réveil. Devenu volcan, il laisse échapper une lave épaisse qui engloutit tout avant de s’endormir. Au pied du volcan, la population se déchire en deux clans entre lesquels le récit ne tranche pas…

Voici un album qui, tout en conservant les caractéristiques du conte traditionnel, touche à l’écologie, bien sûr, mais aussi à la philosophie de façon très métaphorique et polysémique. Polysémie du titre d’abord, qui est à la fois le nom du héros, sorte de descendant du petit Poucet, mais aussi « Pousse », cette interjection par laquelle les enfants arrêtent un jeu. Polysémie ensuite du rapport entre le texte et les images, qui développent un autre discours en contrepoint, dans lequel on voit un paysage très naturel s’urbaniser et s’industrialiser peu à peu : maisons, centre commercial, mines, usines, c’est tout cela que détruit le volcan. Double narration donc qui fait de Pouce à la fois le personnage du conte et l’archétype de l’humanité, qui s’empare de tout, avale tout, tout pour assurer sa survie, jusqu’à tout détruire dans une coulée de lave, sans mesure, à son image.

Du conte traditionnel, l’écriture reprend les répétitions de formules symboliques et pleinement signifiantes, qui le rythment et en marquent la progression. Deux, en particulier, reviennent, l’une pour dire que le temps passe, avec l’image de l’horloge qui continue son travail, dont les aiguilles tournent toujours, inéluctable. L’autre, c’est la répétition de la formule Mange, mange, où la forêt / la montagne / le volcan /  te mangera. Cette dernière formule, comme un proverbe frappé au coin du bon sens, qui part de la bonne intention des parents de protéger le nouveau-né, subit très vite une inversion maligne, car la voracité humaine n’a pas de limite, et l’enfant, métaphoriquement, de petit poucet devient ogre… L’album nous fait glisser d’un niveau de lecture à un autre, pour nous questionner sur nos modes de vies, nos besoins, et notre rapport avec la nature environnante, jusqu’à la question finale. Devons-nous continuer à pratiquer cette philosophie qui nous oppose à la nature, comme un danger, qui nous mangera si nous ne la mangeons pas,  ou changer de mode de vie. La décroissance est-elle une option face au volcan – figure à la fois du risque naturel et figure de l’hubris humaine – qui menace de tout engloutir ? Sommes-nous condamnés à toujours conquérir d’avantage de terres, à détruire toujours plus de forêts, à détruire toujours plus la nature ou reste-t-il l’espoir d’une prise de conscience ? Si l’album ne tranche pas, le sens du récit est clair, mais laisse chaque lecteur libre de choisir une option.

Un album qui, sous la forme d’un conte, avec une belle écriture dont les formules rituelles ne demandent qu’à être oralisées, donne à voir un personnage ambigu, à la fois chétif, que tout un chacun veut protéger, un personnage qu’on abandonne plusieurs fois, mais qui devient le pire ennemi de ceux qui prennent soin de lui. Belle métaphore de l’anthropocène…

Goutte à goutte

Goutte à goutte
Philippe Ug
(Les Grandes personnes) 2024

L’eau, sur terre, sous terre…

Par Michel Driol

Philippe Ug est parmi les plus prolifiques et talentueux auteurs de pop-up contemporains. Livre jeunesse, livre d’artiste, sculpture de papier, tous ces termes s’appliquent bien pour tenter de définir ses ouvrages, et celui-ci n’y fait pas exception. En six tableaux, on assiste d’abord à la pluie, puis à une cascade. On entre ensuite sous terre, l’eau s’infiltre partout, puis on la voit créer des concrétions. Et c’est une grotte dans laquelle on la voit ruisseler, avant de la voir renaitre par les sources et jaillir, en fontaines.

Ce voyage qui suit le trajet d’une goutte d’eau  est une invitation à découvrir les mondes représentés dans ce théâtre de papier plein d’invention, où l’eau est toujours pure et blanche. Il faut voir la représentation de la pluie qui tombe, longues bandes blanches qui s’entrecroisent, créant un effet visuel étonnant. Il faut voir l’eau qui s’infiltre, dans un réseau en relief où les filets d’eau se divisent, se croisent. Mais il faut aussi voir jaillir du sol les concrétions qui montent et l’eau qui jaillit en fontaines et jeux. Le texte, court, saturé en verbes de mouvement, accompagne ce parcours vivifiant de l’eau et le commente, laissant tout l’espace aux illustrations pop-up.

On ne peut rester insensible à cette magie du pop-up, à cet accord parfait entre des illustrations, du texte, et une simple mécanique de papier qui donne du relief et du volume à des tableaux clefs, dans un univers graphique particulièrement géométrique. Il y a là une vraie recherche formelle, recherche d’effets, de surprise. Du pur travail d’artiste !

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle

M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle
Joséphine Serre

Théâtrales, juillet 2024

« La forêt se déchaîne, les vivants se soulèvent, la beauté mène l’insurrection, et à l’intérieur ça vit, ça chante, cherche, explose, ça s’étreint et se déchire, cela vit, vit, vit. »

par Lidia Filippini

M.A.D, Je te promets la forêt rebelle est une pièce engagée en faveur de la protection de la Terre.
Une jeune femme apprend à l’aéroport la mort de son frère dans une ZAD. Elle renonce alors au voyage d’affaire qui devait lui permettre de vendre un projet d’ingénierie à des start-ups pour se rendre sur les lieux où le jeune étudiant en botanique a disparu. Pacifiste et mu par le désir de vivre autrement son rapport à la terre, Frère était parti, son carnet en poche, pour recenser les espèces végétales présentes dans la ZAD. Il a été victime d’une grenade offensive, lancée par un gendarme lors d’affrontements opposant les zadistes aux forces de l’ordre.

 La ZAD est située dans une forêt qui, comme toutes les forêts, regorge de mystères. Entre les arbres, Sœur croit apercevoir Walden, le chien de son enfance. Lancée à sa poursuite, elle va rencontrer toute une galerie de personnages plus ou moins oniriques : un jardinier nommé Neil Armstrong qui, s’il avait eu un fils, aurait aimé l’appeler Judas, une fille-jaguar, une sorcière, mais aussi le fonctionnaire auteur de la bavure. Les zadistes, quant à eux, lui font entrevoir cette manière de vivre différente où chacun s’efforce de construire ensemble un « autre futur » qui avait tellement séduit son frère.

 L’enquête que mène Sœur pour comprendre ce qui est arrivé à Frère prend peu à peu la forme d’une quête identitaire. Au fil de des rencontres, la jeune femme qui, jusqu’alors ne comprenait pas l’engagement écologique et social de son frère, va voir ses certitudes vaciller.

Le texte est traversé de bout en bout par des références à Macbeth, et plus précisément à l’acte V de la pièce de Shakespeare, « La forêt qui marche » dans lequel une armée de soldats, portant chacun une branche d’arbre avance vers le château de Macbeth. Une des sorcières rencontrées pendant sa jeunesse avait bien prédit au roi : « Rien ne pourra t’arriver tant que la grande forêt ne se sera pas mise en marche contre toi. » Mais, Macbeth, qui était encore un jeune général à l’époque, avait pris cette prophétie à la légère : « Cela n’arrivera jamais ! Qui peut de force enrôler la forêt et ordonner à l’arbre d’ébranler sa racine enchaînée dans la terre ? […] notre grand Macbeth vivra jusqu’au terme normal de toute vie et rendra le dernier soupir à l’heure où tout homme doit le rendre. », s’était-il écrié, sûr de son pouvoir et de sa puissance. Dans M.A.D, la forêt rebelle, c’est celle des zadistes et des défenseurs de la nature qui, seuls, ont compris l’importance de changer notre modèle de société. M.A.D, acronyme de « monde à défendre », c’est la folie des hommes qui ne respectent plus leur planète.

Joséphine Serres s’est librement inspirée, pour écrire la pièce, de l’histoire de Rémi Fraisse, étudiant en botanique mort en 2014 lors de l’assaut d’un groupe de gendarmes. Le jeune militant écologiste occupait avec d’autres zadistes le site de Sivens, dans le Tarn, pour protester contre la construction d’un barrage. Pour Joséphine Serres, cet évènement tragique n’est pas « un fait divers mais vraiment un fait politique ». Elle considère Rémi Fraisse comme « un des premiers morts de ce qu’on pourrait appeler la guerre de l’eau en Europe ».  Très juste dans son ton, l’autrice ne verse à aucun moment dans une vision idéaliste de la ZAD. Le microcosme qu’elle dépeint (surtout d’ailleurs dans Nous habitons vos ruines, une des trois courtes pièces qui accompagnent M.A.D et qui peut être présentée « en parallèle des représentations » ou « en guise de prologue ou d’épilogue ») est loin d’être un monde parfait. On y trouve toutes sortes de gens – et même des « cons » – « [e]t ça discute tout le temps et ça s’embrouille, mais ça échange ». Car au fond, ce qui lie ce groupe hétérogène c’est bien cette idée d’échange, de partage de connaissance, la « liberté inconditionnelle de la conscience ».

Le texte est percutant et néanmoins poétique. Extrêmement bien documenté, il fait le lien, par le jeu de l’intertextualité, avec l’œuvre de Shakespeare, mais aussi avec des ouvrages plus récents, fictions, poésies ou essais (Yourcenar, Whitman, Jünger). Joséphine Serres cite également de nombreux articles donnant envie au lecteur de les lire à son tour. On plonge dans le texte en commençant par la fin, la mort de Frère, dans un troisième chapitre intitulé « Anekdiegesis » (un monde privé de récit). Une voix s’est éteinte, celle du jeune homme d’où tout est parti. On découvre ce qu’était cette voix en remontant le cours du récit grâce à l’enquête de Sœur qui se termine au chapitre un « Homo Sapiens. Humilis. ». Devenir des « humain[s], humble[s], sage[s] de la terre », tel est le message de M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle qui nous engage à faire entendre, à notre tour, notre voix.
La pièce a été jouée en juin 2024 au Théâtre de la Tempête à Paris, mise en scène par Joséphine Serres qui interprétait plusieurs personnages.

 

Au gré du vent

Au gré du vent
Mapi, Emmanuele Benetti
A2Mimo, 2024

A bas les murs !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un petit village tranquille où chacun vaque à ses occupations, quand soudain… tout simplement arrive le vent. Le vent pendant trois jours et trois nuits, avec ses bruits et ses odeurs, c’est bien fatiguant et ça dérange beaucoup d’activités. Les habitants, menés par le maire décident de faire quelque chose, de construire un mur par exemple. Et ils le font, hélas.
Cette jolie fable illustre les dangers des décisions trop radicales face au changement. Elle invite à s’adapter plutôt (belle leçon en temps de changement climatique). Elle illustre aussi les dangers de l’enfermement, de manière imagée : on ne voit pas les fleurs qui surgissent au printemps, on ne comprend que tardivement que c’est le vent qui les a apportées.
Les illustrations en noir et blanc, en style naïf, mettent l’accent sur le caractère villageois et bon enfant de cette histoire (les actualités sinistres sont ainsi éloignées). Sur ce fond monochrome les volutes vert pistache du vent se répandent et mettent une belle animation.