Vivantes !

Vivantes !
Stéphane Bientz
Editions espaces 34 – 2024

BC-BG : Béton –ciment, bitume-goudron

Par Michel Driol

Trois enfants, deux gamines, Nil et Ursula, et un gamin Griotte, dans une cité où ne survit qu’un seul arbre, sous serre, protégé par la Fondation Vitalenergies d’Hugo Formenton, dont en entend la voix et les discours à la radio. Nil aimerait bien préparer une chorégraphie pour la gagner le premier prix à la fête des 300 ans de l’arbre, bientôt. Mais survient Ursula, qui, bravant les interdits, pénètre dans la serre et y verse de l’eau.

 C’est un texte de théâtre contemporain à plus d’un titre. D’abord par sa forme, mêlant le récit au dialogue, dans des scènes brèves et percutantes campant bien les personnages et leurs relations dans une langue très vivante. Ensuite par la thématique qu’il aborde, celle de la sauvegarde de la planète. Nous sommes dans un monde dont la nature est absente, et où la canicule règne. Dans un monde où seront dévoilées les véritables intentions de Vitalenergies, la fondation dont il suffit de changer une lettre pour trouver – peut-être – son modèle hors du théâtre. Ce qui se joue sur le plateau est donc très politique, et montre en quoi, pour certains grands groupes, l’écologie est un frein plus qu’un moteur. Mais c’est aussi un texte très imagé et très poétique, avec un symbole fort, celui du lierre, qui pousse à cause des actions d’Ursula, actions de désobéissance propres à faire revivre la nature.

Vivantes, dernier mot du texte, exprime bien une vision de notre monde, propose une façon de faire renaitre la joie dans un monde gris, et montre le pouvoir des enfants de pouvoir régénérer la nature, en s’affranchissant des interdits, dans un univers très poétique.

Le Doudou partagé

Le Doudou partagé
Yves-Marie Clément, Anne-Isabelle Lucas
Sarbacane, 2024

Pour accueillir un bébé

Par Anne-Marie Mercier

Un « doudou partagé », quelle drôle d’idée !
Un bébé nait dans une famille qui a décidé de vivre de manière éco-responsable. On évite les achats inutiles et on réutilise les vêtements de l’enfant précédent, la narratrice, qui s’enthousiasme de la bonne idée : les pyjamas mille fois lavés sont plus doux, les livres qu’on a lus mille fois et gardés sont les meilleurs… elle va jusqu’à offrir d’elle-même son doudou lapin, revenant sur tous les beaux moments qu’elle a passés avec lui.
Si on peut avoir des doutes sur l’excellence de l’idée (on ne choisit pas un doudou, c’est l’enfant qui le choisit), la joie de la petite fille est charmante. Les images sont simples et belles, en bichromie sur le fond blanc qui ressort parfois dans la couleur : des pages jaunes, rouges ou vertes soulignées de tracés noirs (une page, celle qui évoque la transmission des jouets, est en quadrichromie). Les formes sont simples, et font voir tout un univers enfantin. Le texte, en cursive, semble porter la voix de l’enfant.
Il reste que malgré sa simplicité apparente, une ambiguïté demeure dans cet album. On peut supposer que ce partage est davantage une idée qu’une réalité, une projection sur une relation future plutôt qu’un accord réciproque : ce doudou est, d’après la narratrice, un « cadeau ». Mais l’image de couverture et une page à l’intérieur de l’album semblent montrer que le cadeau n’en serait pas un mais qu’il serait bien un « partage », un cadeau à la mode enfantine (je garde mais tu peux en profiter si je veux), en attendant le moment hypothétique ou le doudou serait véritablement transmis .

Indrazaal et la quête de l’océan

Indrazaal et la quête de l’océan
Kama La Mackerel – illustrations de Nátali de Melli
Kata 2024

Un récit initiatique pour prendre soin de la nature

Par Michel Driol

Indrizaal vit au sommet d’une montagne, au centre d’une ile. Une nuit, iel rêve d’une vieille dame, la mère de l’océan, signe  qu’il est temps de prendre la route vers l’océan. La montagne d’abord lui indique le chemin, lui révélant la création du monde, et l’initiant aux semences des plantes. Plus loin, les flamboyants racontent leur odyssée depuis une autre ile. Les roussettes volantes, à leur tour,  lui indiquent leur rôle dans la dispersion des pépins des fruits. Après avoir salué animaux et insectes divers, iel rencontre les mangroves, qui le renseignent sur leur origine et leur rôle écologique. Enfin c’est l’océan, et les retrouvailles avec la vieille dame, qui affirme être là pour protéger ses enfants.

L’album se situe entre le conte merveilleux, où les plantes et les animaux parlent, et le documentaire écologique où sont expliquées les origines de la vie et de la végétation sur une ile, et ce qui y maintient un équilibre en permettant la symbiose des plantes et des animaux. Du conte, on retrouve la quête initiatique d’un personnage touchant, désireux de découvrir, d’apprendre, et les répétitions de situations, de formules de salutation ou de départ, et le fait que toute la nature parle.  Du documentaire scientifique, géologique et botanique, on conserve les noms des plantes ou des animaux, leurs caractéristiques biologiques, des précisions relatives à leur rôle dans la nature. Avec douceur et poésie, l’album aborde avec bienveillance la relation entre l’humain et la nature, et laisse entrevoir, sans le nommer, le respect qui doit exister au sein du vivant, dans une perspective presque animiste. Un mot sur le personnage principal, Indrazaal, non binaire, désigné par le pronom iel, représenté comme un enfant au genre indifférencié, peut-être à l’image de Kama La Mackerel, artiste multidisciplinaire, educateur·ice,  auteur·ice, médiateur·ice culturelle,  traducteur·ice littéraire mauricienne-canadienne. Quant aux illustrations, elles laissent exploser les couleurs vives pour sublimer une nature luxuriante et variée. Dans les pages de garde, Kama explique le point de départ de cette histoire, la catastrophe écologique causée par le naufrage d’un vraquier japonais en juillet 2020, au sud-est de Maurice.

Une conte écologique, inspiré de l’île natale de l’autrice, pour parler de la découverte de la beauté d’un lieu précieux mais menacé, et inviter à en prendre soin..

La petite Glaneuse de sons

La petite Glaneuse de sons
Benoît Bories – voix : Elodie Vincent – Illustrations Iris Durand
Trois Petits Points 2024

Sounds or Silence ?

Par Michel Driol

Irma habite à la montagne avec son grand père Nonno. Sa passion : collecter et enregistrer de nouveaux sons, oiseaux, torrent, pas dans la neige… Avec ces sons, Nonno fabrique des automassons. Derrière ce mot valise se cachent d’ingénieux dispositifs capables de reproduire les sons de la nature. L’arrivée de Monsieur Industrior et de ses machines destinées à creuser des trous dans la montagne fait taire tous ces sons, pour laisser la place à un bruit blanc que rien ne peut vaincre. C’est compter sans l’ingéniosité de Nonno qui fait fabriquer par les habitants du village une trompe géante capable d’amplifier les automassons et d’entrer en résonnance avec les machines de Monsieur Industrior pour les détruire.

Une fable écologique et politique pour les petites oreilles, annonce le sous-titre de ce nouvel opus sonore des Editions Trois Petits Points. C’est bien de cela qu’i s’agit, on l’aura compris en lisant le résumé, mais avec un angle original qui est bien lié à la spécificité de cette maison d’édition lyonnaise. La diversité dont il est question ici est celle des sons de la nature, que cette histoire invite à écouter avec attention, qu’elle donne à entendre en particulier dans les premiers chapitres. Quant au monde industriel, destructeur de l’environnement, il est incarné aussi bien par les bruits des engins de chantier que par le bruit blanc – négation de la diversité, de la variété. C’est une belle partition musicale à trois éléments que cet opus donne à entendre : les sons et bruits divers, la voix calme et douce de la narratrice, et la musique concrète très contemporaine, expressive, qui lie le tout. Par là il s’agit autant de s’adresser à la sensibilité de l’auditeur qu’à son imaginaire en lui proposant des sons – et non des images – avec une grande force d’évocation. Cette proposition poétique dessine un  paysage sonore dont les éléments sont l’écologie sonore et la musique acousmatique. Faut-il voir dans le nom du grand père, Nonno, une allusion à Luigi Nono, et à une musique au service d’un engagement politique ?

La défense de la nature, la résistance à sa destruction ont de nombreux visages. Ce récit sonore nous invite à écouter, tant qu’il en est encore temps, les sons de la nature, apaisants, et montre avec originalité comment ils peuvent donner lieu à une (re)création artistique. A auditionner les yeux fermés certes, mais pour garder les yeux ouverts sur le monde qui nous entoure…

Les Magni Freaks

Les Magni Freaks
Gaspard Flamant
Sarbacane (roman)

Comme des super héros de Marvel (en mieux)

Par Anne-Marie Mercier

Trois héros bien cabossés par la vie se retrouvent un peu par hasard et vivent des aventures entre Marseille, Aix et Lyon. Ils ont un point commun : chacun a un super-pouvoir. Squadro peut vivre sous l’eau et communique à distance à travers l’eau, Cheyenne est une passe-muraille, Liam peut voler. Chacun a un rapport différent à son pouvoir et l’a acquis dans des circonstances différentes, mais tous l’ont découvert au moment où, d’une manière ou d’une autre – mais toujours violemment –, ils sont devenus orphelins.
Ce cadre étant posé, on peut se dire que, un roman ne pouvant pas arriver à la hauteur de l’émerveillement des effets spéciaux des films de Marvel, à quoi bon en faire un roman ? Eh bien c’est une belle surprise : c’est un bon et un beau roman.
Tout d’abord parce qu’il est parfaitement écrit, composé, équilibré. Les dialogues sont justes, en langage très banlieue populaire pour Cheyenne, marseillaise à la famille bigarrée, en français approximatif pour Liam l’irlandais, en langage bizarre, italien ensemencé de Rap marseillais pour Squadro, l’homme poisson (comment il a découvert le rap, c’est aussi une belle invention !). Quant à la narration, elle est écrite dans une langue et un style riches, soignés, précis, souvent beaux, très justes.
Liam maitrise mal son pouvoir, découvert depuis peu, et cela donne lieu à de micro-épisodes comiques réussis. Cheyenne porte la dimension tragique du récit : elle cherche à venger son frère, assassiné au moment où il fouinait vers une usine de retraitement de déchets dont le propriétaire est le caïd du quartier. Tous sont redevables à ce criminel, et tout le monde le craint, à raison car il est lui aussi une autre espèce de monstre. Squadro, lui, met la préoccupation écologique au cœur du polar : il s’agit aussi bien de trouver et neutraliser l’assassin de Toufik que de punir l’homme qui salit les océans.
Rebondissements multiples, vision chaleureuse de la vie des quartiers urbains pauvres, sur le plan humain, mais désastreuse aussi, c’est une belle plongée dans un monde tantôt glauque tantôt lumineux, dans lequel les super héros font rêver à davantage de justice, comme des super héros de Marvel (en mieux).

Les Petits Robinsons

Les Petits Robinsons
Romain Taszek
éditions Møtus, 2023&

Ile déserte, mode d’emploi

Par Anne-Marie Mercier

Six personnages arrivent dans une clairière. On ne sait pas quels liens les unissent, comment ils sont arrivés là. Ils disent qu’ils ne savent pas combien de temps ils vont devoir y rester. Enfants et ados échappés d’une catastrophe ? ou perdus dans les bois ? Défi de survie ? Certains sont frère et sœur, d’autres cousins, d’autres encore, on le suppose, amis. Certains ont encore un doudou, un autre lit l’Odyssée. Ces personnages (en quête d’auteur ?) élaborent pas à pas leur silhouette, leur caractère, leurs relations aux autres et évoluent, certains plus que d’autres, au fil des pages de cette jolie BD.
Histoire d’une survie, ou d’une robinsonnade choisie, on ne le saura qu’à la toute fin. Le camp s’organise, et très vite arrivent quelques leçons : où planter la tente, comment protéger ses provisions (ça arrive un peu trop tard, un écureuil se joue d’eux), et comment se nourrir de cueillette quand on n’en a plus, comment construire une cabane quand la toile de tente a été emportée par la tempête, comment laver son linge sans effort… mais surtout comment vivre en harmonie sans disputes et arriver à tout partager pour survivre.
Entre conseils sérieux, dignes du manuel des scouts ou des Castors juniors, et fantaisies loufoques, la vie y est jubilatoire. Une décharge trouvée près des lieux leur permet mille inventions. Les vignettes, qui alternent avec quelques doubles pages à l’allure documentaire, sont schématiques, souvent drôles, avec une belle palette restreinte de couleurs, en cohérence avec le reste de l’œuvre de Romain Taszek.
Si le collectif est sans cesse mis en avant, cela n’empêche pas que chacun puisse se construire la cabane  de ses rêves : tipi, arbre creux, vaisseau spatial… chacun tisse son imaginaire. La nuit est tantôt un émerveillement, tantôt un moment où toutes les peurs se ravivent. Si on joue à se faire peur, on a parfois peur sans l’avoir cherché. L’accident guette et finit par arriver…
C’est une jolie promenade en compagnie de ces personnages qui finissent par prendre forme et nous embarquent dans leur aventure.

Feuilleter sur le site de l’éditeur

 

La Bonne idée de Monsieur Johnson

La Bonne Idée de Monsieur Johnson
Pierre Grosz, Rémi Saillard
La Cabane bleue, 2022

La métamorphose  des gadoues

Par Anne-Marie Mercier

La Cabane bleue propose « des livres pour enfants qui chouchoutent la planète », non seulement parce qu’ils sont produits et distribués de façon éco-responsable, mais aussi parce que leurs thèmes bien souvent proposent des héros ou des pionniers de l’écologie. Monsieur Johnson est un peu les deux. Employé d’un gigantesque dépôt d’ordures proche de New York et chargé d’en tenir les registres, il est un héros atypique. Il passe ses journées à compter des camions jusqu’au jour où… eurêka ! « Un jour, une idée a jailli dans sa tête ». Voilà la « bonne idée » du titre : sitôt jaillie, l’idée le conduit au marché aux fleurs où il achète des plantes qu’il installe dans les montagnes d’ordures sans rien dire à personne et bien sûr sans autorisation. Viennent les plantes, reviennent les oiseaux, et avec eux les ennuis : les oiseaux gênent les avions, tout est découvert.
Mais c’est l’histoire d’un succès : Jamaica Bay, enfer puant est devenu un paradis, et comme on est aux USA rien ne se perd : les tickets d’entrée à la nouvelle réserve naturelle vont financer une nouvelle usine de traitement des ordures (en attendant le zéro déchet ?).
Le dessin naïf, la bonne tête de Herbert Johnson, avec son chien, son vélo, son camion rouge, tout cela sur fond verdâtre, puis dans un décor multicolore, la simplicité de. l’ensemble, tout cela est bien réjouissant.

Akané, la fille écarlate

Akané, la fille écarlate
Marie Sellier – Minna Yu
HongFei 2023

Pour sauver un arbre…

Par Michel Driol

Aîko accompagne souvent son père, gardien de la forêt sur le mont Takara. Un matin, d’énormes machines déracinent des arbres, creusent un trou pour y déverser on ne sait quoi. La forêt dépérit lorsqu’Aïko entend le gémissement d’une fillette allongée près d’un petit érable. Conduite chez les parents d’Aïko, la fillette ne cesse de dépérir, tout en murmurant « Erable, ô mon érable ». Aîko et son père vont alors transplanter l’érable dans leur jardin, et lorsque l’arbre et la fillette vont mieux, elle révèle son secret. Elle ne fait qu’un avec l’arbre.

Deux portes d’entrée pour cet album : l’illustration de la couverture d’abord, avec son côté naïf, enfantin qu’on peut percevoir dans la représentation des deux animaux souriants qui se courent après, mais aussi avec la façon dont des éléments naturels  se terminent en mains. Au milieu de ce monde féérique, où le merveilleux côtoie le réel, deux enfants, en tenue japonaise assez traditionnelle, une fille et un garçon. Puis une adresse au lecteur, comme une ouverture de conte, dans laquelle ce sont les grands pins chevelus qui murmurent la légende de la fille écarlate. Ces deux portes font accéder le lecteur à ce qui apparait comme un univers merveilleux, porté à la fois par la nature et par des enfants.

Le texte fait alterner deux discours, l’un en capitales, imprimé en bleu, sorte de poème en quatre strophes adressé au petit érable, l’autre le récit du sauvetage de l’érable et de la fillette. Il faut bien sûr lire ce texte comme un conte, dont il reprend les éléments traditionnels et merveilleux. La fillette, sorte de double humaine de l’arbre, la mission, sauver le petit érable du péril qui le menace. Du conte, le texte reprend aussi les aspects oraux : reprises, inversions verbe sujet. Mais, on l’aura bien compris, c’est aussi un texte qui fait appel à l’imaginaire pour dénoncer les dangers que les hommes font courir à la nature (enfouissement de déchets qui empoisonnent la terre), mais aussi pour dire à quel point nous sommes liés à la nature. C’est cet aspect que renforcent les illustrations où se multiplient les mains, à la fois tendues, protectrices, mais aussi parfois blessées.  Au final, l’album nous invite à vivre plus en harmonie avec la nature, en se gardant bien de donner des leçons ou de faire la morale. A chaque lecteur de comprendre le sens de cette allégorie.

Un album qui associe un texte où le merveilleux côtoie la poésie à des illustrations faussement naïves, pleines de détails à la fois enfantins et symboliques, pour évoquer le lien que les humains entretiennent avec tout ce qui est vivant dans la nature.

Petit Noun et l’abeille

Petit Noun et l’abeille
Géraldine Elschner – Anja Klauss
L’élan vert 2023

Fable égyptienne

Par Michel Driol

Pour ce 5ème opus consacré aux aventures de Petit Noun, l’hippopotame, nous le retrouvons par une journée de pluie en Egypte. Avec l’aide de deux canards, il vient à la rescousse d’une abeille tombée par terre, menacée par un faucon. Il la conduit au palais du roi, où il sait pouvoir trouver des ruches. Il y fait la connaissance du futur pharaon Ramsès II et de sa sœur.

Comme les autres ouvrages de la collection Pont des Arts, celui-ci s’appuie sur des œuvres, une stèle représentant Ramsès II enfant, le collier de la princesse Khnoumit dont les couleurs se retrouvent tout au long de l’album, bleu, rouge, vert et or. Le texte tient du conte et du documentaire. Au conte il emprunte le dialogue entre les hommes et les animaux, le merveilleux des animaux qui s’entraident.  Mais ce conte s’inscrit dans un documentaire qui montre l’apiculture égyptienne, reconstitue les abords d’un palais princier, ainsi que les vêtements des personnages. Au-delà de cet aspect historique, il s’agit aussi de montrer la préciosité et la fragilité des abeilles, qu’il convient toujours aujourd’hui de sauvegarder. Cette dimension écologique, cette façon de relier nos préoccupations contemporaines à celles des antiques égyptiens, constitue un message important.

Le texte épouse le plus souvent le point de vue de petit Noun, fait partager ses émotions, ses découvertes, ses étonnements, permettant ainsi au jeune lecteur contemporain d’entrer facilement dans le palais du jeune Ramsès II. Les illustrations, en pleine page, de très belle facture, sont d’une grande précision graphique et montrent un univers luxuriant, plein de verdures, d’eau et de vie. Bien sûr, les Egyptiens y sont représentés presque toujours de profil. Petit Noun et les deux enfants sont montrés souriants : une certaine idée d’un bonheur paisible se dégage de cet album !

Un album réussi pour donner envie d’en savoir plus sur l’art égyptien et sur l’apiculture à travers les millénaires. Le dossier documentaire en fin d’ouvrage apporte quelques réponses et contribue à attiser la curiosité du lecteur.

Sol

Sol
Antonio Da Silva
Rouergue (épik), 2023

Sur terre, sur mer, dans les airs : l’humanité en questions

Par Anne-Marie Mercier

Sur ce qui reste, semble-t-il, de la terre, après une grande catastrophe nucléaire, il y a deux peuples, deux pays. L’un est celui d’Aqua, une jeune fille qui vit sur une île verte et riche de plantes et d‘eaux pures, l’autre est, sur le continent, celui des Karnis. Le peuple de l’île a la peau verte (Aqua est un peu différente) ; il se nourrit du rayonnement solaire (d’où le titre, « Sol ») et peut se déplacer très vite grâce à ses membres palmés, en s’appuyant sur l’air. Des éoliennes aident ce monde à garder un équilibre, mais elles sont menacées. Lorsque l’histoire commence, il n’y a plus de naissances sur l’île. Le pouvoir est partagé entre des forces opposées. L’une d’entre elle est dominée par des prêtres obscurantistes inquiétants et corrompus.
Les Karnis, c’est-à-dire, comme on l’apprendra plus tard, les héritiers des humains, vivent dans des souterrains et tentent d’échapper aux radiations, toujours actives. Ceux qui sont expulsés de ces zones protégées, les « rampants », vivent un cauchemar. Le soleil est masqué par les poussières d’un hiver nucléaire qui semble ne jamais pouvoir finir. Les réserves s’épuisent, incitant à multiplier les raids sur l’île, quitte à provoquer sa destruction. Les puissants de ce monde sont impitoyables et préfèrent une destruction totale des deux mondes à une perte de leur autorité.
La rencontre d’Aqua avec un Karnis devient le seul espoir des deux civilisations. Il est question d’une prophétie, d’un message laissé par les fondateurs de l’île qui permettrait de sauver ce qui reste du monde.
Des alliances, de belles figures de résistance, des trouvailles (magnifiques scènes avec les chiens auxiliaires militaires créés par un savant pervers), des engins de toute sorte, une exploration du désert des terres humaines, un robot humanoïde sympathique, efficace et fou de cinéma ancien (d’où de belles allusions à décrypter pour le lecteur), des poursuites, rien ne manque à ce beau roman inventif et sensible. Enfin, la résolution du mystère de la prophétie, au sommet de ce qui reste de la Tour Eiffel est un grand moment !