Interdit de me faire mal

Interdit de me faire mal
Mai Lan Chapiron
La Martinière Jeunesse 2025

Non à la violence

Par Michel Driol

Le titre de cet album tout carton, donc destiné aux plus jeunes, est explicite. Il s’agit bien de dénoncer les violences faites aux enfants, et de leur apprendre qu’il est interdit de leur faire mal, mais aussi interdit qu’ils fassent mal aussi. Après deux pages de présentations  et d’énoncé de la règle simple, le dispositif se répète sur toutes les pages. Page de droite,  une question « Est-ce qu’on a le droit de te taper – pincer… » ? et une réponse en gros caractères NON, commentée par une petite chouette qui apporte un regard parfois un peu décalé, humoristique sur la situation. Page de gauche, un ou une enfant, ou une famille, illustrant, avec humour aussi, ce dont il est question. Tout se termine par un câlin tout doux, tout mou, tout chou, mais, annonce la dernière page, à condition que tu en aies envie.

Il s’agit bien ici d’un véritable travail de prévention contre toutes les formes de violence à l’égard des plus jeunes, qu’elles émanent d’adultes, de la famille, ou d’autres enfants Violences physiques, bien sûr, mais aussi violences verbales, débouchant sur une approche de la notion de consentement.

Les armes de l’autrice pour parvenir à faire passer ce message ? Le vocabulaire et la syntaxe choisis sont d’une grande simplicité pour être accessibles à tous. Le NON, avec ses variations graphiques, orthographiques se répète à chaque page, à la façon d’un refrain de comptine, comme pour mieux l’asséner et le faire intégrer, lui donner de plus en plus de poids. L’humour, on l’a déjà dit, en particulier en lien avec le petit personnage de la chouette et ses commentaires. L’expressivité des illustrations, qui montrent des enfants avec différentes couleurs de peau, qui tantôt mettent à distance la violence suggérée par la caricature (un enfant déguisé en crocodile pour illustrer la morsure), ou par des visages souriants qui démentent les mains prêts à griffer. Mais aussi des illustrations qui, vers la fin de l’ouvrage, deviennent plus inquiétantes, plus menaçantes. La maman poursuivant son fils pour lui donner une fessée, la famille  prête à se moquer, ou le groupe qui semble ligué contre le lecteur-enfant… Malgré le sujet traité, il émane de ce livre, de ses illustrations, de son atmosphère, un sentiment de sécurité. Rien, dans les textes, dans les illustrations, n’est là pour choquer, traumatiser le jeune enfant en le confrontant, dans les illustrations, à de vraies scènes de violence, mais tout est fait pout lui rappeler une règle simple. Il s’agit donc de faire en sorte que la violence, l’agression, soient vues comme anormales, et que l’enfant puisse se construire sereinement dans un univers  de respect réciproque. L’entreprise est louable, à tous les points de vue, sachant que ce situations de violence à l’école, dans la famille sont malheureusement encore bien installées.

Un album qui prend sa part entière dans la lutte contre les violences de tout type dont les enfants sont victimes, pour leur apprendre non pas à entrer dans une escalade de violence, mais pour, simplement, leur dire qu’on n’a pas le droit de faire cela. Belle entreprise que de construire la notion de droit en réponse  à la violence !

Entre leurs mains

Entre leurs mains
Annelise Heurtier
Casterman, janvier 2025

Bad girls do the best sheets

Par Lidia Filippini

En1961, à Dublin, Deirdre est une jeune fille de seize ans comme les autres. Aînée d’une famille nombreuse, elle mène une vie tranquille avec ses parents épiciers. De temps en temps, elle aide son père à livrer les tourtes à la Guiness que ses clients lui commandent. C’est au cours d’une de ses sorties qu’elle rencontre Callum, le fils d’un riche industriel. Deirdre tombe vite amoureuse de ce jeune homme séduisant qui lui donne rendez-vous en ville pour lui parler de leur avenir commun. Elle croit à ses promesses de mariage et voit en lui le moyen de s’élever au-dessus de sa condition modeste. Callum se fait insistant, il la presse de se donner à lui : « [T]u sais bien qu’on va se marier. Alors, avant ou après, qu’est-ce que ça change. » Deirdre, de peur qu’il ne la quitte, finit par céder. De cela, elle ne peut pas parler, pas même à sa sœur Maureen. Fervente Catholique, elle se sent coupable de ce qu’elle voit comme une faiblesse. Au péché s’ajoute l’humiliation lorsqu’elle finit par comprendre que Callum n’a jamais eu l’intention de l’épouser.
Quand, quelques mois plus tard, les parents de la jeune fille s’aperçoivent qu’elle est enceinte, ils la font enfermer dans un couvent de la Madeleine. Elle découvre alors l’horreur de l’univers carcéral. Tondue, battue, insultée, elle est logée dans des conditions sordides. Employée à faire la lessive, comme Marie-Madeleine qui lava les pieds de Jésus et obtint son pardon, elle doit travailler sans relâche au péril de sa santé afin d’expier ses péchés. Seule l’amitié qu’elle tisse avec ses compagnes d’infortune, et surtout avec l’effrontée Sinead qu’elle appelle son « âme sœur », lui permet de tenir le coup.
En 2026, elle livre le récit de sa vie à Finnegan, un jeune homme amoureux, et l’amène à prendre conscience de sa brusquerie envers sa propre fiancée.

On plonge ici dans l’univers des Maggies. Plus de dix mille jeunes filles de tous les milieux ont vécu dans les couvents de la Madeleine entre 1922 et 1996. Certaines y étaient envoyées parce qu’elles étaient enceintes ou parce qu’elles avaient été violées, d’autres parce qu’on les jugeait trop dévergondées – ce fut le cas notamment de la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor qui a témoigné à ce sujet-, d’autres enfin, parce qu’on craignait que leur beauté ne les conduise irrémédiablement au péché. Ces couvents prirent vite le nom de « blanchisseries » puisque les jeunes filles qui y vivaient étaient employées à laver le linge – une manière de laver leur propre souillure selon les religieuses qui les encadraient et les traitaient comme des esclaves. Logées dans des conditions indignes, elles travaillaient sans relâche dans des étuves, respirant des vapeurs chimiques. Celles qui mouraient étaient enterrées dans des fosses communes. Quant aux bébés dont elles accouchaient, les bien portants étaient vendus à des familles étrangères tandis que les religieuses laissaient mourir les plus faibles. En 2014, huit cents cadavres de bébés étaient retrouvés dans le terrain d’un de ces couvents. Si l’État irlandais a longtemps nié sa responsabilité, rejetant la faute sur l’Église Catholique, des excuses officielles ont finalement été présentées aux victimes en 2013. Le grand public a, quant à lui, découvert l’existence des blanchisseries en 2002 grâce au film de Peter Mullan, The Magdalene Sisters, qui a connu un certain succès au box-office.
Annelise Heurtier se saisit ici d’un sujet dont certains aspects cadrent parfaitement avec la tradition de la littérature jeunesse. On retrouve le motif de l’internat popularisé par Talbot Baines Reed au XIXe siècle et qui, depuis, est devenu un lieu incontournable du roman pour les jeunes. Le couvent d’Entre leurs mains évoque les pensionnats de Meto (Yves Grevet, Meto, Syros, 2008 (t1), 2009 (t2), 2010 (t3)) ou du Combat d’hiver (Jean-Claude Mourlevat, Le Combat d’hiver, Gallimard Jeunesse, 2006). Les surveillantes, qui ont ici été remplacées par des religieuses, sont tout aussi inhumaines et perverses. Elles imposent la loi des adultes à des jeunes qui n’ont d’autre choix que la soumission. Seulement, à la différence de Grevet ou de Mourlevat, Annelise Heurtier décrit ici un monde qui, loin d’être dystopique, a réellement existé. Cela fait froid dans le dos !
Le personnage de Finnegan permet de faire le lien entre l’histoire de Deirdre, symbole de l’oppression sociale des femmes au XXe siècle, et la situation actuelle. Le jeune homme s’offusque de ce qu’a subi Deirdre dans les années 60. Adolescent des années 2020, il ne peut tolérer l’idée d’une société patriarcale dans laquelle la parole des femmes ne vaut rien. Pourtant, il ne se rend pas compte que lui-même, incapable de contrôler ses pulsions sexuelles, a bien failli abuser de sa petite amie qu’il imaginait consentante. Ce personnage masculin est sans doute celui auquel les garçons lecteurs s’identifieront le plus facilement – tandis que les filles auront tendance à se sentir plus proches de Deirdre et/ou de Neve, la petite amie de Finnegan. Le roman devient ainsi un moyen d’interroger le rapport des jeunes actuels dans leur intimité. Dommage, dans ces conditions, que la photo de couverture (une jeune fille vêtue de blanc dont on ne voit pas le visage mais qui croise les mains en signe de prière) semble avoir été conçue de manière à attirer les lectrices plutôt que les lecteurs !

Framboise ou citron ? À toi de choisir !

Framboise ou citron ? À toi de choisir !
Denis Peiron, Hélène Druvert
Saltimbanque, 2023

Choisir : un apprentissage

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre léger et cette présentation en album grand format cartonné, on pourrait croire être devant un ouvrage destiné aux plus jeunes ; la présence de découpes et de petites portes à ouvrir ici et là confirmerait cela. Mais le noir profond du fond de la couverture et le caractère sombre de nombreuses doubles pages, au milieu d’autres en couleurs franches, nous mettent en alerte. Il s’agit d’autre chose.
Il est question de choix à faire dans la vie. Trancher chez le marchand de glace entre framboise ou citron, certes, mais aussi décider de ce qu’on veut avoir, être, faire : « vivre c’est choisir ».
On y voit la difficulté de certains choix. On y trouve, pourquoi pas, parmi eux, le choix d’avoir moins, de sélectionner des trésors qui auront peu de valeur aux yeux des autres.
« Choisir c’est prendre des risques », phrase illustrée par la métaphore du sentier sauvage (superbes superposition de pages découpés). L’impression de ne pas avoir le choix est illustrée par une école, mais le message reste ici encore optimiste : la contrainte ouvre bien des possibles… On peut choisir de dire oui à quelqu’un. On peut choisir de dire non. On peut rester tout de même amis après avoir dit non, il ne faut pas avoir peur de perdre.
« Choisir qui tu veux être, qui tu seras plus tard. Devant toi tu as toute une vie pour apprendre à choisir » : le chemin de la vie est retracé en fin de volume sur un papier bien plié révélant une carte, proche de la « carte du tendre » : on y voit le moulin de la chance, les marécages du doute, la rivière du futur,  la vallée de la peur, l’île de la solitude, le phare de l’amitié… De quoi remplir toute une vie, de 7 à 177 ans, enfin peut-être pas !