Framboise ou citron ? À toi de choisir !

Framboise ou citron ? À toi de choisir !
Denis Peiron, Hélène Druvert
Saltimbanque, 2023

Choisir : un apprentissage

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre léger et cette présentation en album grand format cartonné, on pourrait croire être devant un ouvrage destiné aux plus jeunes ; la présence de découpes et de petites portes à ouvrir ici et là confirmerait cela. Mais le noir profond du fond de la couverture et le caractère sombre de nombreuses doubles pages, au milieu d’autres en couleurs franches, nous mettent en alerte. Il s’agit d’autre chose.
Il est question de choix à faire dans la vie. Trancher chez le marchand de glace entre framboise ou citron, certes, mais aussi décider de ce qu’on veut avoir, être, faire : « vivre c’est choisir ».
On y voit la difficulté de certains choix. On y trouve, pourquoi pas, parmi eux, le choix d’avoir moins, de sélectionner des trésors qui auront peu de valeur aux yeux des autres.
« Choisir c’est prendre des risques », phrase illustrée par la métaphore du sentier sauvage (superbes superposition de pages découpés). L’impression de ne pas avoir le choix est illustrée par une école, mais le message reste ici encore optimiste : la contrainte ouvre bien des possibles… On peut choisir de dire oui à quelqu’un. On peut choisir de dire non. On peut rester tout de même amis après avoir dit non, il ne faut pas avoir peur de perdre.
« Choisir qui tu veux être, qui tu seras plus tard. Devant toi tu as toute une vie pour apprendre à choisir » : le chemin de la vie est retracé en fin de volume sur un papier bien plié révélant une carte, proche de la « carte du tendre » : on y voit le moulin de la chance, les marécages du doute, la rivière du futur,  la vallée de la peur, l’île de la solitude, le phare de l’amitié… De quoi remplir toute une vie, de 7 à 177 ans, enfin peut-être pas !

 

 

 

L’Étrange Boutique de Viktor Kopek

L’Étrange Boutique de Viktor Kopek
Anne-Claire Lévêque, Nicolas Zouliamis
Saltimbanque éditions, 2023

Un nécessaire pour la vie

Par Anne-Marie Mercier

Dès le titre, on est attiré par une ambiance qui évoque les légendes des pays de l’Europe de l’est. Dans ce grand format, l’image, teintée de kitsch, nous plonge dans une ville nocturne sous la neige, puis dans une boutique où la narratrice perdue est attirée par une odeur de gâteau aux pommes à la cannelle (un strudel ?) et un chat noir. La pièce est remplie de valises ; les murs sont couverts de portraits photographiques en pied sur lesquels chaque personne porte une valise. Arrive le propriétaire du magasin, photographe et fournisseur en « panoplies » : la jeune fille est priée de choisir une valise parmi celles qu’il lui propose. L’une d’elle aurait la « panoplie » idéale pour l’aider à affronter la vie, d’après celui qui est décrit comme un « magicouturier » : « vêtements inspirés ou accessoires futés […] pour s’adapter parfaitement aux circonstances, parfois étranges, parfois délicates, de la vie ». Comme un couturier, il prend les mesures de la jeune fille, mais comme c’est un « magicouturier », cela se fait de manière fantastique, à l’aide d’un piano et d’un mètre-ruban immense et animé. Quelle sera l’issue de ce qui ressemble à un pacte, mais ne demande aucune contrepartie ? On songe à la boutique d’antiquaire de La Peau de chagrin de Balzac, au Livre sans fin de Ende…
À l’issue de cette exploration de sa personnalité et de son corps, cinq valises lui sont proposées : panoplie de curieuse invétérée, de plus-que-parfaite, d’insatiable, d’effrontée, de princesse ? Le choix sera lui aussi imaginatif, comme tout l’album.
Les images, cadrées comme dans un film expressionniste, tantôt à fond perdu pour mieux nous absorber, tantôt sur fond blanc comme dans un catalogue d’objets bizarres, surréaliste, sont superbes, pleines de détails curieux, hors du temps.

Nicolas Zouliamis, scénariste et auteur de BD, s’est fait une spécialité de l’étrange et on voit ici qu’il l’illustre superbement (voir La maison en thé, paru au Seuil en 2019).

 

L’Agence Pendergast : Le Prince des ténèbres

L’Agence Pendergast : Le Prince des ténèbres
Christgophe Lambert
Didier Jeunesse 2019

Les mystères d’Ellis Island

Par Michel Driol

New York, 1893. Lorsque Sean, petit voleur à la tire sous les ordres de Bill le Boucher dérobe la montre de M. Pendergast, il ne sait pas où il a mis les pieds. Car M. Pendergast le retrouve, et lui propose, au vu de sa débrouillardise, de rejoindre son agence. Installée dans les sous-sols d’Ellis Island, doté de tout le matériel moderne (électricité, téléphone…), cette agence gouvernementale a pour charge de détecter les créatures paranormales qui transitent par Ellis Island. Dans le premier tome de cette série, c’est  Dracula lui-même que Sean devra combattre.

Ce récit plein de dynamisme plonge le lecteur dans un univers à la fois historique (le New York de la fin du XIXème siècle, avec ses taudis, ses immigrants…) et fantastique (avec des baguettes de sorcier et des monstres que l’on dirait sortis de la série Harry Potter). Les personnages sont bien dessinés : un orphelin débrouillard, un indien garde du corps, un inventeur que aurait tout à fait sa place dans les James Bond, une jeune métisse pour qui Sean ne se sent pas indifférent, et deux figures antagonistes, Bill le Boucher, roi sans scrupule de la pègre locale, et M. Pendergast, plein de sollicitude. Ce premier tome d’une série qui s’annonce prometteuse plante surtout le décor : visite des locaux de l’agence, de sa redoutable prison, mais il ne manque pas non plus d’action : courses poursuites dans les rues de New York mais aussi dans les airs. Bref, de la littérature populaire (on songe à Eugène Sue), au bon sens du terme, avec ses passages attendus, ses personnages et ses situations un peu stéréotypés (Sean à l’heure du choix entre le bien et le mal…), et cet élan narratif qui pousse à tourner les pages tant on attend la suite.

Une série bien inscrite dans son contexte historique qui deviendra sans doute addictive pour de nombreux jeunes lecteurs et lectrices.

La princesse au bois se cachait

La princesse au bois se cachait
Dedieu
Seuil Jeunesse, 2018

Choix et sacrifice tragiques

Par Maryse Vuillermet

La famille royale est heureuse, Alaric et Hilda, deux jumeaux sont nés et font son bonheur.
Mais Alaric, le garçon tombe malade, aucun remède n’est efficace. La Reine se résout à aller consulter la sorcière dans le bois. Celle-ci accepte de fournir un remède en échange de la princesse, car elle-même n’a pas d’enfant. La reine,  désespérée,  accepte pour sauver son fils ce terrible sacrifice : Deux enfants vivants mais séparés ou la mort de l’un deux »
Hilda est élevée dans les bois, la sorcière lui transmet le don de se transformer en animal, elle devient une vraie fille de la forêt.
Alaric devient un grand chasseur.
Un jour, inévitablement, ils se rencontrent en forêt, ils se reconnaissent mais Hilda doit le fuir.

Un texte magnifique élégant et tragique comme un conte très ancien poli par les ans et les versions successives.
Les illustrations en noir, or et rouge pour le sang et la mort, lui confèrent grâce et tragique. C’est aussi une méditation sur le choix et le sacrifice.

Intemporia Le Sceau de la reine

Intemporia Le Sceau de la reine
Claire-Lise Marguier
Rouergue 2014

Une victoire au gout d’amertume

Par Michel Driol

liv-6046-intemporia-t-1Dans la paisible communauté de la plaine, Yoran se marie avec Loda. Mais soudain un mal étrange frappe les habitants, que rien ne peut sauver. Même Loda est atteinte. Les anciens révèlent alors le secret : un bouclier protège la communauté contre la puissante et maléfique reine  Yéléna. Yoran décide de la rencontrer pour sauver Loda. En chemin, il fait la connaissance de Tadeck, chef des insoumis, qui va faire son éducation (épée, cheval). On traverse alors le royaume jusqu’au palais de la reine, qui propose à Yoran un pacte : sauver Loda contre l’Aïguaviata, caché sous le bouclier. Choix cornélien pour Yoran qui choisira de sauver sa communauté, de permettre à sa femme de vivre au détriment du reste du royaume, car ce produit va permettre à la reine d’accroitre ses pouvoirs magiques.

Voici un roman d’heroic-fantaisie de plus de 500 pages dont le récit épique progresse en suivant la quête du héros et son initiation. Au-delà de son monde clos et protecteur, il découvre un « gaste » royaume désolé, soumis à une reine cruelle, mais séduisante et manipulatrice. Le récit décrit avec précision les villes, leurs basfonds, au milieu d’une nature menaçante et souvent hostile (marécages, pierres tranchantes des chemins…), en un espace et un temps indéfinis. Deux personnages s’y rencontrent, construits en opposition : Tadeck, pur parmi les purs,  ami indéfectible doté de nombreuses qualités humaines, guide qui entend permettre à chacun d’exercer son libre-arbitre, et Yolan, qui, en l’espace d’un mois, découvre le mal, commet plusieurs meurtres et doit assumer, tant bien que mal, cette culpabilité. C’est là sans doute l’un des intérêts de ce roman, qui se concentre sur son héros, le montre hésitant, effectuant des choix que d’autres contestent, posant ainsi la question des valeurs qui animent les personnages.

Que fera Yoran dans le tome 2 ? Va-t-il rejoindre le groupe des insurgés ? Qui sera le roi légitime qu’on cherche encore… A suivre…