Warp : l’assassin malgré lui

WARP, Livre I : L’Assassin malgré lui
Eoin Colfer

Traduit (anglais) par Jean-François Ménard
Gallimard Jeunesse, 2013

Le mystère des Londres

Par Matthieu Freyheit

WARP_1Chevie Savano, jeune agente du FBVI, est envoyée à Londres après avoir fait échouer une mission d’infiltration. Sa nouvelle mission ? Attendre, sans sortir, quelque chose ou quelqu’un qui, prévient-on, ne devrait pas arriver : loin d’être évident pour une jeune fille au tempérament plutôt explosif et à la personnalité piquante.

Riley, miséreux londonien de la fin du XIXe siècle et jeune adolescent, vit au service de son assassin-magicien de maître, l’infâme Garrick, en quête de véritable magie. Leur prochain coup comme mercenaires : un nouvel assassinat, que devra perpétrer Riley pour prouve sa ‘valeur’ auprès du maître. Au moment du meurtre, cependant, le jeune garçon hésite, avant que sa main, forcée, ne s’enfonce. Et que l’imprévu ne s’en mêle, projetant Riley, avec le corps de l’assassiné, dans un futur qui n’est autre que le présent de l’agente Savano.

Dès lors s’engage une longue et haletante (pour les personnages) course-poursuite, semée de meurtres, Chevie et Riley étant amenés à faire alliance contre le terrible magicien à leurs trousses. L’intérêt n’est pas là, mais plutôt dans les allers et retours entre deux époques, et dans l’imagination des possibilités offertes par ces voyages temporels, propres à comparer deux réalités urbaines. Par ailleurs, si le Londres contemporain est somme toute assez peu précisé, Eoin Colfer propose en revanche de restituer un Londres romantique des bas-fonds, fidèle (ou presque…) au portrait qu’en dresse Dominique Kalifa (Les Bas-fonds, 2013).

On se demande, toutefois, si tout le dispositif mis en place est bien utile. Les voyages temporels sont certes l’occasion de rappeler l’idée qu’il n’y a pas d’homme éternel, mais la problématique n’est que très légèrement soulevée. De fait, les situations sont souvent simplifiées par une multiplication d’effets qui agissent comme un semblant de complexité (Garrick fusionne par exemple avec un agent du XXIe siècle et intègre ainsi ses connaissances et compétences, brisant la nécessité de l’adaptation). L’emprunt générique au steampunk, devenu un peu trop globalisant pour fédérer ou générer une idée spécifique, semble donc lui aussi un peu gratuit.

Quant à Riley, sa présence manifeste le désir de l’auteur de proposer/propulser un personnage ‘à la Dickens’, auquel hommage est rendu, et fonctionne également (un peu ?) comme un argument marketing. Mais cela importe peu : on se réjouit, tout se même, d’acquérir un texte qui pourrait, justement, aider à conduire les élèves jusqu’à Oliver Twist. Là réside sans doute l’un des atouts (il y en a d’autres, quand même) du nouveau roman d’Eoin Colfer.

Enfin, le ton prêté à l’agente Chevie Savano restitue la nouvelle esthétique (mode) des héros adolescents à l’insolence mordante. Là encore, Eoin Colfer s’en sort bien, en montrant notamment, quand l’ironie tombe à plat, que l’humour nécessite une forme d’intelligence, et de maturité.

Waterloo Necropolis

Waterloo Necropolis
Mary Hooper
traduit (anglais) par Fanny Ladd et Patricia Duez
(Les grandes personnes), 2011

Dickens au féminin

 Par Anne-Marie Mercier

Ceux qui aiment Dickens et qui auraient aimé qu’il écrive un Oliver Twist au féminin, ceux qui aiment les héroïnes opiniâtres, ceux qui aiment les récits où l’on frémit et où l’on apprend aussi quelque chose, ceux qui aiment les histoires de cimetières et d’entreprises de pompes funèbres, ceux qui aiment les livres dans lesquels la condition des femmes est observée sans tabous, ceux qui aiment les histoires qui finissent bien, ceux qui aiment les retournements de situation inattendus, ceux qui aiment la bonne littérature populaire… enfin, toutes ces personnes devraient aimer Waterloo Necropolis.

Deux mots de l’histoire ? Lili et Grace sont orphelines de mère, leur père est parti en Amérique avant la naissance de Grace ; il y est mort sans doute. Lili est simple d’esprit. Au début du roman, elles survivent vaille que vaille depuis qu’elles se sont enfuies d’un orphelinat où elles ont été maltraitées, et pire encore. Grace rencontre au cimetière idyllique de Brockwood deux personnes qui vont changer sa vie : l’une est un jeune avocat qui l’aidera à venir à bout des manigances d’affreux individus haut placés, l’autre est un couple entrepreneur de pompes funèbre qui l’embauchera comme pleureuse. Les rites funéraires de cette Angleterre (qui dans le cours du roman prendra un deuil général avec la jeune reine Victoria devenue veuve prématurément) sont un beau moment d’anthropologie. Les aventures des deux sœurs sont dans la première partie une descente aux enfers, dans la deuxième une remontée progressive mais soumise à de nombreux hasards. Misère et luxe, solitude et union, secrets, trahisons… on y trouve tous les ingrédients des romans populaires.

Enfin, chaque chapitre est précédé d’une citation (plusieurs viennent du Dictionnaire de Londres de Dickens), ou petite annonce, publicité, article de journal… qui annonce la suite : on saute ainsi de case en case dans ce parcours qui ressemble à un puzzle dont le dessin n’apparaît qu’en toute fin, avec une surprise de taille.

Ce livre, paru sous le beau titre de Fallen Grace, a été nominé pour le Carnegie Book Prize et pour le prix sorcières 2012 (il ne l’a pas eu ; c’est L’Innocent de Palerme de Susana Gandolfi qui a gagné, lui aussi publié aux Grandes personnes, comme Un jour de Morris Gleitzman : avec 3 romans sur 5 nominés pour la catégorie « romans ados », cette maison d’édition est vraiment à suivre de près.

Mary Hooper a écrit La Messagère de l’au-delà et une trilogie dans l’Angleterre élisabéthaine (La Maison du magicien) ; son nouveau livre, Velvet (non encore traduit) se passe en 1900.