Esther

Esther
Sharon E. McKay
Traduit (anglais, Canada) par Diane Ménard
L’école des loisirs (grand format), 2016

Histoire d’une fille déguisée en garçon

Par Anne-Marie Mercier

Le récit commence à Québec, en 1738. L’intendant de la ville interroge quelqu’un qu’on lui présente comme un jeune marin, tout juste débarqué, et apprend son histoire : ce jeune marin est une fille, Esther, née dans une famille juive de Bayonne. Comme Shéhérazade, Esther sait que son sort dépendra de son histoire. Cependant, elle raconte (du moins on le pense) toute la vérité. A la fin du roman, son sort semble scellé…
La vie d’Esther est un… roman, même si l’on apprend à la fin du livre qu’elle est tirée de faits vrais, du moins qu’une fille est bien arrivée à Québec à cette époque sous une identité de matelot. Mais tout ce qui a précipité cette jeune fille vouée à une vie tranquille est une succession d’événements inattendus, surprenants, parfois incroyables qui tiennent le lecteur en haleine.
Le caractère de l’héroïne est le principal moteur de l’aventure : elle est curieuse, refuse de se laisser enfermer, de se laisser marier, exploiter, prostituer, etc. Elle a aussi un grand cœur qui lui fait tenter de sauver d’autres qu’elle. Passant d’une vie d’enfant choyée à l’errance, d’un travail en cuisine fort rude à une existence dorée de future favorite royale (péripétie bien improbable et dont on pourrait se passer), elle est portée par de nombreuses fidélités : fidélités à sa famille, tout en s’en éloignant, à sa religion, malgré bien des difficultés , à son ami- amour qu’elle cherche dans le port et sur les mers.
Cela fait un assez joli roman historique, qui retrace avec beaucoup de détail la vie du quartier juif de Bayonne, l’animation des boutiques et du port, la vie ordinaire et extraordinaire de ces côtes.

Mon Cher Voltaire

Mon Cher Voltaire
Jean René

Bulles de savon (« Mon cher… »), 2015

 

Les éditions Bulles de savon se sont fait une spécialité de l’exploration de la vie de créateurs, avec la collection « qui êtes-vous » ?, avec des romans biographiques (Moi, Stevenson, de Jean René lui aussi) et avec la collection dans laquelle s’inscrit cet ouvrage.

Le parti pris de la lettre, certes artificiel, a cependant le mérite d’impliquer le lecteur qui, avec le narrateur, s’adresse ainsi à l’auteur, recherche une proximité, est en connivence avec lui (voir Lettre à l’écrivain qui a changé ma vie). Chaque « lettre » présente un aspect de la vie de Voltaire, qui coïncide souvent avec une période de sa vie. Présentées sur fond blanc, en caractères à empâtements (du Didot ?), ces lettres alternent avec des chapitres imprimés sur papiers de couleur en typographie plus simple (proche du type Arial) dans lesquels on voit Voltaire agir, parler, écrire, se promener, manger, écrire…
Ses œuvres sont évoquées surtout par la notoriété qu’elles lui donnent ; les contes seuls sont un peu détaillés, uniquement par le sujet et peu par la forme. Le but de l’ouvrage étant de dire un peu de tout, le reste de l’œuvre fait l’objet d’allusions, de courts dialogues, d’extraits de lettres (la correspondance est très présente, ce qui est une bonne chose). Le corps est au centre du récit, avec les maladies réelles ou feintes, l’alimentation, la recherche de confort. L’accent est également mis sur les conditions matérielles de l’exercice d’une pensée et d’une expression libre et sur la recherche par Voltaire d’une indépendance financière indispensable.
Enfin, l’image de l’écrivain engagé domine, avec un développement sur l’affaire Calas et sur celle du chevalier de La Barre ; un accent particulier est mis sur les incarcérations de Voltaire à la Bastille, son exil, les dangers qu’il court et les précautions qu’il prend pour publier ses œuvres. L’ensemble est donc assez complet, d’une lecture facile et stimulante.

Léon ou les confessions d’un orphelin ordinaire

Léon ou les confessions d’un orphelin ordinaire
Kathleen Vereecken
traduit (néerlandais – Belgique) par Emmanuelle Sandron
Bayard jeunesse (millézime), 2012

Rousseau le fils

Par Anne-Marie Mercier

leonoulesconfessionsL’année Rousseau (tricentenaire de sa naissance) a été très fertile en publications diverses même dans le secteur jeunesse (voir les chroniques du Rousseau d’E. Chiroutier, les Petits Platon et de Jean-Jacques Rousseau à 20 ans de Claude Mazauric, Au Diable Vauvert, 2011). Cet ouvrage est passé un peu inaperçu : Bayard a été discret, sans doute trop, voilà qui est rare.

Il est vrai qu’on aperçoit à peine Rousseau et qu’il n’y est guère à son avantage. Le héros, Dieudonné, surnommé Léon, né en 1746 est mis en nourrice dans le Morvan avec d’autres enfants abandonnés. Donc loin d’être orphelin, Léon a un père et une mère bien vivants (Jean-Jacques Rousseau et Thérèse Levasseur) ; il est l’aîné des cinq enfants abandonnés par le couple. Avant de narrer la quête de ses origines, le héros raconte son enfance, difficile, les circonstances qui le poussent à partir à pied pour Paris, les blanchisseuses qui l’aident, les métiers qu’il y exerce (notamment voleur de cadavres au cimetière des innocents pour le compte d’un étudiant en médecine, écrivain public…)

Il retrouve la trace de ses parents en 1761, au moment où Jean-Jacques Rousseau, se croyant mourant, demande à la Maréchale de Luxembourg de chercher la trace de ses enfants, puis se rétracte. Le roman raconte la rencontre de Léon et de Thérèse. Les explications qu’elle lui donne sont intéressantes et touchantes : elle a « donné » et non abandonné ses enfants, ; dans ses actes et ses pensées s’exprime beaucoup d’amour, simple et résigné. Quant au portrait qu’elle trace de Rousseau, il reflète sa soumission et sa dévotion au grand homme. Léon, au contraire, exprime sa révolte. S’il a lu La Nouvelle Héloïse avec délices avant de se savoir le fils de l’auteur, c’est avec un tout autre regard qu’il lit Emile et s’interroge, comme les contemporains et les lecteurs des siècles suivants, en se demandant comment l’auteur d’Emile avait pu abandonner ses enfants : remords, folie, égoïsme, pragmatisme, le mystère reste entier et l’une des qualités de l’ouvrage est qu’il ne cherche pas à le résoudre.

C’est d’abord une histoire d’enfance et d’adolescence dans les milieux pauvres du 18e siècle, paysans et forestiers d’abord, urbains ensuite, et un roman historique instructif et néanmoins réussi en tant que roman.  C’est ensuite une approche d’un auteur et de l’histoire de la littérature, de biais, en l’intégrant parfaitement à l’intrigue et sans qu’elle oublie les destins des personnages.

Le livre a obtenu le prix Boekenleeuw 2010.