Léon ou les confessions d’un orphelin ordinaire

Léon ou les confessions d’un orphelin ordinaire
Kathleen Vereecken
traduit (néerlandais – Belgique) par Emmanuelle Sandron
Bayard jeunesse (millézime), 2012

Rousseau le fils

Par Anne-Marie Mercier

leonoulesconfessionsL’année Rousseau (tricentenaire de sa naissance) a été très fertile en publications diverses même dans le secteur jeunesse (voir les chroniques du Rousseau d’E. Chiroutier, les Petits Platon et de Jean-Jacques Rousseau à 20 ans de Claude Mazauric, Au Diable Vauvert, 2011). Cet ouvrage est passé un peu inaperçu : Bayard a été discret, sans doute trop, voilà qui est rare.

Il est vrai qu’on aperçoit à peine Rousseau et qu’il n’y est guère à son avantage. Le héros, Dieudonné, surnommé Léon, né en 1746 est mis en nourrice dans le Morvan avec d’autres enfants abandonnés. Donc loin d’être orphelin, Léon a un père et une mère bien vivants (Jean-Jacques Rousseau et Thérèse Levasseur) ; il est l’aîné des cinq enfants abandonnés par le couple. Avant de narrer la quête de ses origines, le héros raconte son enfance, difficile, les circonstances qui le poussent à partir à pied pour Paris, les blanchisseuses qui l’aident, les métiers qu’il y exerce (notamment voleur de cadavres au cimetière des innocents pour le compte d’un étudiant en médecine, écrivain public…)

Il retrouve la trace de ses parents en 1761, au moment où Jean-Jacques Rousseau, se croyant mourant, demande à la Maréchale de Luxembourg de chercher la trace de ses enfants, puis se rétracte. Le roman raconte la rencontre de Léon et de Thérèse. Les explications qu’elle lui donne sont intéressantes et touchantes : elle a « donné » et non abandonné ses enfants, ; dans ses actes et ses pensées s’exprime beaucoup d’amour, simple et résigné. Quant au portrait qu’elle trace de Rousseau, il reflète sa soumission et sa dévotion au grand homme. Léon, au contraire, exprime sa révolte. S’il a lu La Nouvelle Héloïse avec délices avant de se savoir le fils de l’auteur, c’est avec un tout autre regard qu’il lit Emile et s’interroge, comme les contemporains et les lecteurs des siècles suivants, en se demandant comment l’auteur d’Emile avait pu abandonner ses enfants : remords, folie, égoïsme, pragmatisme, le mystère reste entier et l’une des qualités de l’ouvrage est qu’il ne cherche pas à le résoudre.

C’est d’abord une histoire d’enfance et d’adolescence dans les milieux pauvres du 18e siècle, paysans et forestiers d’abord, urbains ensuite, et un roman historique instructif et néanmoins réussi en tant que roman.  C’est ensuite une approche d’un auteur et de l’histoire de la littérature, de biais, en l’intégrant parfaitement à l’intrigue et sans qu’elle oublie les destins des personnages.

Le livre a obtenu le prix Boekenleeuw 2010.

 

Moi, Jean-Jacques Rousseau

Moi, Jean-Jacques Rousseau
Raconté par Edwige Chirouter, illustré par Mayumi Otero
Les petits Platons, 2012

Rousseau – Hop ! Opéra

Par Anne-Marie Mercier

Anniversaire oblige (voir plus bas, la notice sur Rousseau à 20 ans), voici Rousseau expliqué, ou plutôt « raconté » aux enfants. Mais quels enfants ? C’est la question qu’on se pose pour certains titres de cet éditeur et elle revient pour ce volume. L’ambition est totale (et vertigineuse) : proposer en un petit livre illustré un résumé de la vie et de la pensée de Rousseau. L’acte I résume sa vie jusqu’à « l’illumination de Vincennes », l’acte II ses idées sur la société, l’acte III porte sur l’éducation et le final est en chansons. Cela oblige à bien des raccourcis (voir nommer « Emile » l’enfant sauvage me donne un peu le tournis, même si cela permet de mettre en cohérence plusieurs œuvres) et parfois à des à-peu-près discutables : Rousseau apparaît un temps comme un apôtre de la Révolution, même si plus loin il s’interroge pour savoir s’il ne faut pas plutôt craindre un tel bouleversement. En somme, rien n’est faux mais tout est bien sûr rapide et dense.

C’est une qualité pour ce type d’ouvrage. L’auteure réussit le tour de force de transformer un écrit de type documentaire en partition rythmée. Rousseau, le narrateur, est présenté comme un metteur en scène d’opéra qui dirige quelques acteurs (l’enfant sauvage, le lecteur, Thérèse) et des marionnettes (Diderot, notamment, l’un des « traîtres »). C’est donc le Rousseau d’Ermenonville, proche de sa fin, qui parle, enjoué et fou de musique au début, autoritaire et soupçonneux à la fin de l’ouvrage (était-ce bien nécessaire ?). Il varie le rythme (ralentissement et trémolos lors de l’épisode du ruban volé (bien vu), intermède en chanson sur la botanique) ; il fait bondir et voler ses acteurs (illustrations très vives, gaies, parfaites), confronte Emile et le lecteur pour montrer comment l’entente est vite détruite par l’« amour propre », et gronde la pauvre Thérèse. On s’amuse, on s’étonne, on est attendri.

Ce petit théâtre est très bien servi par les illustrations qui mettent en valeur cette « mise en scène », lui donnent une profondeur ou insistent sur sa surface. On imagine que ce livre pourrait servir d’introduction à l’étude de Rousseau (mais avec bien des aménagements et des retours). On peut aussi jouer à retrouver certaines de ses phrases tirées de son œuvre et données sans guillemets ni notes. Mais pour quels enfants, alors ? Certainement pas pour les Emile, mais… pour les petits Platons !

L’auteure est une spécialiste de la philosophie en littérature de jeunesse (voir son blog).

Jean-Jacques Rousseau à 20 ans

Jean-Jacques Rousseau à 20 ans ; un impétueux désir de liberté
Claude Mazauric
Au Diable Vauvert, 2011

 Jean-Jacques avant Rousseau

par Anne-Marie Mercier

La collection « à 20 ans » ajoute en 2012 un portrait de Jean-Jacques Rousseau à ceux de Flaubert, Genet, Duras, Colette, Proust, et Hemingway. Ce saut en arrière dans le temps s’explique sans doute par les célébrations Rousseau de cette année (tricentenaire de sa naissance : voir le blog de l’ARALD, le site que la région Rhône Alpes lui a consacré,  le site « 2012 Rousseau pour tous » de Genève) et pour des nouvelles sur la recherche internationale le site de  l’association Rousseau.

En dehors de ces circonstances, ce livre s’imposait car Jean-Jacques est un anti modèle qui rassurera bien des adolescents et bien des parents : enfant sans école, apprenti qui fugue à 16 ans par peur d’une punition,  rêveur mal élevé et mal à l’aise avec les usages du monde… il hésite encore entre plusieurs professions à l’âge de 30 ans. Autant dire que pour parler de l’écrivain tout en décrivant le jeune homme, l’auteur a dû faire quelques entorses au principe de la collection, ce qui lui fait écrire, évoquant le séjour de Rousseau à Lyon avant sa « montée » à Paris : « à 30 ans, Jean-Jacques est devenu potentiellement Rousseau : on ne tardera pas à le savoir ». L’auteur réussit ce tour de force : on voit comment le temps en apparence perdu a été une construction lente et au bout du compte cohérente; de nombreuses incursions vers les oeuvres à venir sont très éclairantes.

Tous les raccourcis qu’on peut lire sur Rousseau sont fort justement revus par l’auteur, historien spécialiste de la période, à commencer par la notion d’autodidacte : elle n’a pas de sens à cette époque, et Rousseau a eu des maîtres, quelques uns fort bons. Les périodes et les lieux de formation comme Genève (la Genève réelle, bien décryptée, et la Genève rêvée) puis Lyon sont mis en valeur alors que bien souvent l’on ne voit que Paris. Le Rousseau qui chemine, le long des rivières et des lacs, comme d’une ville à l’autre est une autre belle découverte, comme son « identité francophone quasiment cosmopolite ». C’est tout un destin qui est présenté, ou plutôt un parcours, qui mène de l’apprenti à l’écrivain célébré par toute l’Europe – et le monde entier aujourd’hui. Enfin, l’ouvrage est une réussite par son écriture limpide et sa finesse. Il propose un Jean-Jacques aimable et proche et évite ainsi les aspects qui trop souvent détournent les jeunes gens de son œuvre. Quel que soit l’âge, c’est une belle lecture et un beau livre bien plein et bien fait.

Voir l’entretien avec Claude Mazauric sur France-culture (8/6/2011).