Le Temps est rond

Le Temps est rond
Victoria Kaario – Juliette Binet (illustration)
Rouergue 2023

Six jours sans maman

Par Michel Driol

Mona dort dans son lit. Sa maman est partie de l’autre côté de l’océan pour son travail. Sa grand-mère la garde. Qu’est-ce que 6 jours ?

Cette nouvelle collection au Rouergue entend aborder des concepts avec les tout-petits : le temps (ici), l’amour, la joie, en associant un récit avec des illustrations très graphiques. Le temps est rond… alors que, spontanément, on l’associerait plutôt à une ligne, un axe. C’est bien la belle trouvaille des deux autrices d’utiliser le cercle, figure protectrice, pour illustrer certains aspects du temps et rendre perceptibles quelques attributs de ce concept, difficile à concevoir, sans doute vécu bien différemment par les enfants que par les adultes. Comment mesurer le temps, aborder les notions de succession et de simultanéité, de durée (vécue subjectivement de façon bien variable), voilà quelques unes des notions abordées par les autrices.

D’abord par un récit très proche des réalités enfantines, qui prend appui sur une semaine sans maman, une semaine qui peut paraitre longue, mais qui peut se mesurer de façon concrète en nombre de verres de lait ou de chaussettes (on échappe – et c’est heureux – au décompte en nombre de dodos !). Une journée, cela peut passer très vite si elle est bien remplie. Les jours se succèdent, l’un après l’autre. Et pendant que Mona dort, ou se réveille Maman fait autre chose (voyage, s’endort). C’est malin, sensible, et intelligent. Ce récit d’accompagnement par la grand-mère et le père de la fillette est magnifiquement illustré par des ronds.

De ronds qu’on peut compter (six, comme six jours, ce qui est peu à côté des 60 jours des vacances d’été), des ronds qui peuvent se découper (un demi en haut sur fond sombre pour maman qui se couche, un demi en bas pour Mona qui se lève, sur fond plus clair), des ronds qui peuvent se déformer pour montrer l’accélération du temps, se succéder en changeant de couleur (du sombre de la nuit au clair du jour), s’allonger pour prendre les couleurs de l’arc en ciel, à l’image d’une journée pleine d’activités, ou devenir concentriques, un grand et un petit, à l’image d’un câlin. C’est beau, évocateur, et plein de poésie graphique.

Un album réussi, qui renouvelle, par la poésie, le graphisme et le récit, l’approche sensorielle des grands concepts fondamentaux à destination des jeunes enfants. Ajoutons que l’album est cartonné, ce qui devrait permettre aux tout-petits à qui il s’adresse de le feuilleter seuls.

 

 

L’Invention des dimanches

L’Invention des dimanches
Gwenaelle Abolivier, Marie Détrée,
Rouergue, 2022

Au large, sur l’océan, en avant toute !

Par Anne-Marie Mercier

Marie Détrée est peintre officielle de la Marine depuis 2010, quelle découverte pour moi ! Il existe donc encore des artistes officiels, comme Racine qui était historiographe du Roi ? Eh bien, la Marine a bien choisi et on s’en réjouit : les image de Marie Détrée, tout en hachures colorées (feutres ? pastels gras ?), sont absolument merveilleuses . Elles rendent la couleur changeante des mers, les saisons, les heures et les vents, mais aussi les latitudes et longitudes, la lumière pétillante et l’obscurité dense.

C’est un journal de bord. Les auteures nous invitent   à suivre un voyage au long cours que, sur un grand cargo chargé de conteneurs, pour une traversée de l’Atlantique jusqu’aux Antilles. On change d’heure au rythme des chapitres, et tout au long du temps de la lecture on lit l’écoulement du temps et la variation entre la durée du récit et la durée de l’action : si le texte du Journal de bord , depuis le « Jour J » jusqu’à  J + 56, est étoffé dans les premières pages / jours, il se fait de plus en plus bref à mesure que s’installent la monotonie et l’ennui.
À J 27, « d’un coup l’ennui tombe comme une enclume ».
Le titre fait référence à une habitude maritime (que certains ont pu réinventer lors des confinements dus à l’épidémie de Covid) : pour rompre la monotonie des jours, les marins inventent des dimanches qui n’ont rien à voir avec le calendrier ordinaire : on est dans un espace-temps autre.
Descente à la salle des machines, promenade sur la passerelle, visite à Oscar (le mannequin qui sert pour les exercices de sauvetage), discussions avec les marins qui ont heureusement beaucoup d’histoires étonnantes à raconter… les découvertes des premiers jours laissent la place à un calme plat mental, rompues parfois par un grain, un bateau qui passe… Si l’expérience de l’espace est bien là dans les images, dans le texte c’est l’épaisseur du temps qui prend toute la place.

Voilà un très beau voyage, à faire et refaire… sans aucun ennui..