Le Voyage de Daphné

Le Voyage de Daphné
Cholé Almérias
Seuil Jeunesse 2024

La petite fille libre qui courait le monde

Par Michel Driol

Daphné décide de partir, avec seulement ses chaussures, sa bille préférée, un origami et un crayon. Après avoir traversé le pont, elle découvre des chemins, des villages, des animaux, des mers glaciales, des ours blancs, des gens sur des kayaks qui en échange de ses trésors lui donnent un cadeau qu’elle accroche au mur avant de créer son monde.

Disons le de suite : il ne faut pas chercher de cohérence dans cet album. Ni psychologique (pourquoi Daphné part-elle ? Pourquoi ces objets ?), ni géographique (on passe en deux pages d’une mer chaude à une mer froide)… Le texte invite à chercher avec Daphné des éléments, animaux, végétaux, maisons dans des images tantôt très composites et fouillis, tantôt plus géométriques, tantôt assez minimalistes. C’est une vraie recherche graphique qui est à l’œuvre dans ce « cherche et trouve autour du monde », comme le présente le sous-titre. Si certains éléments sont faciles à trouver, d’autre demandent un regard plus aigu, une lecture plus fine des illustrations.

Au-delà de ce jeu de « cherchez Charlie », l’important est peut-être dans la dernière page, avec l’échange symbolique de cadeaux, qui fait sortir la fillette de son univers enfantin pour la propulser dans un autre monde à créer et non plus à parcourir. Le voyage prend alors un côté initiatique, porté en filigrane par le texte.

Voilà un livre jeu à parcourir en se demandant où habiter le monde et comment en dénombrer la richesse et la variété.

Et j’entends siffler le train

Et j’entends siffler le train
Stéphanie Demasse-Pottier, Lucie David
Sarbacane, 2024

Remède contre l’ennui

Par Anne-Marie Mercier

Si le titre évoque une chanson mélancolique issue la country américaine (« 500 Miles »), interprétée en français (1962) par Richard Anthony et par Hugues Aufray, le train de cet album nous emporte pour notre plus grand bonheur loin de la grisaille de l’ennui dans lequel est plongé la narratrice.
À sa fenêtre, elle imagine un train qui passe, qui pourrait être aussi bien un vieux train à vapeur qu’un train moderne. Elle se voit à bord, avec différentes identités et différents costumes, tous fantaisistes et colorés, ou bien en restant elle-même, rêveuse.
Les paysages défilent, de toutes sortes. Elle dessine ce qu’elle « voit » pour envoyer ensuite ses images par la poste à ses amis : mise en abyme, voyage imaginaire de la narratrice et voyage réel – fictivement – des images… on s’envole avec elle dans ces belles peintures à l’allure enfantine.

 

 

Mumbo Jumbo et les champignons mystères

Mumbo Jumbo et les champignons mystères
Jakob Martin Strid
Sarbacane, 2023

Gulliver, Baba Yaga et un hippopotame

Par Anne-Marie Mercier

Une grande fête se prépare chez les animaux de la Petite Vallée.
« Est-ce que je peux vous aider ? » C’est par cette question que Mumbo, le petit hippopotame plonge dans la catastrophe : on l’envoie chercher des chanterelles ; il part bravement, avec le sac à dos de son ami Fred, le crocodile, sans bien savoir à quoi ressemblent ces champignons. Il goute ceux qu’il trouve et découvre, en revenant vers ses amis, qu’ils ont rapetissé, ou plutôt que c’est lui qui est devenu un géant.
Nouveau Gulliver, Mumbo Jumbo se désespère et pleure pour redevenir petit, pouvoir être à nouveau dans les bras de sa maman, entrer dans sa petite maison, etc. Touchés, ses amis (guépard, éléphant bleu et tapir) s’unissent pour l’aider et l’emmènent voir la sorcière Baba Yaga qui devrait pouvoir le libérer de ce sortilège…
Le périple est très drôle, depuis ses préparatifs (comment faire pour que les distances immenses puissent être couvertes par des animaux de taille normale ­– on fabrique un ballon, la baignoire du crocodile servira de nacelle – Mumbo traversera la mer à pied comme Gulliver, et fera peur aux automobilistes sur l’autoroute) jusqu’à la Sibérie, en capturant au passage un satellite rempli de bonbons. Baba Yaga a bien changé : la magie lui donne mal à la tête, elle préfère l’énergie nucléaire. Elle a aussi une belle trousse à outil et des talents de bricoleuse.
Enfin, tout cela est charmant et plein de fantaisie. Les larges images aux couleurs fluo fourmillent de détails et tous ces animaux enfantins forment une belle équipe d’aventuriers timides.

 

Vacances d’hiver

Vacances d’hiver
Mori
HongFei, 2024

La France en vitrine

Par Anne-Marie Mercier

Après ses Vacances d’été, Mori nous emmène en voyage d’hiver. Son petit personnage part cette fois du Japon (au lieu d’y aller comme c’était le cas dans l’album précédent), toujours avec son chat et toujours avec des tenues appropriées, pour l’une comme pour l’autre. Coiffés de jolis couvre-chefs, tous différents, choisis selon les circonstances, arborant des tenues rayées de bleu, blanc, rouge, ou de gros blousons (on songe aux poupée de carton à habiller dans les journaux d’autrefois), ils nous entrainent vers les plaisirs de l’hiver : visiter Paris (ah, l’opéra, les quais de Seine et Notre Dame…), glisser sur les patinoires, contempler la montagne avec ses téléphériques, faire de la luge… s’éblouir avec les cadeaux, les illuminations, tout cela émerveille… avant un retour sage chez soi, sur son tatami, une jolie tour Eiffel en souvenir sur une étagère et des images plein la tête.
Les très belles images de cet album sans texte (hors les pages de garde) qui sont autant de cartes postales, ou de capsules de mémoire, font aussi sourire par leurs détails  (les boulangeries fermées le lundi, un chat de neige à côté d’un bonhomme de neige contemplé, en miroir, par les deux amis, le lion de Béatrice Alemagna qui marche en bord de Seine… tout un voyage !

Allons voir la mer

Allons voir la mer
Mori
HongFei 2023

Un voyage imaginaire

Par Michel Driol

De dos, on voit un enfant qui dessine. Dans un tiroir de son bureau, une souris et un ourson. Sur une étagère, un éléphant. Dans un panier un chat noir. Derrière lui un ventilateur. Puis on passe à un autre univers. Petite souris et Ourson décident d’aller voir la mer. Et les voilà partis, bravant les obstacles, attendant le bus, emmenés par un chat noir géant. Malgré la pluie ou la canicule, ils découvrent la mer. Et nous retrouvons l’enfant endormi à son bureau, et voyons quelques-uns de ses dessins, un éléphant, un parapluie…Ses parents le mettent au lit, où il embarque pour un nouveau voyage.

Dédicacé à tous les enfants, grands et petits, qui ne boudent pas leur plaisir à jouer seuls, cet album évoque bien sûr l’imaginaire enfantin, et sa façon de (se) raconter des histoires à partir d’éléments concrets qui se mettent à prendre vie. La magie de l’album est de nous y faire croire, de nous faire oublier qu’on est dans les dessins et l’imagination de l’enfant pour vivre aussi, « pour de vrai », cette aventure de deux doudous pleins d’optimisme, de courage, et d’allant. Se croisent les fils du réalisme, liés à la connaissance du monde (par où passer, l’attente du bus, les bouchons, la plage…) et ceux de l’imaginaire (le transport à dos de chat, la pomme géante ou le dragon aidant). Il y a donc là comme une métaphore de la création littéraire, œuvre solitaire, épuisante, liée à la fois à l’environnement (ce qui est dans la chambre) et à sa sublimation par l’imaginaire et les désirs profonds, qui en font autre chose, la création d’un univers personnel. Cet hommage au pouvoir créateur de l’enfance est montré pour l’essentiel à travers le dialogue savoureux entre les deux doudous, pleins de prévenance l’un pour l’autre, et par des illustrations empreintes de naïveté, d’humour et d’exagérations (très enfantines).

Mori, jeune et prometteur auteur-illustrateur taïwano-parisien, a le don pour capter un moment particulier de l’enfance, une histoire minuscule de dessin, pour faire vivre au lecteur un moment plein de poésie et de tendresse, et le faire entrer à la fois dans les mécanismes de l’imaginaire enfantin et de la création artistique.

Nationale 7

Nationale 7
Didier Lévy, Sonja Bougaeva
Sarbacane, 2023

« Le ciel d’été / Remplit nos cœurs d’sa lucidité » (Ch. Trenet)

Par Anne-Marie Mercier

Rien de tel qu’un voyage pour explorer l’espace et le temps et tester les liens affectifs. Ici, un petit garçon part avec sa mère dans une vieille voiture décapotable jusqu’à la mer (tiens !). Voyage avec eux le souvenir du grand-père, garagiste et globe-trotter, qui avait tout appris à sa fille : on la voit d’ailleurs réparer la voiture au cours du trajet. Après un pique-nique vers Saint-Etienne et une nuit sous les étoiles, ils arrivent au bord de la méditerranée chez l’homme à qui la mère doit livrer la voiture : elle répare des voitures anciennes et les revend. Ils rentreront en train après avoir pris des vacances imprévues à la plage.
On apprend tous ces détails petit à petit, au fil de l’histoire, toujours d’une façon liée aux événements. C’est l’enfant qui raconte. Les rapports entre la mère et l’enfant prennent de la densité au fil des pages. L’espace est l’autre protagoniste. L’album déroule le paysage ; il lui suffit de peu de texte pour évoquer les changements progressifs : couleurs, noms des départements. L’espace s’élargit aussi avec ce que fait surgir dans les images l’évocation du grand père, ou le nom d’une constellation, traces de l’imaginaire de l’enfant.
La beauté et la variété des couleurs, la douceur des traits, la fantaisie des images qui prend les mots au pied de la lettre, les visages lunaires de l’enfant et de sa mère, tout emporte le lecteur dans ce voyage.
L’ancienneté de la voiture (que l’acheteur a participé à fabriquer autrefois), la référence à la génération précédente, le trajet au long cours sur une nationale sont en accord avec une impression de nostalgie, tout comme les vieilles chansons que la mère et son fils chantent (« La Bohême » de Charles Aznavour).
On aurait pu ajouter « Nationale 7 » de Charles Trenet.

Cheval

Cheval
Ronald Curchod
Rouergue 2023

Le long voyage de Cheval au fil de l’eau

Par Michel Driol

Un cheval – Cheval – au bord d’un étang, immobile. Il entend son nom. Il suit la rivière, rencontre un enfant et tous deux continuent de descendre le fleuve jusqu’à la mer. Voilà pour le résumé qui ne rend absolument pas compte de la beauté des illustrations et de la poésie de la langue qui introduisent le lecteur dans un univers à contempler.

L’album fait alterner des doubles pages porteuses d’une illustration – format large, à l’italienne – et des doubles pages blanches, porteuses du texte sur la page de droite, imprimé en orange. Ce dispositif confère à la lecture de l’album un certain rythme, lent, apaisé. Il faut savoir prendre le temps de contempler l’illustration, une magnifique peinture, tantôt en plan large, tantôt focalisée sur un animal, tantôt sur un détail. On est tantôt la nuit, avec des bleus profonds que trouent parfois une lumière, la lune ou les étoiles. Tantôt dans l’oranger généreux d’un lever de soleil. Tantôt dans le vert de l’eau où nagent des poissons et se reflètent des oiseaux. Chaque tableau, dans ses couleurs, dans sa composition, dans ses détails, dans son traitement est une invitation à prendre le temps de regarder, contempler cette nature ainsi magnifiée où résonnent les couleurs. Si l’on suit un fleuve, ce sont pourtant les verticales des arbres qui structurent le plus souvent l’espace, au point de rendre bien différentes les deux dernières illustrations, la ligne d’horizon entre ciel et mer et les oiseaux qui volent, puis la rotondité pure du soleil.

Quant au texte, il tire sa force poétique de son rythme et des larges blancs qui l’entourent, comme une façon de signifier le silence et la lenteur. C’est un texte qui parle du temps et du mouvement, de la rencontre et de la nature. Un texte à la première personne – c’est Cheval qui parle – et l’on ne peut s’empêcher de penser à la simplicité, au lyrisme, et au symbolisme de Paul Fort. Simplicité du lexique et du monde de la nature et de l’eau évoquées, nommées, avec précision et réalisme. Lyrisme du je qui s’exprime et découvre l’élan vers autre chose que ce qu’il connait. Symbolisme de ce voyage qui conduit vers le bonheur simple et la joie partagée devant le « plus beau matin du monde ».

Un superbe album qui va à l’encontre de bien des caractéristiques de notre monde moderne : la vitesse, la technologie, la compétition. Un album qui incite à prendre son temps, à contempler une rivière toujours changeante, et à écouter le chant des oiseaux et les bruits de l’eau. Plaisirs simples et tellement précieux !

Les Aventures d’Alphonse Lapin

Les Aventures d’Alphonse Lapin
Jean-Claude Alphen
D’eux 2023

Un Tour du monde en 124 pages

Par Michel Driol

Cet album sans texte nous propose de suivre Alphonse Lapin dans ses aventures autour du monde. Tout commence à Paris, puis il part en montgolfière à Londres, en Hollande, à Moscou. Accident de montgolfière : le voici à l’hôpital, et c’est en petit avion qu’il décolle pour le Japon. Lorsque son avion est frappé par la foudre, il saute en parachute au-dessus de Sydney. Il en repart en voilier, navigue en Inde, devient alpiniste au Bhoutan, médite pendant un an sous un arbre, et repart, en avion de ligne cette fois, pour l’Egypte, la Grèce, l’Italie. En paquebot, il arrive au Brésil, en Amazonie. Avion de ligne à nouveau pour visiter New York, et retour en train chez lui, dans un Québec enneigé. Sur son fauteuil est ouvert le Voyage au centre de la terre

Les illustrations de Jean Claude Alphen nous conduisent dans un monde à la fois fantaisiste et réaliste. Fantaisiste par ses habitants, des animaux et non des hommes, lapins, bien sûr, mais, au fil des pages, on croisera bien d’autres espèces. Dans cet univers, on ne s’étonnera pas de voir dans un musée New Yorkais des carottes traitées à la Andy Warhol, ou le Christ du Corcovado avec de grandes oreilles… Fantaisie aussi dans les premiers moyens de transport aériens utilisés. Mais réalisme dans les emblèmes principaux des villes visitées, qui permettront à tout le moins au lecteur adulte de les identifier. On retrouve ainsi régulièrement des monuments (la Tour Eiffel, le Taj Mahal…), de la nourriture (fish and chips, donuts…), des éléments culturels (Tournesols de Van Gogh exposés en Hollande, momies en Egypte, ou  Lac des Cygnes sur la scène du Bolchoï). Alphonse Lapin se montre touriste parfait, curieux de tout, utilisant les moyens de transport locaux (carte du métro de Londres, tuk-tuk en Asie). Si les sports extrêmes ne lui font pas peur, il sait aussi passer un an dans un monastère bouddhiste à méditer. Lointain héritier des héros de Jules Verne, il ne se départit jamais de son élégance vestimentaire (pull rouge et pantalon bleu). Les illustrations, traitées à l’aquarelle et à l’encre de Chine, constituent un bel beau carnet de voyage, qu’il s’agisse de paysages urbains en double page ou de croquis liés au péripéties du voyage. Cela permet de jouer avec le rythme de lecture. Quant au retour à la maison il s’accompagne d’une certaine dépression. C’est l’hiver, les rues sont désertes, l’aventure est terminée… à moins que le livre de Jules Verne qui traine sur le fauteuil ne sonne comme l’annonce d’une nouvelle expédition !

Un tour du monde plein de couleurs, des péripéties nombreuses et variées, un bel album signé d’un auteur qui révèle une fois de plus son inventivité dans la façon de raconter des histoires et de conjuguer imaginaire et sens du réel comme une définition de l’enfance.

Réfugié n’est pas mon nom

Réfugié n’est pas mon nom
Kate Milner traduit par Olivier Adam
La Martinière jeunesse 2023

Expliquer l’exil…

Par Michel Driol

Les premiers mots de l’album fixent un cadre tout en douceur et simplicité. « On va devoir partir, m’a dit maman. C’est devenu trop dangereux ici. Tu veux que je t’explique comment ça va se passer ? » Puis c’est la voix de la maman que l’on entend, qui explique le départ, les conditions d’un voyage qui sera rude dans un confort sommaire, la longueur des marches qu’il faudra faire, l’ennui probable durant les longues attentes, la promiscuité… avant de pouvoir enfin défaire les bagages et commencer à comprendre les gens autour.

Voilà un album qui évoque la question des réfugiés à hauteur d’enfant, dans la relation émouvante entre une mère et son enfant. Le dispositif narratif, avec une grande efficacité, conduit le lecteur à s’identifier à l’enfant qui va partir, en l’invitant à répondre aussi à quelques questions. Quel est le truc le plus bizarre que tu aies mangé ? A quoi joueras-tu pour te distraire ? Questions qui prennent tout leur sens ici. Comment parler d’un voyage dangereux et long à un enfant ? Comment lui expliquer que, du jour au lendemain, il va devoir tout quitter pour un ailleurs incertain ? Se mêlent dans les propos de la mère les mises en garde, la volonté de s’assurer l’accord de son fils, et quelques petites choses positives à quoi se raccrocher…  les découvertes qu’on fera, les nouveaux plats, le plaisir de voir de nombreuses voitures et camions. Ces petits riens dérisoires apparaissent comme une maigre consolation face aux pénibles épreuves  évoquées par la mère. Si le texte au futur laisse à imaginer ce que sera le voyage, le parti pris de l’illustration est tout autre. Il s’agit de montrer la réalité de ce que vivent les migrants. De façon récurrente revient l’image de l’enfant, toujours en pied, passant par toutes sortes d’émotions et de sentiments, de la joie à la tristesse, de l’épuisement à l’étonnement, toujours accompagné de ses deux attributs : son sac à dos, pas trop lourd pour qu’il puisse le porter, et son doudou dont il ne se sépare pas. C’est aussi la réalité des autres, une possible grand-mère à qui on dit adieu, d’autres migrants, autres toujours montrés en grisé, jusqu’à l’arrivée, où les couleurs reviennent, symbolisant l’espoir d’une nouvelle vie. Ainsi au chat en grisé des premières pages succède un chat marron dans les dernières pages. C’est enfin un album qui évoque, par son titre qui est aussi sa dernière phrase, la question de l’identité et de la nomination. Réfugié n’est pas ton nom, belle façon de dire à cet enfant, et à tous les lecteurs, que derrière ce mot commode de « réfugié » se cachent des vies, des identités, des parcours, et ce qu’il a fallu de courage pour fuir un danger et en affronter d’autres.

Au travers de ce qu’on sent d’amour de cette mère pour son fils, c’est un album qui aborde sans faux-semblants la question de l’exil des enfants, avec une grande sensibilité et de façon très émouvante. Comment ne pas s’identifier à cet enfant ? Comment ne pas s’identifier aussi à cette mère qui doit préparer son enfant à vivre des choses qu’on ne souhaite à personne ?

 

Josette au bout de l’eau

Josette au bout de l’eau
Alec Cousseau – Illustration de Csil
A pas de loups 2022

Heureux qui comme Josette a fait un beau voyage…

Par Michel Driol

Petite fille curieuse, Josette voudrait bien savoir ce qu’il y a « au bout de l’eau ». Partant sur son bateau, elle en rencontre un plus gros, part explorer le fond de la mer, puis s’en va vers le nord, là où l’eau se transforme en glace. De retour chez elle, elle soulève une nouvelle question, « qu’y a-t-il au bout du ciel ? »

L’album évoque la curiosité enfantine, la nécessité de voir pour savoir, dans un récit merveilleux qui fait la part belle à l’imaginaire pour poser des questions sérieuses. Les questions sérieuses, ce sont celles des limites, des bornes, du passage d’un état à l’autre, de l’infini… toutes les questions que l’on se pose devant la ligne d’horizon. Ces questions sérieuses, métaphysiques, ou simplement humaines, sont traitées ici sans aucune austérité, mais avec poésie et légèreté. Évacuons-les tout de suite, et laissons à chaque lecteur le soin de se les poser pour nous concentrer sur l’originalité de cet album. D’abord son héroïne dont l’illustratrice montre les yeux grands ouverts et l’abondante chevelure rousse. C’est une aventurière ! Ensuite le recours à l’imaginaire et au merveilleux, qui conduisent l’héroïne à la rencontre de personnages fantastiques, comme la sirène, de guides hors du commun, comme l’étoile de mer, ou d’animaux parlant et pleins de sagesse, comme l’ours blanc. C’est aussi à une distorsion du temps et de l’espace que conduit cet album. Cet immense voyage… ne dure qu’une journée puisque Josette rentre le soir sur la plage où elle retrouve ses amis. Cet album ne manque pas d’humour, non plus. La découverte de Josette, c’est qu’il y a au bout de l’eau « un ours ronchon et de gros glaçons ».  Fallait-il entreprendre une telle odyssée pour en retirer cette connaissance-là, cette sagesse que M. Prudhomme ne renierait pas, qui dit, en filigrane, qu’on est bien là où on est ? Ce serait passer à coup sûr à côté de l’album, de sa loufoquerie apparente, et du contraste entre le texte, volontairement minimaliste, et l’illustration luxuriante. En effet, on a d’un côté un texte qui fait la part belle au dialogue, à des questions dans des formes souvent poétiques, et de l’autre des illustrations qui montrent la diversité du monde, des plantes, des animaux… Des illustrations qui ne cherchent pas à avoir un côté documentaire (la même double page fait se côtoyer un flamant rose et un ours polaire), mais invitent à ouvrir les yeux et à explorer la variété du monde avec le regard naïf de Josette. C’est drôle, bien sûr, rythmé, avec un accord parfait entre la mise en texte et les images, entre l’esprit de sérieux de la démarche d’exploration et la fantaisie de l’auteur et de ses personnages.

Un album dans lequel on prend plaisir à suivre une héroïne de conte, vive, enthousiaste, passionnée dans sa quête des frontières et des limites, dans sa soif de dépasser les limites de son savoir, dépeinte avec humour par un auteur et une illustratrice qui nous invitent à réfléchir sur les limites mêmes de ces quêtes illimitées.