J’ai avalé un arc-en-ciel

J’ai avalé un arc-en-ciel
Erwan Ji
Nathan, 2017

Ne pas se fier aux apparences!

Par Christine Moulin

Que voilà un roman surprenant ! A priori, on croirait qu’il a été écrit par une jeune fille américaine: en effet, il se présente comme la transcription d’un blog d’une certaine Puce, qui, en fait, s’appelle Capucine. Bien sûr, on ne fera pas l’erreur de confondre auteur, narrateur et personnage. Mais quand même… On se demande comment un homme, d’une trentaine d’années, breton, sait tant de choses sur les mœurs très particulières d’un lycée américain huppé (un établissement du Delaware, réservé à ceux qui ont les moyens de se le payer: si Capucine peut y être inscrite, c’est que sa mère y est enseignante de français). Il semble ne rien ignorer de l’enseignement qui y est délivré, des méthodes pédagogiques, du quotidien  des élèves, de leurs rites, de leurs fêtes, de leurs lois, implicites ou non, des codes qui régissent leurs relations. Il est vrai qu’un auteur peut se documenter… Il est vrai aussi qu’il faudrait vérifier la véracité de sa description…

Mais ce qui est plus intrigant,  c’est la façon dont il sait décrire, avec une finesse qui laisserait croire qu’il se sert de souvenirs personnels, les émois, les pensées, les angoisses, les sentiments, les joies d’une ado mi-française mi-américaine. La surprise est d’autant plus grande que, quand on aborde les premières pages, on se dit qu’on a encore affaire à un de ces ouvrages trouvés par l’éditeur sur Internet, écrits par des jeunes filles bavardes, qui, avec un style de rédaction de 3ème, accumulent les clichés et les situations convenues: « Si vous lisez ces lignes, vous êtes tombé sur mon blog ». Mais très vite, certaines dissonances indiquent qu’on fait peut-être fausse route: « On ne peut pas se plaindre de vivre dans le Delaware quand il y a des endroits qui s’appellent Gaza, Soudan ou Corée du Nord. » ou « Je ne sais pas pour vous, mais quand mon réveil sonne, si le diable arrivait et m’offrait dix minutes de sommeil en plus contre la vie de mon père ou de ma mère, je pense que ça me ferait réfléchir. Je ne dis pas que je dirais oui, mais je ne dirais pas non avant d’avoir pesé le pour et le contre. » Autrement dit, on a l’impression d’entendre une voix, drôle, ironique, généreuse, vivante.

Si bien qu’on continue et qu’on ne lâche pas ce livre qui, pourtant, ne raconte pas vraiment d’histoire: il ne se passe pas grand-chose mais l’ensemble s’apparente à une chronique (on suit Puce sur une année scolaire) attachante, changeante, nuancée, qui mène tout doucement l’héroïne au bord d’une autre vie, celle où l’on doit quitter ses parents, son cocon, pour aller vers l’âge adulte. On ne s’ennuie jamais avec elle et on prend beaucoup de plaisir à suivre sa douce évolution, son éducation sentimentale, sa maturation, d’autant plus que l’écriture de ce premier roman est tonique, originale, grâce à un mélange d’anglais et de français, qui ne freine jamais la lecture  et pleine d’humour. On peut se faire une idée du ton de l’auteur dans sa biographie dont on peut supposer qu’elle est née de sa plume: « Erwan Ji est né en 1986 à Quimper. Il aime les feux de cheminée qui crépitent, l’odeur du blé noir, quand la tête d’un bébé kangourou sort de la poche de sa maman, et les descriptions de pique-nique dans Le Club des cinq. Il n’aime pas quand la mousse du bain s’est envolée, les gens qui chantent faux mais qui chantent quand même, ceux qui demandent « Ça va ? » sans écouter la réponse, et abandonner devant une pistache trop fermée. Lorsqu’il avait sept ans, il a mangé du sable en pensant pouvoir obtenir les pouvoirs de son idole, Superman. »

 

Mes chaussures couleur caca

Mes chaussures couleur caca
Réchana Oum
Oskar, 2012

Avoir la haine

 Par Christine Moulin

Mes_chaussures_couleur_cacaCe mince ouvrage est un hurlement de haine. A l’égard d’un père tyran, odieux, brutal, un monstre froid, sans doute peu épargné par la vie, mais qui ne mérite pour autant aucune indulgence. Et un cri d’amour envers une mère soumise mais aimante. La haine et l’amour d’une collégienne de treize ans, qui, bien qu’elle soit « un de ces personnages  qui ne portent qu’un prénom », est désignée par le seul pronom lancinant de Elle, sans cesse mis en valeur par l’italique. Tout en relatant une crise, le moment précis où elle a l’occasion de se libérer, ce roman évoque de façon obsessionnelle la pesanteur, le joug terrible qui pèse sur elle, à travers des variations de narration, un retour en arrière, qui n’allègent pas l’impression d’étouffement: l’auteur répète, redit la même chose, cette exécration qui l’étouffe, en une litanie effrayante de phrases courtes et serrées. On ressort un peu sonné de cette lecture. Secoué, mais avec le sentiment d’avoir lu un livre qui n’aurait pas pu ne pas être écrit.

Akéron, le royaume des sept cercles

Akéron, le royaume des sept cercles
Gilles Tourman

Seuil (Karactère(s)),  2009

Jeux dangereux

par Anne-Marie Mercier

akeron.jpg   Ce premier roman de Gilles Tourman a eu peu d’écho à sa sortie et c’est dommage. Non seulement il a tous les éléments qui peuvent accrocher un lecteur ou une lectrice adolescents, mais aussi il aborde des thèmes intéressants et actuels : le danger des blogs et de l’addiction aux jeux vidéos, les stratégies des entreprises commerciales qui les développent. On a donc ici un mélange fort et original : un roman qui se passe au cœur d’un jeu vidéo sans être pour autant un récit fantastique.

Le héros sur lequel l’histoire est le plus souvent focalisée est un adolescent « normal », c’est à dire plus passionné par ses jeux que par ses études. Par ailleurs, il essaie de savoir comment sa mère est morte, persuadé qu’il y a quelque chose de louche dans l’accident dont elle a été la victime. C’est donc une intrigue policière qui conduit le récit, et le héros est aidé par une commandante de Police très informée sur le commerce des jeux et les inquiétudes qu’ils suscitent tant au niveau national qu’international : elle semble être un « avatar » de l’auteur, qui fait le même métier dans le même grade (d’après la fiche de presse). Un autre personnage intéressant est celui de la jeune fille qui donne des cours particuliers de français au héros et est en train d’écrire un mémoire de master en socio-anthropologie sur les accros au jeu.

Le récit est plein de rebondissements et de suspens, les relations entre  le héros, Greg, et son  frère aîné sont intéressantes, avec une rivalité qui se redouble dans l’espace du jeu. Les étapes du jeu dans lequel le héros progresse jusqu’à trouver une réponse à toutes ses questions sont autant de paliers et d’épisodes fort bien décrits. Le personnage qui tire les ficelles de tout cela (et tue à l’occasion) depuis son bureau de Corée est un « nolife » (personne qui ne vit que pour son travail ou sa passion) certes un peu caricatural (encore que…) mais son ambition et son désir de pouvoir et de vengeance en font un personnage plus complexe et plus inquiétant encore, une vraie figure de « méchant » moderne.

Les parents qui se demandent pourquoi les ados sont accros feraient bien de lire ce livre, il leur apprendra beaucoup. A tous il apportera un moment de lecture tout à fait passionnant.

NB : L’école des loisirs a publié un livre sur les créateurs des premiers jeux vidéos, fondateurs de quelques uns de ces empires techniques et financiers (prochaine chronique).