les derniers des branleurs, Vincent Mondiot

 Les derniers des branleurs
Vincent Mondiot,
Actes-Sud Junior, 2020

On se souvient tous des derniers mois du lycée

 Maryse Vuillermet 

Minh Tuan, Chloé et Gaspard trainent leur spleen au lycée, ils sèchent les cours, fument des joints, avalent toutes sortes de substances planantes, et aiment se faire détester par tous, élèves, profs et parents. Ils sont amis inséparables et d’accord pour penser qu’ils n’ont pas d’avenir, donc qu’il est inutile de travailler et de faire des efforts.
Mais dans leur classe, il y a Tina, une jeune Congolaise migrante, qui, elle, est sérieuse et douée, elle est seule comme eux, et cette solitude et leur différence vont les rapprocher. Avec elle, ils s’ouvrent à d’autres réalités que leur petit monde confortable.
Le titre n’est pas engageant mais on est vite happé par ce roman. On ne peut que s’identifier à ces adolescents loosers, bavards, capables de palabrer à l’infini sur rien, (tellement qu’ils rappellent à Mina les palabres africaines), et en révolte continue mais aussi en recherche, d’absolu, de sens à la vie et tellement tristes de quitter leur adolescence pour entrer dans un monde adulte qui les dégoute et leur fait peur.
Et puis c’est très, très drôle, les notes en marge, très nombreuses expliquent de façon docte, leur monde, leur culture, leurs manies, comme si c’était une peuplade étrange à faire découvrir au lecteur. Eux-mêmes manient un humour féroce dans un langage « djeun », dialogues sans fin ponctués de « genre, » « grave », « connard » et autres insultes, le tout à prendre au second degré bien souvent. Cette rudesse de langage, cette paresse incommensurable cachent une sensibilité à fleur de peau et un désespoir sincère, on le sait bien, quand on a été adolescent.
Un beau personnage de professeur, une amie plus âgée de Mina rachètent un peu le monde adulte.

J’ai beaucoup aimé l’atmosphère, la peinture sociale et générationnelle, un peu moins l’intrigue autour du bac, qui a du mal à trouver sa fin, mais ce roman reste une belle découverte pour moi qui ne connaissais pas cet auteur.

Ce roman a obtenu le prix Vendredi, et c’est bien mérité !

 

 

Le Projet Starpoint, vol. 1 : La fille aux cheveux rouges

Le Projet Starpoint, vol. 1 : La fille aux cheveux rouges
Marie-Lorna Vaconsin
La Belle colère, 2017

Des extraterrestres au lycée ?

Le héros de ce roman foisonnant s’appelle Pythagore (Pyth pour les intimes). On devine que ses parents sont des scientifiques. Son père est dans le coma depuis quelques temps, à la suite d’une agression un peu étrange. On apprendra au fil du roman que les autres personnes qui travaillaient sur le même projet de recherche en physique quantique, le projet Starpoint, ont également eu des accidents et en sont mortes.
Mais l’action tourne dans ce premier volet autour de Pythagore et de sa vie dans son lycée breton, plus précisément du pays de Retz, lieu où sévit autrefois Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc devenu criminel au point de servir (dit-on) de modèle à Barbe-Bleue. Fête de rentrée, retrouvailles entre copains, cours plus ou moins passionnants, agacement devant le côté fuyant de sa meilleure amie qui l’ignore, sous l’emprise d’une jeune fille rousse nouvellement arrivée au lycée. La vie des adolescents d’aujourd’hui est bien retracée, notamment dans la description de la fête où Pyth fait le DJ… boit plus qu’il ne devrait, embrasse qui il ne faut pas, etc.
Sur ce fond réaliste, les mystères s’accumulent. On n’en fera pas la liste tant ils sont nombreux. Les jeunes gens basculent dans un univers parallèle menaçant, relèvent de nombreux défis, se surpassent par amour ou par amitié. C’est trépidant, complexe, parfois cruel et sanglant… et l’on voit un début d’explication au mythe de la Barbe Bleue.

L’énergie adolescente des personnage et le rythme trépidant des événements vont bien avec la ligne affichée par La Belle colère : c’est un « label » qui, créé par deux éditeurs, « Dominique Bordes et Stephen Carriere, patrons respectifs des éditions Monsieur Toussaint Louverture et Anne Carriere, a pour particularité de proposer des romans dont les héros sont des adolescents – sans que le « jeune public » soit spécifiquement visé ». Ils proposent des inédits, des traductions et des rééditions (comme Un été 42) voir en fin de page l’entretien publié par Le Monde en 2014.

 

J’ai avalé un arc-en-ciel

J’ai avalé un arc-en-ciel
Erwan Ji
Nathan, 2017

Ne pas se fier aux apparences!

Par Christine Moulin

Que voilà un roman surprenant ! A priori, on croirait qu’il a été écrit par une jeune fille américaine: en effet, il se présente comme la transcription d’un blog d’une certaine Puce, qui, en fait, s’appelle Capucine. Bien sûr, on ne fera pas l’erreur de confondre auteur, narrateur et personnage. Mais quand même… On se demande comment un homme, d’une trentaine d’années, breton, sait tant de choses sur les mœurs très particulières d’un lycée américain huppé (un établissement du Delaware, réservé à ceux qui ont les moyens de se le payer: si Capucine peut y être inscrite, c’est que sa mère y est enseignante de français). Il semble ne rien ignorer de l’enseignement qui y est délivré, des méthodes pédagogiques, du quotidien  des élèves, de leurs rites, de leurs fêtes, de leurs lois, implicites ou non, des codes qui régissent leurs relations. Il est vrai qu’un auteur peut se documenter… Il est vrai aussi qu’il faudrait vérifier la véracité de sa description…

Mais ce qui est plus intrigant,  c’est la façon dont il sait décrire, avec une finesse qui laisserait croire qu’il se sert de souvenirs personnels, les émois, les pensées, les angoisses, les sentiments, les joies d’une ado mi-française mi-américaine. La surprise est d’autant plus grande que, quand on aborde les premières pages, on se dit qu’on a encore affaire à un de ces ouvrages trouvés par l’éditeur sur Internet, écrits par des jeunes filles bavardes, qui, avec un style de rédaction de 3ème, accumulent les clichés et les situations convenues: « Si vous lisez ces lignes, vous êtes tombé sur mon blog ». Mais très vite, certaines dissonances indiquent qu’on fait peut-être fausse route: « On ne peut pas se plaindre de vivre dans le Delaware quand il y a des endroits qui s’appellent Gaza, Soudan ou Corée du Nord. » ou « Je ne sais pas pour vous, mais quand mon réveil sonne, si le diable arrivait et m’offrait dix minutes de sommeil en plus contre la vie de mon père ou de ma mère, je pense que ça me ferait réfléchir. Je ne dis pas que je dirais oui, mais je ne dirais pas non avant d’avoir pesé le pour et le contre. » Autrement dit, on a l’impression d’entendre une voix, drôle, ironique, généreuse, vivante.

Si bien qu’on continue et qu’on ne lâche pas ce livre qui, pourtant, ne raconte pas vraiment d’histoire: il ne se passe pas grand-chose mais l’ensemble s’apparente à une chronique (on suit Puce sur une année scolaire) attachante, changeante, nuancée, qui mène tout doucement l’héroïne au bord d’une autre vie, celle où l’on doit quitter ses parents, son cocon, pour aller vers l’âge adulte. On ne s’ennuie jamais avec elle et on prend beaucoup de plaisir à suivre sa douce évolution, son éducation sentimentale, sa maturation, d’autant plus que l’écriture de ce premier roman est tonique, originale, grâce à un mélange d’anglais et de français, qui ne freine jamais la lecture  et pleine d’humour. On peut se faire une idée du ton de l’auteur dans sa biographie dont on peut supposer qu’elle est née de sa plume: « Erwan Ji est né en 1986 à Quimper. Il aime les feux de cheminée qui crépitent, l’odeur du blé noir, quand la tête d’un bébé kangourou sort de la poche de sa maman, et les descriptions de pique-nique dans Le Club des cinq. Il n’aime pas quand la mousse du bain s’est envolée, les gens qui chantent faux mais qui chantent quand même, ceux qui demandent « Ça va ? » sans écouter la réponse, et abandonner devant une pistache trop fermée. Lorsqu’il avait sept ans, il a mangé du sable en pensant pouvoir obtenir les pouvoirs de son idole, Superman. »

 

Dysfonctionnelle

Dysfonctionnelle
Axl Cendres
Sarbacane (Exprim’), 2015

« Même avec une chose qu’on croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux »

Par Caroline Scandale

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Le secteur littéraire pour grands adolescents explose actuellement. Ces œuvres ont un goût de liberté en adéquation avec l’esprit de la jeunesse, insaisissable et peu fidèle. Dysfonctionnelle et la collection Exprim’ incarnent la quintessence de ce secteur aux frontières incertaines.

Ce roman raconte l’histoire de Fidèle, alias Fifi, alias Bouboule, qui grandit dans une famille dysfonctionnelle… Foutraque quoi! Bancale, atypique, défaillante, non conventionnelle… Une jolie smala infiniment aimable. Dans cette famille, Fidèle dénote avec son QI hors norme et sa mémoire photographique exceptionnelle. Cela la propulse d’ailleurs dans un lycée parisien prestigieux où elle rencontre l’amour en la personne de Sarah.

Premier dysfonctionnement, son père enchaîne les allers-retours en prison. Deuxième dysfonctionnement, sa mère alterne les séjours en H. P. et ceux à la maison.

Fidèle grandit auprès de sa grand-mère kabyle, l’adorable Zaza, ses sœurs Dalida, Maryline et Alyson ainsi que ses frères, JR, Grégo et Jésus. Cette fratrie est constituée d’êtres tous plus différents les uns que les autres. Ils vivent à Belleville, au dessus du bar Le bout du monde, tenu par leur père et son frère. Sa vie est calée sur celle du bar et les soirées-match, en compagnie des habitués.

La mère de Fifi, qui a survécu à l’enfer des camps de concentration, vit dans sa chambre, protégée du monde. Elle se cultive avec sa fille brillante, qui lui fait découvrir l’Art grâce à des reproductions de tableaux en cartes postales. Plus tard, elle lui fait même découvrir Nietzsche…

L’histoire n’est pas écrite de façon chronologique. La narration est celle d’une adulte de trente ans qui se souvient mais la chronologie de ses souvenirs est déstructurée jusqu’à ce qu’elle aborde ses années-lycée.

Le contraste entre l’histoire loufoque, les sujets graves et le traitement optimiste est plaisant. Les personnages sont très attachants.

Un basculement dans le récit nous fait passer du rire aux larmes (de crocodile!) dans les cinquante dernières pages… Soudain plusieurs évènements nous rappellent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. La trentaine apporte à Fifi, son lot de peines, de questionnements, de pertes, de doutes. Il est temps de faire le choix le plus important d’une vie. L’amour est un bon guide.

A la dernière page, on retrouve une Fifi apaisée qui déguste, comme dans son enfance, du pain perdu. Elle songe que « même avec une chose qu’on croit perdue, on peut faire quelque chose de merveilleux« . Cette phrase, qui est la devise positive de l’héroïne, clôt joliment le récit. Elle confirme, au lecteur ému, l’évidente beauté de ce roman.

Lune Mauve. Tome 2 : L’héritière

Lune Mauve. Tome 2 : L’héritière
Marilou Aznar
Casterman, 2013

La lune mauve luit dans les bois…

Par Matthieu Freyheit

lunemauvevol2Hors de question de prendre du repos après le premier tome : le second est déjà dans vos librairies. Et pour Séléné, c’est back to black. C’est-à-dire : retour à Darcourt. Oui, ce lycée où elle n’a (presque) pas d’amis, où ses profs ne l’aiment guère, où elle redouble parce que l’an passé, sa scolarité a été interrompue par la mort de sa mère et… son passage vers Viridan, l’actuelle cité de nos anciens mésopotamiens. Marilou Aznar passe avec justesse sur l’épisode mésopotamien, échappant ainsi aux lourdeurs classiques (et souvent niaiseuses) de la découverte de ce nouveau monde. Ce qui ne veut pas dire que nous n’en apprendrons pas plus sur ce qui s’est passé : petit à petit, Séléné et d’autres nous livrent les informations nécessaires à la reconstitution du puzzle. Ainsi la trame mésopotamienne, tout juste esquissée dans le premier volet, se précise ici sans que l’auteure ne tombe dans le piège du ridicule (nous ne sommes PAS sur Pandora).

On reprocherait au roman d’être moins drôle que le précédent, avant de se raviser : l’intelligente Marilou Aznar n’lunemauve2a nullement cherché à créer une réplique du premier succès, mais s’est efforcée de lui prêter une coloration propre. Un décalage parfois difficile à gérer : riche de son expérience récente (et plutôt traumatisante), Séléné a perdu de son mordant. Moins légère, elle a accepté son destin : sauver Viridan et les T’sent d’un virus sobrement appelé le Fléau. Il faut dire que la bonne humeur n’est pas le fort de ses compagnons T’sent pour qui la civilisation terrestre n’est rien que futilité, et donc médiocrité (Gilles Lipovetsky, étais-tu mésopotamien ?). Si Séléné a changé, il n’en va pas de même du panorama Darcourt. Alexia, sa perfide cousine, reste sa perfide cousine. Thomas, chanteur ténébreux et romantique, est toujours aussi chanteur, ténébreux et romantique (on se demande parfois s’il s’agit d’un véritable personnage…). L’arrivée d’un nouvel élève, ‘Rimbaud’, n’anime pas vraiment le tableau : plutôt factice, ce personnage secondaire n’est pas la plus grande réussite de l’auteur.

Il n’empêche : Lune Mauve continue d’intriguer et se lit agréablement. L’auteure mêle fort bien les récits sans perdre son lecteur, ravi de retrouver tantôt les couloirs de Darcourt, tantôt le trio Alexia-Thomas-Séléné, tantôt la trame principale visant à échapper au terrible Fléau. Et comme dans le premier volume, la crainte de basculer vers le mauvais goût est écartée par le talent d’une auteure qui sait raconter, doser et, surtout, aller de l’avant.

 

Lune Mauve. Tome 1 : la disparue

Lune Mauve. Tome 1 : la disparue
Marilou Aznar

Casterman, 2013

La lune, comme un point sur un i

Par Matthieu Freyheit

lunemauve Avis aux éditeurs : c’est vrai. C’est vrai que l’auteure, Marilou Aznar, cède à certains tics d’écriture. Que les regards sont trop souvent « insondables », que le froid est « mordant » et les silences « religieux ». C’est vrai aussi que Séléné (quoi ? vous avez trouvé un lien avec le titre ?), héroïne du roman, est une adolescente « élue » de plus, sur laquelle un destin plus grand qu’elle s’abat. Et que tout cela n’a rien, A PRIORI, de très original. Pour autant, fallait-il affubler ce premier roman de l’auteure d’une couverture à faire fuir tout lecteur sain d’esprit ?

Lectrices, lecteurs, jouez-la Cercle des poètes disparus et n’hésitez pas à arracher cette couverture qui ne fait honneur ni au bon goût ni au talent de l’auteure. Une couverture qui semble aussi faire la démonstration que l’histoire d’une jeune fille ne pourrait intéresser que…des jeunes filles, de violet vêtues comme il se doit. Cela fait, plongez-vous dans ce roman non seulement efficace mais plutôt intelligent, sensible et bien écrit (la plupart du temps). Un roman qui échappe avec finesse à certains stéréotypes et qui à ce titre ne mérite pas d’y être ramené.

Séléné quitte la Bretagne pour entrer en seconde au prestigieux lycée parisien Darcourt. L’intégration n’est pas facile pour cette adolescente  plutôt introvertie qui sera peu à peu mise sur les traces de sa mère disparue. Histoires de cœur, civilisations perdues, conflits adolescents, peines et trahisons, tout y est, mais sans fausse note. Marilou Aznar a le talent de la subtilité, du bon dosage. On est ému parce qu’elle n’en fait pas trop. On y croit parce qu’elle ne pousse pas le vice. On rit parce qu’elle entretient un recul intelligent avec sa propre écriture et avec le genre qu’elle choisit d’explorer. Et si l’on forçait un peu le trait, il semblerait que son héroïne a un petit quelque chose de l’Elizabeth de Pride and Prejudice : une main de, une main de sarcasme, un souffle de, un souffle d’ironie, et un soupçon de second degré (oui, j’assume la référence ciné-musico-gastronomique). De quoi distinguer déjà cette série d’autres succès moins mérités du moment. Ajoutez que Marilou Aznar propose une vision « normale » du milieu scolaire : pas (ou peu) de clichés, rien d’insupportablement bien pensant, aucune idée reçue – ou seulement pour en découvrir la vacuité. Et, enfin, last but not least, un personnage de père professeur d’université complètement réussi, parfois exagéré pour mieux émouvoir, cocasse et très attachant. Bref, exit les vampires insipides, les loups-garous qui ne connaissent pas le t-shirt et toutes les créatures qui peuplent nos librairies de la jeunesse : les Sumériens ont davantage à nous/leur apprendre. Il reste à espérer que le tome 2 ne démente pas l’intelligence et le talent d’une auteure forte avant tout d’un sens aigu de l’équilibre, et de la justesse.

Le Dernier Jour de ma vie

Le Dernier Jour de ma vie
Lauren Oliver
Traduit (anglais, USA) par Alice Delarbre
Hachette (Black moon), 2011

Antidote à l’idiotie, ou : la chick-lit comme outil philosophique

Par Anne-Marie Mercier

Conseil à ceux qui ont à la maison (ou pas loin) une adolescente insupportable, narcissique et grégaire : vite, offrez lui ce livre. D’abord, elle l’aimera, puis il la fera (horreur !) réfléchir.

Dans un premier temps, avouons-le, ce livre tombe des mains tant il donne l’impression d’être complice de la lectrice visée. On a l’impression de lire un volume de la série des L. B. D. (« Les Bambinas Dangereuses » de Grace Dent, gros succès commercial – voir ma non-chronique du t. 2 ), centré sur les choses capitales comme : sortir avec le garçon le plus canon du lycée, décider avec ses copines de ce qu’on va porter pour la fête, être celle qui aura le plus de roses le jour de la saint Valentin, voir la tête de celle(s) qui n’aura pas de rose ce jour là, faire une mauvaise blague à celle(s) qu’on n’aime pas (en général, des moins riches, moins belles, etc. que soi)… la liste serait longue. L’héroïne fait partie d’un groupe de copines « populaires », de celles qui font la pluie et le beau temps dans le lycée Jefferson, célèbre pour son taux de suicide et de consommation d’alcool (des points qui seront confirmés par cette histoire).

On s’accroche, parce qu’on sait que ce roman au titre anglais polysémique et évocateur (Before I fall) a eu un succès mondial (nominé par RT Book Reviews en 2010 dans la catégorie « Best Young Adult Paranormal/Fantasy Novel » et que Lauren Oliver est l’auteur de Delirium que Sophie Genin a beaucoup aimé, écrivant que « Ce roman devrait être mis entre toutes les mains adolescentes ».

Mais, après ce premier chapitre consternant (et d’une écriture aussi pauvre que les pensées de la niaise héroïne), les choses s’arrangent. D’abord, elle meurt, ouf ! Mais pas pour renaître en ange (pitié, non !). Les chapitres suivants commencent tous au même matin du 14 février avec une héroïne qui est la seule à se souvenir des expériences et découvertes du jour « précédent » (on pense au beau film « Un jour sans fin »). Six chapitres se succèdent sur le même modèle, six étapes dans la découverte de la vacuité de sa vie et de sa responsabilité dans les drames de cette journée. L’incrédulité et la panique font place progressivement à l’analyse et à l’éclosion d’un sens moral – jusqu’ici enfoui sous des comportements grégaires et des postures.

Ce sont aussi six tentatives pour infléchir  le cours de cette journée et se racheter.  Que l’entreprise soit difficile et presque désespérée est une des belles idées de ce roman philosophique : le hasard et la fatalité, la vie et la mort, mais aussi l’amitié et l’amour, la famille et le groupe (l’ « embrigadement » évoqué dans Delirium est ici vu à l’échelle d’une génération), sont évoqués à travers une intrigue et des interrogations intéressantes ; il est cependant un peu dommage que tout ramène à la nostalgie de l’enfance perdue (forcément pure) et au retour aux valeurs familiales (seules bases solides).

Sur cette écriture en contraste :

J’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de romans pour adolescent(e)s composés de la même façon : un premier chapitre accrocheur, niais et mal écrit, puis progressivement une amélioration (voir Promise de Allie Condie ). Serait-ce un procédé conscient de captation du lectorat? ou bien une imitation du roman de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, dans lequel le niveau d’écriture et de réflexion varie avec celui du narrateur ?

Seuls dans la ville

Seuls dans la ville
Yves Grevet

Syros, 20011

L’atelier d’écriture enquête

Par Anne-Marie Mercier

Seuls dans la ville.gif   La qualité du roman précédent de Yves Grevet, Méto, trilogie de science fiction, créait une attente et c’est sans doute l’une des raisons d’un léger sentiment de déception à la lecture de ce nouveau texte. Il y a une certaine originalité, ce n’est pas mal écrit, mais l’ensemble est moins inventif, moins orienté vers la réflexion critique, et, bizarrement, moins crédible… En effet, Yves Grevet quitte ici le genre de la SF pour le policier, un genre qui demande davantage d’ancrage dans le probable.

L’idée de départ est séduisante : une enseignante de français propose à ses élèves de se répartir dans différents lieux de la ville pendant une heure et de décrire ce qu’ils voient, en choisissant leur manière de raconter. Le résultat est assez cocasse et pourra inspirer certains enseignants à la recherche de sujets d’ateliers d’écriture. Certains élèves choisissent le descriptif, d’autres le narratif, le biographique, le poétique, le politique, etc.

Tous donnent des indices qui vont permettre aux deux héros de résoudre le crime qui a été commis juste à ce moment là. L’intrigue est ralentie de façon excessive par les temps de collecte et de lecture des textes des autres élèves et le récit policier est entrecoupé de scènes familiales convenues et d’épisodes scolaires et sentimentaux que les adolescents d’aujourd’hui trouveront sans doute un peu tièdes (contrairement à ce que laisse penser la couverture).