Le Fantôme de mon grand-père

Le Fantôme de mon grand-père
Yann Coridian – illustrations d’Anjuna Boutan
Neuf de l’Ecole des loisirs 2021

Conversations avec un disparu

Par Michel Driol

Le grand-père paternel de Jeanne, la narratrice, est mort avant sa naissance. Se rendant au cimetière avec son père, elle voit un curieux chat près de la tombe. Et le soir, au milieu de la nuit, le grand père vient rendre visite à la petite fille. Tous deux, durant deux nuits, vont faire connaissance.

Habituellement, en littérature de jeunesse, c’est la mort des grands-parents qui est traitée, de façon à aborder la phase du deuil. Le parti pris de ce court roman est différent : il s’agit de nouer un lien qui n’a jamais existé, de rencontrer un disparu. Jeanne, qui a huit ans, est fille unique, dans une famille qu’on pourrait qualifier d’aisée, voire de bobo. Elle raconte sa vie à hauteur d’enfant, n’en percevant pas forcément tous les aspects (comme le fait que le père, quelque peu déprimé, est en recherche d’emploi). Mais le roman vaut peut-être autant par ses ellipses, ses silences, que ce que dit sa narratrice. Que faisait le grand-père à Clermont-Ferrand où il est mort ? Pourquoi le père ne veut-il pas trop aller au cimetière ? Quel est le sens des mots posthumes que, par l’intermédiaire de Jeanne, le grand-père adresse à son fils ? Le romancier a recours à un fantastique qui ne vise pas l’épouvante. Rien d’obscur, ou d’inquiétant dans ces visites, familières, familiales, où le mort mange avec la petite fille. Et on est bien dans le fantastique, puisque le grand-père laisse son chapeau… qui s’envolera une nuit de grand vent. Les illustrations renforcent ce côté rassurant par leurs cadrages, leurs couleurs, et la façon de représenter un fantôme qui n’a rien de l’imagerie qui y est habituellement associée.

Un roman qui a recours au surnaturel pour dire l’importance du lien intergénérationnel dans  la construction de soi.

Le Magasin de souvenirs

Le Magasin de souvenirs
Jeanne Taboni Miserazzi, Didier Jean & Zad
Illustrations ISALY
2 Vives Voix

Un dérouleur de souvenirs…

Par Chantal Magne-Ville

La plongée dans les souvenirs d’enfance est au cœur de ce tendre album, avec l’histoire attachante de Célia et de son arrière grand-mère, Mamine. Lors d’une incursion au grenier, la petite fille a découvert un coffre à jouets et désormais, à chaque visite, un objet fait resurgir anecdotes et souvenirs d’enfance de l’arrière grand-mère. La connivence entre les deux est perceptible. Hélas, sa mère lui apprend un jour que cette dernière perd parfois la mémoire.

Le magasin des souvenirs qui appartient à la collection bien nommée Bisous de famille, a un format élégamment étiré sur la verticale qui attire immédiatement le regard par une palette originale où se détachent des visages empreints de douceur. Mais c’est d’abord le choix du  thème, encore assez  rarement abordé avec les très jeunes enfants, que l’on retient : celui du lien intergénérationnel, non pas avec les grands-parents mais avec les arrière-grands-parents. De même que dans le petit roman Mon cœur n’oublie jamais d’Agnès De Lestrade, destiné à des plus grands, l’histoire séduit et évite avec bonheur l’écueil du didactisme que le petit encart final sur la maladie d’Alzheimer aurait pu laisser craindre.

Le texte aborde très simplement et directement la question de la perte de mémoire et de la dépendance, à travers le point de vue de la fillette, tout en offrant une réparation symbolique  étonnante, avec la trouvaille heureuse de Madame Sognia, sorte de fée contemporaine, capable de conserver la trace des souvenirs de chacun dans ses parchemins, ce qui permet un renversement des rôles. Désormais ce sera la fillette qui aidera son arrière-grand-mère à retrouver ses souvenirs. Quant au motif du grenier, où chaque jouet retrouvé ranime le passé et ses jeux, il est plus convenu mais demeure efficace. Il faut dire que le texte est remarquablement servi par une illustration toute en nuances sur un papier épais qui magnifie les couleurs. Le trait s’étire dans une esthétique un peu japonisante, avec des visages blanchis et agrandis, légèrement étirés, où la moindre mimique donne à voir la sensibilité du personnage, et met en évidence les regards. La construction des images est particulièrement efficace avec notamment des contre plongées étonnantes pour illustrer les méandres de la mémoire. Sur un fond d’aquarelle, les rehauts de couleur sont du plus bel effet. Un album au message profond, qui pacifie autant les petits que les grands, sans doute accessible dès 5 ou 6 ans, mais que l’on comprendra mieux en prenant de l’âge.