L’Arrêt du cœur. Ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine

L’Arrêt du cœur. Ou comment Simon découvrit l’amour dans une cuisine
Agnès Debacker, illustrations d’Anaïs Brunet
MeMo (Polynie), 2018

Cœurs brisés dans une théière

Par Anne-Marie Mercier

Simone, la voisine âgée de Simon, son amie et autrefois sa nounou, est morte d’un arrêt du cœur. C’est Françoise, la concierge, qui l’a trouvée et a appelé les pompiers. Depuis Simon ne cesse de demander à Françoise de lui raconter encore et encore l’événement tel qu’elle l’a vécu. Sa présence/ absence le hante, jusqu’au moment où il. Se souvient d’un papier compromettant qu’il avait mis dans ce que Simone appelait sa « théière à vœux » : une vieille théière qui ne servait plus dans laquelle elle et ses visiteurs notaient sur des petits buts de papier ce qu’ils souhaitaient le plus au monde.
Aller dans l’appartement vide, subtiliser la théière, lire les petits papiers de tous, découvrir le secret de Simone, un secret nommé Farid, tout cela conduit Simon à une enquête sur la jeunesse de son amie : interrogatoires, recherche de témoins, plongée dans l’histoire… Et c’est une belle histoire qui s’y raconte, avec un superbe portrait de femme comme il y en a trop rarement en littérature pour la jeunesse : célibataire, ni mère ni grand-mère, amoureuse. La mort ici est un « arrêt du cœur » : la vie cesse quand cesse le lien avec l’être aimé. Émotion humour, tendresse, toutes les émotions se réunissent chez Simon et sa co-enquêtrice, la nièce de Simone.
Les belles illustrations d’Anaïs Brunet ajoutent au charme de l’histoire, avec ce qu’il faut de respiration, de distance, de stylisation, de réinterprétation et de couleur. Cet ouvrage a obtenu le prix Sorcières 2020.

 

Sucrer les fraises

Sucrer les fraises
Odile Hennebert
CotCotCot éditions 2023

Bribes de vie…

Par Michel Driol

Sur chaque double page, une illustration, avec, à chaque fois, une touche de rouge. Rouge de la vieille dame de la couverture, assise sur un banc,  qui regarde en arrière. Puis c’est un pied de fraisiers que l’on repique, et une fillette qui cueille et mange une fraise. D’autres images encore évoquent la confection des confitures ou des gâteaux, les tartines, les tables des anniversaires, sans personne autour. Les images de l’enfance sont omniprésentes, de la cueillette au jardin au biberon, des bodies qui sèchent à la main adulte qui tend les fraises à une main enfantine…  Des images qui, à l’exception de trois ou quatre d’entre elles, sont des « natures mortes », des représentations de fruits, d’objets, des images dont l’humain est étrangement absent. Ces images sont en total contraste avec les textes, courts, qui les accompagnent. Evocation des faits et gestes des résidents d’une maison de retraite, un EHPAD, sans que l’on sache s’il s’agit de la même personne, une grand-mère, ou plusieurs. Mais est-ce si important ?

Sucrer les fraises… C’est bien sûr à la fois les saupoudrer de sucre, mais c’est aussi avoir les mains qui tremblent à cause de la vieillesse. Les illustrations et le texte engagent un étrange dialogue entre ces deux sens de l’expression-titre, entre le bonheur du printemps de l’enfance où l’on cueille les fraises et la détresse de la fin de vie. Ici on peut se raconter une vie. Ainsi commence ce beau recueil qui évoque le temps, le temps qui a passé, le temps des souvenirs, le temps que l’on n’a pas à accorder aux pensionnaires, le temps trop long à passer. A travers une série de notations, écrites dans une langue très épurée, c’est quelque chose de poignant et de bouleversant qui se dit de la fin de vie et des pertes qui l’accompagnent. Perte des repères temporels, mais aussi spatiaux, perte du sens de la conversation, devenue décousue, perte du contact avec les autres, perte de la communication aussi entre les jeunes infirmières et les vieilles résidentes qui n’ont plus de cultures et de références communes.  Que reste-t-il quand les mots ne sont plus là, quand A force de se souvenir des souvenirs, on les use ? Le silence et la solitude, des petits riens qui forment peut-être un grand tout, celui d’une existence anonyme, individuelle ou collective. Cette fragilité des êtres qui vont partir, dont le langage, la mémoire, les souvenirs sont déjà partis, est évoquée au travers de courtes notations,  comme saisies au vol : paroles, réflexions, discussions, gestes constituent une poésie du quotidien, proche finalement des poèmes-conversation d’Apollinaire. Une poésie qui suggère, qui laisse le lecteur remplir les blancs du texte, les laisser résonner sur la page au milieu des blancs de l’illustration, avec beaucoup de tendresse et d’empathie.

Impossible de lire ce recueil sans se souvenir d’une grand-mère, mais aussi sans penser qu’il évoque, comme en filigrane, la condition des femmes, à travers ce « elle » omniprésent. Femmes qui vivent plus longtemps que les hommes, femmes qui ont travaillé peut-être comme télégraphistes, femmes qui ont fait les confitures, lavé le linge et dont la vie s’achève ici dans la solitude, l’oubli, l’incompréhension. Femmes que l’autrice a rencontrées lorsqu’elle travaillait comme psychologue dans une maison de retraite.

Un premier album émouvant, plein de finesse, qui relie l’enfance et le grand âge, qui laisse entrevoir avec pudeur et respect les pensées, émotions, attentes et désespoirs des pensionnaires d’un EHPAD, un album qui parvient à éviter de parler de la mort pour dire, avec beaucoup de poésie, la fragilité de nos vies.

Jamais, jamais

Jamais, jamais
Marc Solal, Pierre Pratt
Møtus, 2022

Le garçon qui ne voulait pas grandir

Par Anne-Marie Mercier

Un enfant s’ennuie et pour se distraire fait une liste. Pas celle que lui suggère sa mère, celle des choses qu’il aime, mais celle de ce qu’il ne voudrait pas être quand il sera adulte : porter des lunettes, des fausses dents, une cravate… avoir des poils dans les oreilles, un gros ventre, etc. Mais il y a un happy end : on sonne à la porte, c’est son grand-père adoré, qui a des lunettes, du ventre, des poils, etc. Donc, tout finit bien, cet enfant acceptera de vieillir, mais pas tout de suite.
Cet album a le mérite de montrer le regard effrayé de l’enfance lorsqu’elle comprend qu’un jour elle finira comme les adultes qui l’entourent. Le happy end rassurant est-il suffisant pour gommer cette inquiétude?
Les images qui montrent ce petit garçon se transformant peu à peu sans perdre sa bouille ronde sont cocasses, comme le portrait qu’elles nous donnent de sa famille affairée. L’humour est certainement le ton le plus juste pour aborder cette question angoissante pour les uns cruelle pour les autres.

Ma grand-mère

Ma grand-mère
Maria Elina
Obriart, 2022

Grand-mère, une reine sans mémoire…

Par Michel Driol

 

Léon, le narrateur, va passer l’après-midi chez sa grand-mère. Il est prévenu : elle est devenue « bizarre ». Elle l’appelle Charlie, se promène pieds nus dans la terre, alors qu’elle ne supportait pas la saleté. Elle ramasse des insectes. Elle raconte qu’elle est une reine, qui vit dans un château de 120 chambres, peuplé de 120 chats dont elle a oublié les noms… C’est alors que Charles, le père de Léon, vient le chercher.

Evoqué à hauteur d’enfant, sans pathos, sans misérabilisme, c’est la question de la perte de mémoire et de la confusion mentale qui atteint les personnes âgées qui est exposée ici. Léon accepte tout de sa grand-mère, sans se poser de questions. Elle l’entraine dans un nouvel univers, celui de ses souvenirs transformés, celui de ses nouvelles activités, celui de son discours fantasque. Léon ne perçoit pas cela comme un manque, une perte, mais plutôt l’occasion de trouver une nouvelle grand-mère. Comme elle est retournée en enfance, les deux univers, celui de la grand-mère, celui du petit fils, entrent dans une nouvelle complicité autour d’un rire communicatif. L’album évoque la capacité des enfants à accepter la dégradation de la santé mentale des adultes, à ne pas les voir comme un changement négatif, mais à pouvoir entrer dans un imaginaire plein de fantaisie et de poésie. Sans doute n’y décode-t-il pas tout. Voit-il dans les « assistants » évoqués par la reine, sa grand-mère, les infirmiers et autres aides à domicile dont elle ne peut plus se passer ? Sans doute non, mais qu’importe.  Qu’importe que la « vérité » qu’il prétend révéler sur sa grand-mère soit une fiction… Sa grand-mère le confond avec son père, qu’importe, l’essentiel est dans le temps passé ensemble, dans les activités partagées, dans l’amour familial qui unit. Léon n’a pas peur de sa « nouvelle » grand-mère, il l’accepte d’emblée telle qu’elle est. Les frontières entre le réel et l’imaginaire sont joliment abolies dans l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Rien de triste donc dans cet album, dont les illustrations, aux tons pastels pleins de douceur, montrent deux personnages joviaux et souriants au milieu d’une nature omniprésente : plantes, insectes habitent les pages, comme une façon de dire que la vie est là. La grand-mère est souvent montrée dans des postures enfantines, assise par terre, chevauchant une chaise, coiffée d’un pot de fleurs.

Une histoire qui parle avec tendresse et émotion de la perte de mémoire et des confusions dont sont victimes nombre de personnes âgées et qui met en avant l’inébranlable complicité entre une grand-mère et son petit-fils.

C’est l’histoire…

C’est l’histoire…
Corinne Dreyfuss & Charlotte des Ligneris
Seuil Jeunesse 2021

This is the end, beautiful friend,

Par Michel Driol

Il n’est jamais évident ou simple de parler de la mort aux enfants. Cet album s’y essaie avec un angle et un dispositif originaux. On suit les derniers moments d’une très très vieille dame, qui se déshabille et range soigneusement ses vêtements sur sa chaise.  Puis elle  se couche, et ferme les yeux. Après un tendre sourire, son histoire est finie.

Le texte est à la fois explicite et implicite : il dit la fin d’une histoire, sans prononcer le mot mort. Mais les illustrations, elles, ouvrent presque à un autre univers. Dans un premier temps, un décor urbain, celui d’un immeuble aux nombreux habitants, tous affairés. Derrière un rideau, la vieille dame. Une fois ses rideaux fermés, on voit la vie continuer dans les autres appartements. Mais il faut soulever le rabat des rideaux pour voir la chaise, l’armoire et les vêtements déposés. Cependant, des nuages blancs voilent de plus en plus l’immeuble. Une fois la vieille dame couchée, l’album s’ouvre sur des pages à grands rabats, sur des paysages de nature : deux enfants qui jouent au cerf-volant, une scène de montagne peuplée, puis deux personnes âgées se tenant par la main et regardant le soleil se coucher sur la mer. C’est alors que la vieille dame se confond avec la montagne au bord de la mer, qui lui fait comme un lit. Sur la dernière illustration, la vie continue, sans elle, dans la ville.

Cette fin n’a rien de triste : elle est l’ouverture vers un autre monde, un autre univers, qui est à la fois celui de la nature et peut-être celui des souvenirs. Le texte, au passé composé, évoque les actions simples, d’un corps qui se dénude, puis des gestes de repos avec les mains qui se posent sur le ventre  et les yeux qui se ferment, comme préludes à un endormissement. Le passage qu’est la mort est donc à la fois célébré, avec une dimension métaphysique de lien apaisant avec l’univers entier que la vieille dame rejoint, et, dans le même temps, comme dédramatisé  à travers des gestes qu’on dirait quotidiens, même s’ils sont effectués ici pour la dernière fois. Les illustrations évoquent à la fois ces univers  familiers, pleins de détails et de vie quotidienne, et en même temps, par le jeu des métaphores, cette ultime transformation vers l’inconnu qu’est la mort.

Comprenne donc chacun à sa façon : les uns verront donc dans cet album le récit d’un endormissement, d’autres y liront une approche philosophique de la mort. C’est là la marque des grands albums jeunesse.

Mon papy perce-neige

Mon papy perce-neige
Betina Birkjær & Anne Margrethe Kjærgaard
Didier Jeunesse 2021

Quand les mots s’en vont…

Par Michel Driol

Bout-de-Chou va souvent voir son papy Kay et sa mamie Gerda. Le premier cultive plus d’une centaine de fleurs dans sa véranda, dont il connait les noms latins. La seconde fait des mots croisés. L’un des passe-temps favori, ce sont les puzzles. Mais un jour Kay ne retrouve plus certains mots, que Bout-de-Chou ramasse et enferme précieusement dans une boite. Au fil des saisons, Kay perd de plus en plus de mots, ne sait plus où il est, et quitte la maison  en chaussons  par une nuit d’hiver. Gerda prend alors conscience de ce qui se passe, et Bout-de-Chou a l’idée d’une fête pour Kay.

Le sujet, on le voit, est sérieux, mais il est ici traité avec poésie, à hauteur d’enfant. En effet, c’est la fillette la narratrice, que la dernière phrase, au présent, montre comme en filigrane à l’âge adulte, gardant encore vivace le souvenir de son grand-père amoureux des fleurs et des mots. L’album aborde avec tendresse les relations entre grands-parents et petite fille, au travers des rites d’un cocon familial chaud et plein d’amour, même lorsque la maladie se déclare. Maladie non nommée, bien sûr, mais évoquée à travers ses symptômes : la perte de mémoire, la perte de repères, et la réaction des autres, comme la volonté de ne rien voir de la grand-mère. Les illustrations accompagnent cette dégradation du grand-père, la suggérant au travers des mots écrits sur le sol, puis de couleurs qui se refroidissent avec l’arrivée de l’hiver et la progression de la maladie, mais aussi au travers des fleurs, luxuriantes dans les premières pages, et qui fanent de plus en plus. La fin n’est pas pessimiste : les couleurs reviennent lorsque la grand-mère prend conscience de la situation, et métaphoriquement décide de s’occuper des fleurs, tandis que le grand père retombe en enfance, symbolisée par le lapin de ses souvenirs que Bout-de-Chou lui offre et qu’il caresse. Les illustrations, particulièrement travaillées, offrent à voir et comprendre avec sensibilité ce que le texte évoque.

L’album joue donc sur une émotion retenue, perceptible surtout dans la dernière phrase, pour évoquer le drame que constitue pour l’individu et ses proches la maladie d’Alzheimer – une partie du prix de vente est d’ailleurs renversée à l’Association France Alzheimer. Il ne se veut ni misérabiliste, ni tragique, occulte bien sûr certains aspects, mais choisit de mettre l’accent sur les relations entre les personnages et les réactions pleines d’amour de l’enfant face à ce qui le dépasse et qu’il ne comprend pas.

Deux fleurs en hiver

Deux fleurs en hiver
Delphine Pessin
Romans Didier Jeunesse 2020,

 

 EPHAD, fin ou début.

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Capucine, élève du lycée Mermoz, vient faire son stage dans l’EPHAD du Bel Air. Elle a les cheveux bleus, ou rouges, suivant les jours et suivant la couleur de la perruque qu’elle choisit. Le même jour, y entre madame Florent, institutrice à la retraite,  « pour sa sécurité « .

Capucine a toujours eu la vocation d’aider les personnes âgées, encadrée par une aide-soignante énergique et drôle, elle  se sent  » utile et à sa place. » Mais elle découvre le rythme harassant de son travail et la manque de temps qui rend les rapports avec les pensionnaires inhumains. Madame Florent déprime car elle a dû abandonner son chat qui s’est enfui au moment de son départ. Capucine, avec patience et tact,  arrive à percer sa carapace de tristesse, comprend sa détresse et, parce qu’elle  aussi a un secret, va tout faire pour l’aider.

C’est un roman touchant sur un monde peu décrit dans la littérature jeunesse et pour cause ! le monde des vieux, Capucine trouve que le mot « senior » est ridicule,  « Contrairement aux autres lycéens, je ne redoutais pas de travailler avec les seniors, ça, c’est le terme politiquement correct pour désigner les personnes âgées, je trouve ça crétin, on dit aussi « les pensionnaires », « les anciens » moi, je préfère « les vieux ». Il n’y a rien de dégradant à dire qu’ils sont vieux, c’est un fait, voilà tout. C’est même plutôt beau, quand on y pense, d’avoir déroulé le fil d’une vie et de se tenir au bout ; quand on est vieux, on a vécu, aimé, chialé, on a été courageux lâche, idiot et amoureux. On s’est trompé, on a choisi, qu’est-ce qu’il y a de mal à le dire franchement? »

Rien n‘est édulcoré, les conditions de travail des soignants, leur vocation mise à mal par la réalité, la solitude et l’abandon des personnes âgées et, malgré tout, l’étincelle de l’amitié intergénérationnelle.

La Brodeuse d’histoires

La Brodeuse d’histoires
Martina Aranda
CotCotCot éditions, 2019

Coudre le sens

Par Anne-Marie Mercier

Mila a déménagé. Ses livres sont toujours dans des cartons, elle est un peu désœuvrée tandis que les adultes œuvrent à tout mettre en ordre. Elle fait la connaissance de la voisine du rez-de-chaussée. Elle brode des fleurs à longueur de journée, mais à Mila elle raconte des histoires, en commençant par la vie des artistes du quartier, mais elle refuse de lire de nouvelles histoires, et Mila découvre qu’elle n’a ouvert aucune des lettres qu’elle a reçues depuis la mort de son mari et que sa vie s’est arrêtée.
Le mystère n’est pas éclairci, tout est laissé en suspens, délicatement. L’implicite est également dans les illustrations, délicates, incomplètes, laissant des blancs entre les éléments simples et proposant de rares touches de couleurs comme autant d’indices pour saisir la vie de cette femme.

13 Martin à Noël

13 Martin à Noël
Sophie Marvaud
Poulpe fictions, 2019

Noël au château (vide)

Par Anne-Marie Mercier

Nous découvrons une nouvelle maison d’édition, au slogan attirant : « Poulpe Fictions, le label venu des profondeurs pour chatouiller les lecteurs ! ». Le chatouillis est bien la marque de cette maison rattachée à Edi8 qui privilégie l’humour et propose des œuvres de différents genres (espionnage, fantasy, aventures, roman réaliste…) bousculant les stéréotypes par l’humour et les décalages.
13 Martin à Noël illustre en tout cas cette pente : l’idée de départ est originale et joue sur la banalité du nom de Martin, qui serait, dit-on, le nom de famille le plus porté en France.
Sébastien Martin reçoit une lettre d’une inconnue nommée Marie-Adélaïde de Bellevue qui l’invite à venir dans son château de Bellevue pour Noël, avec sa femme, ses deux enfants (dont la narratrice, Joy) et son père, qu’elle semble connaitre (celui-ci, en voyage au loin, ne peut les renseigner).  Une fois arrivés, ils découvrent qu’ils ne sont pas les seuls invités : il y a treize familles (52 personnes) conviées par la même lettre, treize familles dont le père est nommé Sébastien Martin. Quant à Adélaïde, elle reste introuvable, même si elle leur a laissé des indications, des victuailles et la promesse qu’elle arrivera avant minuit… Les Martin s’organisent et montrent une belle solidarité pour faire malgré tout une fête avec les provisions laissées par la châtelaine, de l’imagination et le talent de chacun.
Les mystères sont dévoilés au fur et à mesure, tandis que d’autres apparaissent. Joy se lance, avec son frère et sa nouvelle amie dans plusieurs aventures nocturnes dans le château qui semble abandonné, mais pas tout à fait (frissons garantis), et dans le grand parc envahi de ronces…

 Le site de Pouple fictions est très bien fait, on y découvre de nouveaux auteurs mais aussi d’autres plus connus (Clémentine Beauvais, Geneviève Brisac, Alice Brière-Haquet, Charlotte Bousquet…). Les enseignants ont leur « coin », avec des présentations d’ouvrages, des vidéos et des fiches – pardon, des « contenus », la distinction est intéressante – pédagogiques (le document que j’ai consulté sur La Revanche des princesses est bien fait, orienté vers l’égalité filles-garçons, comme d’autres titres mettant en scène des filles : Le Poulpe semble s’adresser surtout à des lectrices).

 

La Reine du Niagara

La Reine du Niagara
Chris Van Allsburg
L’école des loisirs, 2013

L’art de la chute

Par Anne-Marie Mercier

lareineduniagaraConnaissez-vous Annie Edson Taylor ? Savez-vous que descendre les chutes du Niagara est un exploit que certains  ont réalisé ? et que la première a été une femme ? qu’elle avait 62 ans, était professeur de maintien (ou de bonnes manières si vous voulez), et a accompli cela dans un tonneau, en 1901 ?

C’est un fait réel étonnant que saisit ici Van Allsburg, moins étonnant que les récits teintés de fantastique qu’il propose habituellement, mais les images sépia qui l’accompagnent mettent en valeur la dignité de la dame, la jeunesse de son regard, l’idée qu’à cœur vaillant rien d’impossible et la personnalité du tonneau (oui, oui)… qui semble parfois être le héros de l’histoire comme l’était ailleurs un balai (on remarque au bord d’une page un piano qui joue presque seul).

Si cet exploit a comme tous les records une allure dérisoire augmentée par l’échec financier qui a suivi, les propos d’Annie à la fin de sa vie sont une belle « chute » : une leçon sur ce qui anime les « conquérants de l’inutile », en rapport avec l’esprit d’enfance, et une question que chacun, jeune ou vieux, peut se poser jusqu’au bout : jusqu’où notre courage sera-t-il capable de nous conduire ?