Myra sait tout

Myra sait tout
Luigi Ballerini
Amaterra 2023

L’I.A. au pouvoir

Par Michel Driol

Dans l’univers décrit, Myra connait tout de chacun, l’aide à s’habiller, à choisir un partenaire, un film à voir, ou indique l’adresse du meilleur glacier. On communique avec elle par un communicateur et une montre hyper connectée, comme tous les appareils domestiques, les voitures… C’est Myra qui a proposé à Alessandro de former un « duo » avec Vera. Mais cette dernière, très critique envers cette société, appartient au Front, un mouvement qui résiste contre cette aliénation, et elle va y faire adhérer Alessandro.

Dystopie ? Oui, sans doute, mais tellement proche de l’univers que les GAFAM nous proposent. Chacun, petit à petit, a accepté de donner plus de poids à Myra, à livrer ses gouts, ses habitudes, et à accepter qu’elle prenne le contrôle sur la vie personnelle, contre des bons de réduction ou des promotions dans les magasins. Le Gouvernement occupe un immeuble de 10 étages, le siège du pouvoir se trouvant en haut. Ses ressources ? La vente des données personnelles aux principales entreprises du pays. Au nom de l’écologie, on a supprimé le papier, les livres, tout est virtuel. Dans cet univers numérique, les livres sont réécrits et les séries télévisées sont conçues pour servir les intérêts du régime. Dans cet univers proche de 1984, la résistance clandestine s’organise, résistance culturelle d’abord, car chaque résistant porte comme surnom le nom d’un écrivain du passé dont il doit d’abord lire l’œuvre, en version non expurgée. Volant un stock de papier et de crayons, les activistes découvrent une autre forme de communication, dont le secret peut être préservé. Ils découvrent la liberté de penser et agir par eux-mêmes et se battent contre tout un univers de surveillance absolue, de désinformation programmée, et de manipulation totalitaire.

Le roman fait pénétrer dans plusieurs milieux : l’univers familial, où la vie semble facilitée par Myra qui sait tout et peut tout faire, mais aussi le cœur du pouvoir, avec ses hiérarchies, sa façon de tout surveiller pour prévenir le moindre complot, la moindre dissidence, et enfin le monde des résistants, avec les précautions qu’ils prennent pour s’organiser. Il aborde aussi des thèmes plus légers, comme l’amour entre adolescents et la façon dont celui est mis en scène sur les réseaux sociaux pour être semblable à tous. Chaque chapitre se clôt sur un texte en caractères plus gras, dont on se demande avec une certaine perplexité qui l’énonce, car cet énonciateur semble détenir le pouvoir. Qu’on se rassure, on le saura à la fin du roman, une fin surprenante qu’on ne révélera pas ici bien sûr !

Tout cela est montré dans un récit tendu, plein de rebondissements, mais aussi d’humour ! La fiction est ici mise au service d’un questionnement sur nos rapports avec l’Intelligence Artificielle, avec les réseaux sociaux, avec notre façon de confier nos données sans trop y prendre garde. Si le KGB l’a rêvé, Google le fait, et Myra nous dépeint un monde qui n’est pas si éloigné de nous.

Ecrit dans une langue accessible aux adolescents, avec des codes narratifs efficaces, le roman se veut, à coup sûr, mise en garde. Quelle place accordons-nous à l’Intelligence Artificielle à l’heure où on nous vante ChatGPT ? Jusqu’où sommes-nous prêts à vendre tout notre esprit critique en échange de menus services finalement aliénants ? Mais ce roman rend aussi un hommage appuyé à  la culture, et plus spécifiquement à la littérature, comme des armes pouvant nous permettre de résister, de penser, de choisir, et de préserver nos libertés. Un roman salutaire qui parle de la servitude volontaire vers laquelle certains n’hésitent pas à nous entrainer.

Les Poupées savantes

Les Poupées savantes
Arthur Ténor
Le Muscadier 2022

Alter poupée…

Par Michel Driol

Dans un futur proche Lilibellule reçoit pour son anniversaire une poupée savante, réplique exacte de son visage, qui doit l’aider dans son travail scolaire. Surviennent deux événements. Lilibellule est renversée par une voiture, et la poupée est enlevée par un gang de trafiquants de poupées  et robots. Comment la récupérer ?

Dans ce roman de science-fiction, Arthur Ténor propose une société dans laquelle s’affrontent les cyberprogressistes, partisans de développer au maximum toutes les formes d’intelligence artificielle, et les humaniloves, qui pensent qu’il faut rejeter l’usage des humanoïdes dans la vie quotidienne. Ces deux causes sont incarnées par Lillibellule, dont les parents gèrent une start-up consacrée au développement de robots et Cléon, qui semble épouser la cause humanilove. C’est à une réflexion sur le thème de l’intelligence artificielle que conduit ce roman. Représente-elle un danger pour l’humanité, en termes de perte de contrôle sur sa destinée, voire sur sa nature même ?  Les scènes finales confrontent les héros à eux-mêmes, aux envies de pouvoir absolu, à l’usage d’armes à distance, façon de se sentir tout puissant, mais aussi responsable. La vie et la mort ne sont pas des jeux vidéo, et le sens de la mesure, de la raison doivent l’emporter face à toutes les tentations.

Un roman de science-fiction qui pose des questions bien actuelles, aborde la question de ce qui fait notre humanité, celle de notre dépendance aux différentes formes d’intelligence artificielle, et touche aussi certains points sensibles pour les ados comme leur relation aux réseaux sociaux et aux fake-news.