Au travail !

Au travail !
Christian Voltz
Rouergue 2024

Quand Chat Gépété revisite la Genèse…

Par Michel Driol

En panne d’inspiration, l’auteur fait appel  à Chap Gépété, l’Intelligence artificielle qui vit dans son ordinateur, laquelle lui apparait aussitôt, éclair à la main, figure toute puissance d’un démiurge…. aux oreilles de chat. Et tout commence comme un récit bien connu (des adultes, tout au moins !). Il y eut un soir et il y eut un matin.  Arrivent alors, épars, des objets de récupération  que Chat Gépété a un peu de mal à assembler pour former un personnage féminin… lequel souhaite avoir un compagnon auquel manque d’abord un élément essentiel !  Adam et Nicole. Survient alors ce que l’on prend d’abord pour un serpent, mais quand le plan s’élargit on voit qu’il s’agit de la queue d’un drôle d’animal, qui les tente avec de succulentes pommes…. alors que dans l’arbre on voit une carotte, des navets, et un champignon, tandis qu’un poisson haut perché fait cui-cui… Quand l’auteur conteste la valeur du travail de Chat Gépété, celui-ci conclut en disant que c’est dimanche, et qu’il se repose !

Voilà un album plein d’humour, dans lequel on retrouve l’originalité du travail de Christian Voltz. pour déconstruire la toute-puissance prêtée à l’Intelligence artificielle. Pourrait-elle un jour remplacer les scénaristes et les auteurs d’album ? Pas encore, suggère un Christian Voltz au mieux de sa forme qui monte l’incapacité de le l’I.A. de proposer un récit original – ici, elle recycle le plus récit du monde – et le recycle mal : Eve devient Nicole… la pomme une carotte, et la création des personnages s’avère laborieuse ! Le récit proposé par Chat Gépété est imparfait, la création s’avère être un long cafouillage avant que tout ne trouve place. A l’humour de ce récit en chantier plus qu’enchanté s’ajoute le traitement très malin du vrai auteur, dans sa façon d’utiliser le lexique (chat GPT devient le chat Gépété), dans sa façon de construire et déconstruire, avec des éléments d’objets recyclés, une parodie de création du monde, dans la gestion graphique des voix des personnages : gros caractères pixellisés pour chat Gépété, petits caractères pixellisés pour les personnages en cours de fabrication, et police « normale » pour l’auteur et les personnages achevés. La taille des caractères dit déjà les rapports de force qu’on imagine ! Humour aussi dans la façon qu’a l’auteur de se représenter, suant et soufflant en quête de l’inspiration devant son ordinateur ! On apprécie aussi les libertés que prend l’auteur par rapport à la Bible : C’est Eve la première créée. L’auteur a le souci du détail : le sexe des personnages est bien là, même si, pendant un temps, il fait défaut à Adam, sexe suggéré plus qu’exhibé !

Il faut aussi confronter les pages de garde de l’album. D’abord, une photos de pièces, boulons, pinces, d’où s’échappent quelques éléments, suggérant une dynamique de la gauche vers la droite, du chaos vers la sélection… Mais, à la fin, juste l’opposition entre la voix artificielle, je me repose, c’est dimanche, et la figure excédée de l’auteur, articulant juste un Ah ben merci…  ayant, mine de rien, le dernier mot…

Faire de l’intelligence artificielle un pâle imitateur assez maladroit des récits crées par l’homme remet à sa juste place cet outil auquel l’auteur prête, par ailleurs, quelques défauts bien humains : la vanité, la paresse, la maladresse, l’abattement. Bref, il y a encore du travail pour les vrais auteurs !

Myra sait tout

Myra sait tout
Luigi Ballerini
Amaterra 2023

L’I.A. au pouvoir

Par Michel Driol

Dans l’univers décrit, Myra connait tout de chacun, l’aide à s’habiller, à choisir un partenaire, un film à voir, ou indique l’adresse du meilleur glacier. On communique avec elle par un communicateur et une montre hyper connectée, comme tous les appareils domestiques, les voitures… C’est Myra qui a proposé à Alessandro de former un « duo » avec Vera. Mais cette dernière, très critique envers cette société, appartient au Front, un mouvement qui résiste contre cette aliénation, et elle va y faire adhérer Alessandro.

Dystopie ? Oui, sans doute, mais tellement proche de l’univers que les GAFAM nous proposent. Chacun, petit à petit, a accepté de donner plus de poids à Myra, à livrer ses gouts, ses habitudes, et à accepter qu’elle prenne le contrôle sur la vie personnelle, contre des bons de réduction ou des promotions dans les magasins. Le Gouvernement occupe un immeuble de 10 étages, le siège du pouvoir se trouvant en haut. Ses ressources ? La vente des données personnelles aux principales entreprises du pays. Au nom de l’écologie, on a supprimé le papier, les livres, tout est virtuel. Dans cet univers numérique, les livres sont réécrits et les séries télévisées sont conçues pour servir les intérêts du régime. Dans cet univers proche de 1984, la résistance clandestine s’organise, résistance culturelle d’abord, car chaque résistant porte comme surnom le nom d’un écrivain du passé dont il doit d’abord lire l’œuvre, en version non expurgée. Volant un stock de papier et de crayons, les activistes découvrent une autre forme de communication, dont le secret peut être préservé. Ils découvrent la liberté de penser et agir par eux-mêmes et se battent contre tout un univers de surveillance absolue, de désinformation programmée, et de manipulation totalitaire.

Le roman fait pénétrer dans plusieurs milieux : l’univers familial, où la vie semble facilitée par Myra qui sait tout et peut tout faire, mais aussi le cœur du pouvoir, avec ses hiérarchies, sa façon de tout surveiller pour prévenir le moindre complot, la moindre dissidence, et enfin le monde des résistants, avec les précautions qu’ils prennent pour s’organiser. Il aborde aussi des thèmes plus légers, comme l’amour entre adolescents et la façon dont celui est mis en scène sur les réseaux sociaux pour être semblable à tous. Chaque chapitre se clôt sur un texte en caractères plus gras, dont on se demande avec une certaine perplexité qui l’énonce, car cet énonciateur semble détenir le pouvoir. Qu’on se rassure, on le saura à la fin du roman, une fin surprenante qu’on ne révélera pas ici bien sûr !

Tout cela est montré dans un récit tendu, plein de rebondissements, mais aussi d’humour ! La fiction est ici mise au service d’un questionnement sur nos rapports avec l’Intelligence Artificielle, avec les réseaux sociaux, avec notre façon de confier nos données sans trop y prendre garde. Si le KGB l’a rêvé, Google le fait, et Myra nous dépeint un monde qui n’est pas si éloigné de nous.

Ecrit dans une langue accessible aux adolescents, avec des codes narratifs efficaces, le roman se veut, à coup sûr, mise en garde. Quelle place accordons-nous à l’Intelligence Artificielle à l’heure où on nous vante ChatGPT ? Jusqu’où sommes-nous prêts à vendre tout notre esprit critique en échange de menus services finalement aliénants ? Mais ce roman rend aussi un hommage appuyé à  la culture, et plus spécifiquement à la littérature, comme des armes pouvant nous permettre de résister, de penser, de choisir, et de préserver nos libertés. Un roman salutaire qui parle de la servitude volontaire vers laquelle certains n’hésitent pas à nous entrainer.

Les Poupées savantes

Les Poupées savantes
Arthur Ténor
Le Muscadier 2022

Alter poupée…

Par Michel Driol

Dans un futur proche Lilibellule reçoit pour son anniversaire une poupée savante, réplique exacte de son visage, qui doit l’aider dans son travail scolaire. Surviennent deux événements. Lilibellule est renversée par une voiture, et la poupée est enlevée par un gang de trafiquants de poupées  et robots. Comment la récupérer ?

Dans ce roman de science-fiction, Arthur Ténor propose une société dans laquelle s’affrontent les cyberprogressistes, partisans de développer au maximum toutes les formes d’intelligence artificielle, et les humaniloves, qui pensent qu’il faut rejeter l’usage des humanoïdes dans la vie quotidienne. Ces deux causes sont incarnées par Lillibellule, dont les parents gèrent une start-up consacrée au développement de robots et Cléon, qui semble épouser la cause humanilove. C’est à une réflexion sur le thème de l’intelligence artificielle que conduit ce roman. Représente-elle un danger pour l’humanité, en termes de perte de contrôle sur sa destinée, voire sur sa nature même ?  Les scènes finales confrontent les héros à eux-mêmes, aux envies de pouvoir absolu, à l’usage d’armes à distance, façon de se sentir tout puissant, mais aussi responsable. La vie et la mort ne sont pas des jeux vidéo, et le sens de la mesure, de la raison doivent l’emporter face à toutes les tentations.

Un roman de science-fiction qui pose des questions bien actuelles, aborde la question de ce qui fait notre humanité, celle de notre dépendance aux différentes formes d’intelligence artificielle, et touche aussi certains points sensibles pour les ados comme leur relation aux réseaux sociaux et aux fake-news.