Larmes de rosée

Larmes de rosée
François David / Chloé Pince
CotCotCot 2022

Une salade a besoin de sentir que tu l’attends

Par Michel Driol

Pour accueillir le 25ème Printemps des Poètes

Livret n° 2 de la collection Matière vivante, Larmes de rosée est un court poème de François David, devenu ici album illustré par Chloé Pince. De quoi y est-il question ? De la patience qu’il faut pour faire pousser une salade, ou plutôt du rapport qui se noue entre le jardinier débutant et la salade, qu’il a achetée en pot au marché, et qu’il consommera à la fin de l’ouvrage. A chaque lecteur d’interpréter plus ou moins métaphoriquement ce poème, qui se termine par le rapprochement homophonique entre deux verbes, elle attendait que tu la cueilles / que tu l’accueilles, et qui est dédié à « mes petites pousses ». Il est sans doute autant question d’éducation que de jardinage ici…

Dans une langue toute en retenue, très concrète, adressée à un « tu », figure du lecteur qu’on devine jardinier amateur, le texte évoque ce qu’il faut de patience, de lenteur, de soins dont on ne sait s’ils sont justes ou dans l’excès, de peine aussi pour faire grandir un végétal aussi humble qu’une salade, une matière vivante prise entre ses besoins et son désir de satisfaire le jardinier. Ce face à face qu’on dirait plein d’humanité est illustré d’aquarelles en vert et gris qui se concentrent avec humilité sur le sol, la salade et la terre, montrant ce jeu de développement à la surface, mais aussi le travail souterrain et invisible des racines, montrant aussi le temps qui passe avec le parcours d’une lune dans le ciel. Seule une limace, intrus rouge, vient dire un autre aspect de la vie de la nature.

Un poème plein de délicatesse pour évoquer avec douceur un aspect complexe de nos liens avec le vivant, avec la nature, car cette salade que l’on a fait pousser, on finit par la faire disparaitre en la mangeant.

L’escargot

L’escargot
Minu Kim
Ecole des loisirs 2022

Eloge de la lenteur

Par Michel Driol

Le frère ainé interdit à son cadet de suivre les grands : eux ont un vélo, lui n’a qu’une draisienne.  Pourtant petit frère, le héros, veut suivre, mais se laisse distancer, et heurte un caillou qui l’envoie chuter dans le pré. Reprenant ses esprits, il rencontre un escargot, et découvre le monde autrement. Finalement, c’est bien de prendre son temps, conclut-il.

Voilà une histoire qui se déploie en peu de mots, qui suivent les pensées du héros, dans un noir et blanc aérien, léger, et qui aborde avec délicatesse le rapport des petits frères aux grands frères, mais surtout la question du rapport au temps des enfants. Quel enfant n’a pas voulu grandir plus vite, aller plus vite, suivre les plus grands ? Tel est bien le héros de cette histoire, en colère parce que méprisé par son grand frère, vexé, faisant tout pour le rattraper, être son égal, être enfin grand lui-aussi. Pauvre petit bonhomme perdu dans un immense paysage en noir et blanc, minuscule au milieu des immeubles, solitaire au milieu des herbes, avec la seule tache rouge de son casque.  Jusqu’à la rencontre avec l’escargot, autre tache rouge dans le paysage. Et ensuite tout change. Le noir et blanc fait place à de belles couleurs, celles d’un coucher de soleil, d’un paysage et d’un ciel magnifiés. Toutes choses que l’enfant n’aurait pas vues s’il n’avait pas pris le temps de les regarder. La narration se conduit avec une grande économie de moyens graphiques, qui font alterner des pleines pages avec des pages où des vignettes montrent tantôt l’accélération de la vitesse de l’enfant lors de sa chute, tantôt  le temps qui semble se ralentir, le préparant à la rencontre initiatique avec l’escargot.

Voilà donc un album plein de sagesse qui apprend à s’accepter tel qu’on est, dans sa lenteur, dans sa petitesse, dans son âge, condition pour trouver une paix intérieure et sa place dans le monde…

Poulette

Poulette
Clémence Sabbagh – Illustrations de Magali Le Huche
Les fourmis rouges 2022

Nous prendrons le temps de vivre…

Par Michel Driol

Gervaise est une executive poulette, qui court partout, d’un rendez-vous à l’autre, aux quatre coins du monde. Même pendant ses vacances, au Club des Poulettes, sur une ile perdue au milieu de l’océan, elle enchaine les activités, et refuse de se mettre à labri lorsqu’un ouragan menace. Rescapée sur une plage désolée, elle fait la connaissance de trois minuscules bestioles, les trois petits riens, qui lui révèlent une autre façon de vivre, avec laquelle elle repart pour la grande ville, où, parfois, elle se met à écrire des histoires.

Combien de parents se reconnaitront dans la Poulette du début de l’album ? C’est bien une satire de nos modes de vie, de nos comportements qui est faite ici. Il faut courir, au risque de se disperser, comme le montrent plaisamment les images de la première double page. Cette hyperactivité va jusqu’à contaminer les vacances, qui doivent être aussi actives… Cet album parlera peut-être moins aux enfants dans cette première partie. Certes, nombre d’entre eux sont hyperactifs, ne tiennent pas en place, veulent toujours bouger, ne parviennent pas à se poser, mais l’héroïne ici est une Poulette adulte, cadre d’une grande entreprise dans un décor très newyorkais. Après l’orage, à la façon de Robinson échoué sur son ile, Poulette découvre un autre mode de vie. Si elle a d’abord du mal à s’y faire (elle veut agir trop vite, trouve les 3 compères trop mous), elle apprend petit à petit à oublier le temps. Trois petits riens, trois minuscules bestioles, trois figures enfantines qui surgissent sur la plage, pleins de bienveillance et de curiosité pour Poulette, qui pensent d’abord à s’amuser, adorent danser, vivent au contact de la nature, crient et rient… Autant d’activités et de signes de comportement qui ne peuvent qu’évoquer l’enfance : le plaisir de l’instant, des joies simples, de l’absence de sophistication. C’est bien sur la question de notre rapport au temps que l’album interroge petits et grands. Ce temps qui passe, faut-il l’accélérer pour profiter de la vie de façon superficielle, ou le ralentir pour gouter chaque instant. En quoi consiste finalement  le bonheur ? Quel lien pouvons-nous entretenir avec la nature ? La métamorphose de Poulette montre une autre façon de conjuguer les exigences professionnelles et l’ouverture au monde, aux autres, à soi aussi. Et ce n’est pas pour rien que l’ouvrage se termine par des images de Poulette lisant ou écrivant (non plus à New-York, mais à Paris), façon de dire le rôle indispensable de la littérature pour se poser et prendre autrement le temps. Cette leçon de vie est portée par un texte plein d’humour, dans lequel les jeux de mots abondent (en particulier autour du mot poule, traité façon Motordu…). Les illustrations, qu’il s’agisse de vignettes façon BD pour montrer l’hyperactivité de l’héroïne ou de pleines pages, regorgent de détails amusants à regarder longuement !

Un album qui incite à réfléchir sur le temps qui passe, et notre façon de l’habiter, avec un indéfectible humour !

Attendez-moi

Attendez-moi
Dorothée de Monfreid
Ecole des loisirs – loulou & Cie -2015

Le dernier des toutous

Par Michel Driol

attendezToute la bande de toutous porte le bateau, Nonoss IV, pour le mettre à l’eau. Tous, sauf Omar, le retardataire, avec son énorme sac à dos. Tandis que le bateau part, il reste seul sur la plage, traverse à la nage sur son énorme bouée derrière le bateau, souffle tandis que ses copains vont à l’eau. C’est alors qu’il prend le bateau, et le gouter… C’est aux autres de lui demander de les attendre ! Alors que tous se précipitent sur le bateau, il se renverse, tandis qu’Omar profère la morale : « Je vous l’avais bien dit, il fallait m’attendre »

Voici un album cartonné, plein d’humour et de tendresse, destiné aux plus petits.  Chaque page, à la façon d’une vignette de bande dessinée, montre le groupe de personnages, dont un – parfois plusieurs – parlent dans une bulle. Le décor est réduit, ce qui facilite la compréhension de l’avancée de l’histoire : la plage, représentée par un aplat de jaune au-dessous d’un aplat de bleu pour le ciel, la mer et l’ile, avec, comme il se doit, son palmier ! De ce fait, l’attention se porte sur les protagonistes, tous différents (par les costumes, les accessoires telles les bouées), saisis à chaque fois dans des  attitudes et activités variées. En contraste avec le groupe de toutous, qui semblent vivre à l’unisson, Omar a toujours un temps de retard, jusqu’à la chute de l’histoire, qui procède d’un renversement la fois narratif et matériel !

Gageons que cet album plaira aux tout-petits, qui se reconnaitront dans le personnage d’Omar : plus lents, plus maladroits que les autres mais cherchant néanmoins à s’intégrer à un groupe et à en partager les jeux et les expériences.

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