Plouf et Nouille

Plouf et Nouille
Steve Small
Sarbacane2025

Rendez-vous sous la pluie

Par Michel Driol

Il y a Plouf, le canard, avec son grand ciré jaune et son parapluie : c’est qu’il n’aime pas l’eau, Plouf. Et quand une nuit de tempête un gros trou apparait dans son toit arrive Nouille, une grenouille qui adore l’eau. Mais comment retrouver la maison de Nouille, en vélo ou en bateau ? Finalement, c’est Jo Pélican, le facteur, qui raccompagne Nouille. Mais, pour Plouf, il manque quelque chose : Nouille. Et, bravant le vent et la tempête, il va retrouver Nouille et l’inviter chez lui.

Cet album catonné propose  une histoire qui repose sur un schéma bien classique en littérature de jeunesse : deux personnages que tout oppose et qui vont devenir amis, en dépit de leurs différences, grâce au partage de quelque chose : un repas, une aventure, ou ici l’hospitalité, deux personnages qui font un pas vers l’autre. Sans revisiter ce schéma, Steve Small , à la fois dessinateur de dessins animés et concepteur de livres pour enfants, croque des personnages identifiables et visuellement réussis. Plouf, impayable sur ses deux pattes dans son grand ciré jaune qui l’accompagne à chacune de ses sorties, qui a tout du marin pécheur. Nouille, minuscule, large sourire, et canotier sur la tête, qui ne dit que Craôa. Sans compter les comparses : le castor couvreur, le pélican facteur, la taupe, les lapins, rencontrés au fil des recherches, tous dessinent un univers drôle vivant, animé et coloré. IEt que dire de la maison de Plouf, maison de bois sur pilotis, maison cosy avec son poêle, son fauteuil à bascule, ses livres et son thé… Tous les détails sont pleins de saveur et de signification : par exemple les bottes de Plouf, qu’il échange contre de confortables charentaises bleues à la maison. Le texte se conjugue avec les onomatopées de l’image, les plocs de la pluie, les crôas de Nouille à qui il donne toujours du sens, mais jamais le même.  Il suit le point de vue de Plouf (ce que suggère le titre original, (The duck who didn’t like water), nous entraine dans ses phobies, ses pensées, et son sentiment de manque lorsque Nouille n’est pas là. Enchainant des propositions courtes, il est facilement compréhensible par les plus petits. On notera que le texte, répétant à loisir les noms de Plouf et Nouille, réussit le tour de force de ne pas genrer ses personnages, laissant au lecteur le choix (tout comme la version originale où il est question de Duck et Frog).

Humour, tendresse, douceur, et joie de lire ensemble définissent l’atmosphère de cet album réconfortant dans lequel l’expressivité des personnages s’accorde avec les couleurs acidulées et gaies d’un graphisme très cartoonesque !

Ma mère des banquises

Ma mère des banquises
Didier Lévy – Illustrations de Tiziana Romanin
Les Editions des Eléphants 2023

3 semaines d’absence

Par Michel Driol

La maman de l’héroïne est partie étudier les ours polaires. Impossible de la joindre durant 3 semaines. Mais elle a laissé dans l’appartement une lettre par jour pour sa fillette qui, en échange, tient son journal pour évoquer cette absence, sa vie avec son père.

Evoquons d’abord  le côté très cinématographique des illustrations. Tout commence par un plan large, dans un aéroport, on la fillette et son père, de dos, voient un avion, derrière les verrières. Puis alternent les pages en couleur chaudes, dans l’appartement, ou parfois dans la rue, montrant la fillette et son père, avec un témoin muet, le chat. Des scènes quotidiennes, la vaisselle, le brossage de dents, le câlin pour montrer cette vie à deux. Alternent avec ces pages celles où on voit la mère, couleurs froides, paysages tourmentés de banquise, avec l’omniprésence des ours blancs, dessinés, photographiés. Ces illustrations opèrent un vrai travail de montage pour rendre encore plus sensible cette histoire de séparation, d’éloignement.

Ensuite le texte, celui du journal de la fillette, journal destiné à la mère. Elle évoque la situation qu’elle trouve douloureuse, à la fois fière de ce fait sa mère, et en même temps, désireuse de ne pas la voir s’éloigner ainsi. Des phrases simples, un vocabulaire d’enfant, pour dire ses sentiments et raconter  au quotidien le temps qui passe lentement, les routines, et la tendresse de la relation qui se noue avec son père. Le texte fait preuve de finesse et d’une grande sensibilité, sans aucune espèce de mièvrerie. La fillette montre en fait une grande maturité dans sa façon de vivre l’absence, de comprendre et d’accepter la passion de sa mère, de ne jamais lui en faire le reproche.

 Enfin, la situation. Ce n’est pas le père qui part explorer le monde, c’est la mère la scientifique, la voyageuse. Cela mérite d’être souligné, pour ce que cela dit aussi de la volonté d’émancipation que manifeste ici la littérature pour la jeunesse, en déconstruisant simplement les stéréotypes, pour rappeler que l’essentiel est dans la relation et dans l’amour, et que chacun peut vivre ses passions.

Un album tout en douceur pour évoquer la situation vécue par de nombreux enfants lorsque, pour des raisons professionnelles, un des parents est obligé de partir au loin.

Un éléphant dans un chapeau

Un éléphant dans un chapeau
Véronique Foz – Illustration Barroux
Møtus 2023

Papaoutai

Par Michel Driol

Pierrot rêve de devenir magicien dans un cirque. En se concentrant très fort, il parvient à faire apparaitre un coquillage, une souris dans la salle de classe. Quand il était petit son papa lui montrait des tours de magie jusqu’au jour où il a disparu. Dès lors, Pierrot n’a plus qu’une obsession : le faire réapparaitre. Mais la vraie magie existe-telle ou tout n’est-il que truc ? Sa sœur refuse de croire à ses pouvoirs, même quand il fait apparaitre un chat, un perroquet. Mais quand il fait apparaitre un éléphant dans la rue, c’est une autre histoire…

Drôle de titre qui cache une histoire pleine de délicatesse et de tendresse, racontée par un enfant à la fois naïf dans sa découverte du monde, et déterminé. Parler des pères absents, des familles monoparentales, avec autant de gravité que de légèreté, tel est le paradoxe de cet album qui révèle progressivement l’idée fixe de Pierrot, montre ses efforts désespérés de faire réapparaitre celui qui lui manque tant. Attachant, Pierrot l’est dans sa souffrance non dite, dans sa difficulté à être pris au sérieux dans sa famille, par sa sœur rationaliste, lui qui vit dans un imaginaire dont l’album dit les pouvoirs et la magie. L’une des grandes qualités du texte est d’être écrit, dans ses premières pages, au plus que parfait, temps rarement utilisé dans les albums jeunesse, ce qui introduit une distance entre le présent de la narration et un passé achevé. Puis on trouve de nombreux imparfaits, marquant l’habitude de Pierrot ou la durée du temps qui passe. Cet usage particulièrement riche et complexe des temps contribue à donner de l’épaisseur au personnage, à le construire justement dans le temps et pas seulement dans un présent qui finit par advenir, mais au bout d’un long processus, d’essais et d’erreurs, bref, d’un apprentissage. C’est cette question du temps que l’on trouve encore dans les propos finaux inachevés de la sœur « La prochaine fois… », dévoilant ainsi que les deux enfants partagent le même désir implicite, inavoué.  Ce texte fort est illustré avec brio par Barroux. Des dessins à l’encre noire, légèrement rehaussés de deux couleurs. D’une part des jaunes ou des ocres pour les décors, ou les autres personnages. D’autre part une utilisation bien particulière du rouge, rouge du cœur de Pierrot, rouge du mouchoir magique, rouge de l’avion ou du perroquet qui apparaissent, rouge aussi du pull du père. Ce rouge constitue comme un fil graphique reliant ces éléments propres à l’imaginaire de l’enfant. C’est par une autre technique que les derniers exploits de l’enfant sont montrés : à partir de collages utilisant des plans d’architecture (où l’on peut lire façade, pignon…), comme pour dire qu’après l’ébauche des plans viendra la réalisation, le grand œuvre, la réapparition possible du père…

Tout cela est-il réel ? Est-il le fruit de coïncidences ? Faut-il croire aux pouvoirs de la magie ou à ceux de l’imaginaire ? Voilà un bel album qui agite ces questions pour parler, avec tact et sensibilité, du désir profond d’un enfant de revoir son père.