Etre garçon – la Masculinité à contre-courant

Etre garçon – la Masculinité à contre-courant
Karim Ouaffi – Mikankey
Editions du Ricochet 2024

On ne nait pas garçon : on le devient

Par Michel Driol

Cinq chapitres, conçus sur le même modèle, pour découvrir les stéréotypes qui enferment les garçons dans un rôle qu’ils n’ont pas forcément envie de jouer, mais qu’ils n’ont pas forcément la force ou les ressources de refuser. D’abord une bande dessinée dont les héros sont cinq adolescents d’une classe de troisième dont l’un des élèves est décédé, puis plusieurs pages plus documentaires, liées à la déconstruction des stéréotypes, mais donnant aussi des conseils ou des adresses pour aller plus loin.

Masato pense que les garçons n’ont pas le droit de pleurer. Youri s’interroge sur le fait d’aimer les garçons. Feti voudrait bien ne plus être harcelé, mais la violence est-elle une bonne solution ? Antoine ne sait comment dire à Lily qu’il l’aime. Et enfin Rose se sent bien plus garçon que fille. Les bandes dessinées montrent ces adolescents et adolescentes dans des situations de la vie quotidienne, au collège, dans la rue, à la maison, confrontés à leurs questions, à leur mal être, et souvent en butte à une incompréhension familiale, ou à des propos qu’ils entendent et qui les marquent, leur indiquent un comportement comme étant « la norme », les comportements « différents » étant stigmatisés ou condamnés. Ainsi, tous sont confrontés à une idéologie dominante, au patriarcat ambiant et à ses codes toxiques. Cette bande dessinée, très concrète, illustre bien la question du rapport aux autres et à soi-même, sans volonté de choquer, mais avec une grande empathie pour les personnages évoqués, victimes de préjugés, d’un manque d’écoute venant des adultes souvent, des pairs parfois aussi.

Les parties documentaires explicitent d’abord les problématiques illustrées par les BD, à la façon d’une encyclopédie, en les enrichissant de faits historiques ou sociaux, en s’appuyant sur des nombreuses statistiques pour montrer l’ampleur des phénomènes décrits. Il s’agit de conduire chacun à réfléchir sur lui-même, à promouvoir un autre type de masculinité, moins toxique, plus à l’écoute, plus apte à exprimer ses émotions et à construire des relations positives et apaisées avec les autres. L’ouvrage jette ainsi un regard neuf sur les diverses identités masculines. Il ne cherche pas à imposer des normes, à dire ce qui serait normal ou pas, mais milite pour que chacun trouve sa propre masculinité. Pour ce faire, l’ouvrage brasse quantité de concepts : le genre, le patriarcat, la virilité, le féminisme, la transidentité… Il évoque quantité de pratiques ou de réalités telles que le harcèlement, le consentement, la pornographie… avec la volonté d’aider à comprendre ce qui s’y joue, dans l’ordre du symbolisme et du réel. Tout cela est écrit dans une langue accessible à toutes et tous, abondamment illustré de façon à rendre les propos encore plus explicites.

C’est sans doute le livre qu’il fallait aujourd’hui, un livre adroit, un livre qui ne cherche pas à être moralisateur ou donneur de leçons, mais un livre qui fait appel à la sensibilité, à la réflexion, à l’intelligence pour mettre en avant une déconstruction des stéréotypes liées au patriarcat, et la construction d’autres relations permettant de vivre ensemble dans une société plus équilibrée, plus apaisée, moins violente. A conseiller vivement dans tous les CDI à l’heure où certains voudraient que ces questions soient bannies de l’école

Je suis qui je suis

Je suis qui je suis
Catherine Grive

Rouergue, 2016

Contre-performance

Par Matthieu Freyheit

« Ecrire, c’est libérer l’androgyne qui existe en tout être », écrivait Béatrice Didier dans Ecrire-femme. C’est le pari fait ces dernières années par un certain nombre d’auteures, parmi lesquelles Catherine Grive, Anne Percin (L’Âge d’ange), Jean-Noël Sciarini (Le Garçon bientôt oublié), et bien d’autres.

Raph’, dit-on, est un garçon manqué, la performativité du langage produisant le sentiment d’une définition de soi par le ratage. Avec l’adolescence survient un changement essentiel de conjonction pour un nouvel âge de la coordination : au « garçon et fille » de l’enfance succède le « garçon ou fille » qui prépare à l’âge adulte. Il y a du deuil dans l’adolescence, et du chagrin : celui que vit Raph’ cet été-là, à ne rien vouloir, rien attendre, n’être rien dans l’indéfinition que lui opposent les autres dès lors que le genre se tait. Mais derrière le blouson de jean, le corps, lui, trahit le sexe, pour un autre échec contre soi.

Catherine Grive fait sobre, tout en restituant de la complexité : celle qu’il y a à être sous le regard des autres, et celle qu’il y a à être sous son propre regard. Celle qu’il y a, surtout, à vouloir produire de la vie quand la vie elle-même n’en fait qu’à sa tête, et malgré nous. Jusqu’à confronter l’injonction identitaire à la tautologie qui la fera taire, comme pour contrecarrer la performativité : je suis qui je suis. Où l’affirmation est toujours une question.

 

Mademoiselle Zazie ne veut pas être hôtesse de l’air

Mademoiselle Zazie ne veut pas être hôtesse de l’air
Thierry Lenain, Delphine Durand
Nathan (premiers romans), 2014

Mademoiselle Zazie – sauvetage impossible
D’après un scenario original de Nicolas Digard
Nathan (un héros Zouzous), 2014

Zazie et sa contrefaçon

Par Anne-Marie Mercier

zazie hotesseOn connait et on aime mademoiselle Zazie, l’héroïne impertinente de Thierry Lenain et Delphine Durand, la retrouver déclinée en série est un plaisir. Ici, on est face à une séquence gentiment caricaturale, une préparation de visite d’écrivain dans la classe de Max et Zazie. Tyrannie de l’institutrice, arrière-pensées des enfants, ronchonnements, on devine que Thierry Lenain joue avec des situations qu’il a pu rencontrer. Le renversement final, plein d’humour, reprend la thématique de l’égalité des sexes. Parfait. C’est aussi un vrai « petit roman », comme le titre de la collection l’indique, avec des personnages bien typés, des clins d’oeil, de l’intertextualité, une chute…

En revanche, qzazie sauvetageuand on arrive au produit dérivé, issu de la série animée, on est déçu, et même indigné : on y présente les garçons comme des débiles violents et Max lui-même est un être à la virilité menacée qu’il faut protéger par des mises en scènes truquées. A quelles filles (car visiblement cet album leur est exclusivement réservé) veut-on s’adresser ici ? Des répliques de sit-com qui prennent des airs supérieurs pour évoquer la fragilité des hommes et les mensonges qu’il faut leur présenter? Et pour quel projet : il n’est pas question d’égalité fille-garçon mais de manipulation de l’un par l’autre. Enfin, les images n’ont pas d’autre rôle que de commenter le texte, rien à voir avec la drôlerie de celles de Delphine Durand. Vive le (vrai) livre !