Je suis qui je suis

Je suis qui je suis
Catherine Grive

Rouergue, 2016

Contre-performance

Par Matthieu Freyheit

« Ecrire, c’est libérer l’androgyne qui existe en tout être », écrivait Béatrice Didier dans Ecrire-femme. C’est le pari fait ces dernières années par un certain nombre d’auteures, parmi lesquelles Catherine Grive, Anne Percin (L’Âge d’ange), Jean-Noël Sciarini (Le Garçon bientôt oublié), et bien d’autres.

Raph’, dit-on, est un garçon manqué, la performativité du langage produisant le sentiment d’une définition de soi par le ratage. Avec l’adolescence survient un changement essentiel de conjonction pour un nouvel âge de la coordination : au « garçon et fille » de l’enfance succède le « garçon ou fille » qui prépare à l’âge adulte. Il y a du deuil dans l’adolescence, et du chagrin : celui que vit Raph’ cet été-là, à ne rien vouloir, rien attendre, n’être rien dans l’indéfinition que lui opposent les autres dès lors que le genre se tait. Mais derrière le blouson de jean, le corps, lui, trahit le sexe, pour un autre échec contre soi.

Catherine Grive fait sobre, tout en restituant de la complexité : celle qu’il y a à être sous le regard des autres, et celle qu’il y a à être sous son propre regard. Celle qu’il y a, surtout, à vouloir produire de la vie quand la vie elle-même n’en fait qu’à sa tête, et malgré nous. Jusqu’à confronter l’injonction identitaire à la tautologie qui la fera taire, comme pour contrecarrer la performativité : je suis qui je suis. Où l’affirmation est toujours une question.

 

Mademoiselle de Maupin

Mademoiselle de Maupin
Théophile Gautier

Abrégé par Marie-Hélène Sabard
L’école des loisirs (classiques abrégés), 2011

L’amour masqué

Par Anne-Marie Mercier

Théophile Gautier,androgyne, féminisme,romantisme,travesti, homosexualité,bisexualitéL’école des loisirs (classiques abrégés),Anne-Marie Mercier   Quelle bonne idée que de proposer cette version abrégée aux élèves des lycées ! En effet, on ne lit plus de Mademoiselle de Maupin que sa préface où Gautier se moque des critiques, de la littérature vertueuse, du goût pour la couleur locale, des modes littéraires de tout poil et s’interroge sur l’ « utilité » du roman, de l’existence même… pour conclure qu’il « n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines ».

Quelle est l’utilité de Mademoiselle de Maupin ? C’est, comme toute belle œuvre, d’être inutile et superflue, donc nécessaire. C’est aussi d’offrir un récit dans lequel points de vue particuliers, journaux, lettres se croisent et s’entrelacent avec une narration neutre et distante.

Il propose une aventure singulière, proche d’une situation de comédie de Marivaux : un jeune homme, Albert, cherche l’amour absolu et ne le trouve pas, malgré la perfection de sa liaison avec Rosette. Arrive Théodore, que Rosette aime et qu’il a repoussée pour des raisons mystérieuses. Albert tombe amoureux de Théodore, puis il devine que c’est une femme déguisée. On apprendra les causes de ce travestissement, et le roman devient doublement féministe : d’abord par le thème du travestissement, ensuite par les raisons évoquées par le personnage, dénonçant l’attitude des hommes vis-à-vis des femmes.

Contrairement à la comédie, rien ne rentre dans l’ordre. La fin est troublante, inexpliquée et permet de s’interroger sur ce qui n’est pas dit.