Et demain ?

Et demain ?
Nathalie et Yves-Marie Clément
Editions du Pourquoi pas ? 2025

Nord/Sud

Par Michel Driol

Sous le titre Et demain ? sont réunies deux nouvelles, chacune à deux voix. L’uranium enrichi.t fait alterner le discours officiel d’Uratome Monde, une multinationale qui se prétend respectueuse de l’environnement et des valeurs sociales avec celle du fils d’un des mineurs africains, révélant une tout autre vérité. Dans le froid qui mord fait alterner le discours d’un leader populiste avec le témoignage d’un migrant venu d’Afrique.

Le recueil rassemble ainsi deux textes dont la polyphonie oppose deux types de discours bien identifiables, pour en dénoncer l’un en le confrontant au réel tel qu’il est vécu. D’un côté, on a affaire à un discours bien rodé des multinationales, stéréotypé, pétri d’autosatisfaction, de chiffres, discours qui tente de cocher toutes les cases, celles du profit avec celles du respect du développement durable, dans une froide technocratie hypocrite. Ou alors aux propos d’un populiste qui impose la lutte contre l’émigration come seul enjeu politique et comme nécessité pour défendre une certaine conception du patriotisme. On a affaire ici à une belle harangue d’anthologie, associant violence dans le propos, raccourcis saisissants, discriminations verbales, solutions grossières et racisme – hélas – ordinaire.

De l’autre, marqués par une typologie en italique, les paroles d’un fils à son père qui rentre de la mine, usé, fatigué, propos marqués par un refrain A quoi penses-tu, papa / En rentrant de la mine ?. On est dans le registre émouvant de l’intime, de l’affectif, du corps qui souffre et qui meurt. Ou alors le poème de l’exil, texte à la deuxième personne d’un Africain qui évoque son parcours jusqu’à l’OQTF, parcours douloureux, fait d’espoir et de désespoir, de solidarité et de répression.

Deux textes écrits à quatre mains qui utilisent avec pertinence les ressources narratives de la polyphonie pour dire les oppositions et les contradictions du monde actuel, pour dénoncer l’égoïsme des pays du Nord qui pillent les richesses de ceux du Sud, contraignant à l’exil leurs populations pour développer des discours de haine contre l’étranger qu’il faut renvoyer chez lui… Mais deux textes qui s’enchainent parfaitement, – le jeune africain du premier texte ne se prépare-t-il pas à prendre le chemin de l’exil – deux textes qui se terminent heureusement sur la métaphore du chemin portée par la voix africaine, deux textes qui laissent ouverte la possibilité de cheminer ensemble, de concilier les chemins, vers la vie de demain, qui sera ce que les jeunes générations – celles qui auront pu se nourrir intellectuellement et émotionnellement  de tels textes – en fera…

De la terre à la pluie

De la terre à la pluie
Christian Lagrange
Seuil Jeunesse 2017

Chaque seconde dans le monde une famille quitte sa terre

Par Michel Driol

Comment parler d’exil aux enfants ? Christian Lagrange montre trois femmes, à différents âges de la vie, condamnées à l’exil depuis l’Afrique, faute d’eau. Représentées par des statuettes de glaise,  sur fond parfois d’images graphiquement très épurées, on les voit, accompagnées d’un oiseau, traverser un désert, une clôture grillagée, la mer, pour se retrouver, sous la pluie, dans une ville aux allures de New York et finalement, dans une espèce de cabane. Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière, ce vers de Hugo sert de conclusion dans une dernière page plus optimiste : la lumière troue les nuées et semble promettre une vie meilleure.

Le dispositif est à la fois sobre et efficace : extrême concision du texte, une courte phrase par double page,  comme pour ne pas prendre le pas sur la puissance évocatrice des statuettes, véritables figures tragiques, perdues dans un monde qui n’est pas fait pour elles, mais debout et en marche.   De fait, l’album suggère, donnant à voir les conditions de vie et d’exil sans chercher à se substituer aux migrants, sans vouloir jouer le registre du réalisme ou du psychologisme. C’est au lecteur de construire les non-dits, à partir de cet avion de chasse qui vole vers le pays quitté, ou de ce grillage que les trois femmes franchissent. Les couleurs de fond – blanc pur pour l’Afrique, grisaille de la traversée de la mer, de l’arrivée dans la ville, et noir de la nuit  qui envahit petit à petit album disent, elles-aussi, un monde d’où la lumière semble s’être retirée. Ainsi, chacun pourra interpréter, à sa façon, l’errance et la quête d’une vie meilleure, au péril de sa vie, dans un univers hostile.

Un album d’une grande force qui sait émouvoir sans pathos, et conduit à réfléchir sur l’exil.