A l’eau, les pirates !

A l’eau, les pirates !
Didier Lévy – Caroline Hüe
Casterman 2025

Aquaphobiques !

Par Michel Driol

Le narrateur, un jeune garçon, bouée canard autour du ventre, monte sur le Dragon noir, le bateau des pirates. C’est qu’il voudrait bien devenir pirate, mais qu’il a peur de l’eau. Est-ce compatible ? Après avoir découvert que, tout comme lui, aucun des pirates ne sait nager, il les entraine à la piscine municipale où, sous l’instruction de la maitre nageuse, seule personnage féminin de l’album, ils apprennent enfin !

Voilà un album très drôle qui joue sur les contrastes et les stéréotypes pour mieux évoquer les peurs et les façons de les surmonter. Contraste entre ce mignon petit blondinet et les pirates, baraqués, tatoués, édentés, hirsutes… Contraste entre leur activité – la piraterie – et le fait de ne pas savoir nager. Contraste entre ces gros malabars au comportement puéril à la piscine et la svelte maitre nageuse. Contraste aussi entre ce petit garçon bien propre sur lui et son envie d’apprendre les pires injures de la bouche des pirates… Tous ces contrastes sont d’abord portés par les illustrations, qui jouent avec les détails parfois inquiétants, parfois amusants, qui font de ce bateau de pirates un espace hors du temps (bateau à voiles, bottes de cow-boy, six-coups à la ceinture et chapeau très ancien régime !). Mais ils sont aussi portés par le texte qui oppose la  langue de l’enfant et celle du chef des pirates, mais qui surtout permet de développer la thématique de la peur. Peur d’abord niée par les pirates, qui affirment de prime abord être pirates par ce qu’ils n’ont peur de rien, peur de l’eau déclarée par le chef, qui affirme que c’est l’attention à tout qui fait le chef, et non la témérité, peur d’avouer son ignorance et de reconnaitre qu’on ne sait pas nager : ce sont donc différentes sortes de peurs qui sont évoquées, et la façon de les reconnaitre pour mieux les dédramatiser, les surmonter et pouvoir apprendre. Au passage, l’album égratigne aussi les stéréotypes masculinistes: même les hommes peuvent reconnaitre leurs peurs. Il n’y a pas de honte à cela. Et c’est une femme qui leur apprend à nager. Tout un symbole !

Un album plein d’humour pour suggérer qu’il ne faut pas prendre au sérieux ses peurs afin de réaliser ses rêves !

L’Ile au trésor

L’Ile au trésor
R. L. Stevenson
Traduit (anglais) par J. Papy
Gallimard jeunesse (Bibliothèque), 2014

Classiques « éternels »?

Par Anne-Marie Mercier

L’Ile au trésorGallimard jeunesse, au temps où le livre semble – à tort ou à raison – en passe de devenir un produit menacé et éphémère, a fait un beau projet, celui de proposer aux adolescents de grands textes à collectionner pour se monter une « bibliothèque », c’est le nom de cette collection. On y trouve Hemingwa, Gripari, Morpurgo, Dahl,

Le texte de Stevenson, traduit par Jacques Papy, est publié par Gallimard depuis 1974 en folio junior avec des illustrations de George Roux, mais a été présenté en 1994 sous forme d’album à couverture souple dans la collection « Chefs-d’œuvre Universels », avec des illustrations de François Place et des photos à usage documentaire (reprenant le principes de Gallimard découvertes). On retrouve François Place comme seul illustrateur, dans ce volume. Ses aquarelles sages évoquent les illustrations d’autrefois et intègrent dans le récit leurs touches de couleur et leur point de vue sur l’histoire..

Cette traduction de J. Papy, comme celle qu’il a faite d’Alice en tentant de rendre le texte plus accessible est un peu ancienne (une traduction s’use-t-elle ? la réponse est « oui », car le regard sur le texte set sur la traduction peut changer). Folio classique propose depuis 2000 une nouvelle traduction, de Marc Porée.

Vois-tu ce que je vois ? Trésors des pirates

Vois-tu ce que je vois ? Trésors des pirates
Walter Wick

Traduit (anglais) par Christine Billaux
Millepages, 2011

Des zooms et (encore) des pirates

 Par Matthieu Freyheit

Vois-tu ce que je vois ? Trésors des pirates.gif Walter Wick est loin d’être un inconnu. Le photographe américain, qui se dit lui-même fasciné par les défis techniques offerts par sa discipline, n’en est pas à son premier livre pour la jeunesse et continue d’interroger les possibilités et bizarreries de l’optique.

Dans la veine des Où est Charlie ? et des livres d’observation, la série des Can you see what I see ? se poursuit. Après avoir revisité, entre autres, Noël, les contes de fée, et Halloween, Walter Wick consacre son objectif aux trésors des pirates. Prétexte à tout, la piraterie ? Sans doute.

Le concept, pour ceux qui n’ont pas encore passé quelques soirées à fouiller les précédents volumes, est le suivant : Walter Wick crée un effet de zoom à l’aide de photographies prises de décors en miniatures et en grandeur nature. Commencez à l’intérieur du coffre au trésor pour vous retrouver au fond des mers avant de finir sur une plage de sable fin, et trouvez une liste d’éléments fondus dans la masse de l’image. De l’incontournable tête de mort au sabre inévitablement serti de diamants en passant par un cœur en or et quatre tortues (à cette heure il m’en manque toujours une), voilà un livre qui invite à passer et à revenir, à le fermer et à le rouvrir : un livre, finalement, à investir, dans une vraie chasse au trésor.

Cependant, si le travail de Wick demeure brillant, certaines planches ne sont pas tout à fait réussies, en termes d’esthétique autant que de lisibilité. Quant à l’ensemble, il est quelque peu trahi par le défaut d’originalité du sujet. Ce qui ne nous empêche pas d’attendre avec impatience la prochaine proposition de l’auteur qui, abandonnant le navire pour suivre les rails du Toyland Express, gagnera peut-être en onirisme et en imagination.

 

Le bateau des pirates

Le Bateau des pirates
Alain Boyer

Larousse (Livres à construire), 2010

C’était un grand vaisseau taillé dans l’or… le carton massif

 Par Mathieu Freyheit

pirates,  Alain Boyer,  Larousse (Livres à construire), Mathieu FreyheitOn l’oublie trop souvent : originellement, le corsaire désigne le navire équipé et amé en vue de pratiquer la course. De la même manière, le pirate désigne le vaisseau qui s’engage sur les mers en vue de pratiquer la piraterie. Ce n’est que par un glissement sémantique et une forme d’assimilation que le mot a fini par qualifier le personnage que l’on connaît, poignard entre les dents et perroquet sur l’épaule. C’est donc bien le pirate, entendons le navire, que ce livre propose de construire.

Un livre-objet dont l’attrait essentiel est l’objet : la maquette du bateau. Pour les plus gauches, pas de panique. En plus d’être solide, l’ensemble se monte très facilement, et vous trouverez à la fin du livret toutes les explications nécessaires. Pas de piège, pas de complications. La maquette, colorée, se complète d’un certain nombre de personnages et d’éléments de jeu. L’objet final est assez maniable et réussi, même s’il ne brille pas par son originalité.

Quant au livre, cartonné, il se compose d’une trentaine de pages destinées à faire découvrir – ou redécouvrir – la vie des pirates. L’intérêt du livre est notamment de se concentrer sur les aspects de la vie à bord du navire : règles, punitions, mais également hiérarchie entre les marins et rôle tenu par chacun. Le bateau est présenté comme un ensemble vivant, sorte de micro-société où s’organisent les pirates. Une double page est également consacrée aux divers bateaux dont ont pu faire usages les pirates sur les différentes mers du monde, de la jonque au chébec, en passant par le sloop et le brick.

Le livre n’échappe évidemment pas aux grands classiques du genre. Le drapeau noir y figure en bonne place à côté des éléments les plus connus de la piraterie : l’inévitable trésor, les surnoms des pirates, les grandes fêtes mêlées de rhum, de femmes et de bagarres. On apprécie cependant l’effort fourni pour apporter des connaissances moins courantes dans la littérature de piraterie, notamment dans la double-page dédiée à l’historique de la piraterie où l’on peut lire, à côté de celle du célèbre Barbenoire, les histoires de César et d’Eustache le Moine.

C’est finalement l’idée de centrer l’attention sur le navire qui fait le véritable avantage de ce livre. Peut-être aurait-il fallu aller plus loin, et ne pas nécessairement s’attarder sur des éléments trop familiers qui empêchent l’album de réellement se distinguer des autres. Par ailleurs, les illustrations manquent cruellement d’originalité et empruntent un style déjà vu qui ne rend pas service à l’ensemble.