Capitaine Massacrabord

Capitaine Massacrabord
Mervyn Peake
Traduit (anglais) par Patrick Gyger
La Joie de lire, 2011

Comprenne qui pourra

Par Matthieu Freyheit

Le Capitaine Massacrabord aime les îles roses et les créatures grotesques. Ça tombe bien, moi aussi. Quant à vous expliquer pourquoi, c’est une autre paire de manches. Commençons par l’auteur. Mervin Peake n’est pas un inconnu. Décédé en 1968, atteint de la maladie de Parkinson, Peake a livré un héritage graphique important. Connu pour la série des Titus – une trilogie romanesque –, il a également illustré de nombreux classiques, de L’Île au trésor à Alice au Pays des Merveilles. C’est entre fantastique et absurde que se situe le Capitaine Massacrabord, un conte de pirate hors genre.

L’histoire ? Le Black Tiger, un sacré bateau pirate commandé par le très féroce Capitaine Massacrabord, navigue en des eaux mystérieuses. Lorsque l’équipage découvre une île rose peuplée de créatures extravagantes, le capitaine n’y résiste pas et ordonne à ses hommes de capturer l’une d’elles. Celle-ci ne portera d’autre nom que la Créature Jaune, je vous laisse deviner pourquoi. Une fois amenée à bord, le Capitaine noue avec cette dernière une relation de plus en plus étroite. Car n’en croyez rien : avant d’être un conte de pirate, Capitaine Massacrabord est avant tout une bien étrange histoire d’amour et, après quelques danses, c’est en jupette et chapeau à plume que la Créature Jaune prépare le repas sous l’œil un tantinet lubrique du Capitaine.

Ce n’est pourtant pas cette histoire somme toute discrète qui me fait me poser la question suivante : est-ce bien un album pour enfants ? L’éditeur propose une lecture dès 6 ans. Soit. Je ne garantis pas que je garde un souvenir parfait de mes facultés à cet âge-là, mais il me semble bien que je n’y aurais rien compris. Je n’ai même aucun doute là-dessus. Mais d’ailleurs : y a-t-il seulement quelque chose à comprendre ? Une lecture accompagnée me paraît elle-même difficile. D’autant plus que, malheureusement, le parti pris du style narratif ne retient pas longtemps l’attention, et le récit nous laisse finalement sur notre faim. C’est fort dommage, car l’album est d’une belle facture et les illustrations d’une grande qualité. La palette simple souligne un trait discontinu et souple, pour un ensemble de planches gracieux. Mais là encore, l’intérêt graphique, si grand soit-il, ne retiendra pas nécessairement l’attention des enfants. Ce qui n’empêche pas, après tout, d’en faire un très bel album pour nous, les plus grands. Et pour tous les amateurs de créatures jaunes en jupette, évidemment.

Professeur Gamberge. C’est quoi, le piratage sur Internet ?

Professeur Gamberge. C’est quoi, le piratage sur Internet ?
Jean Schalit, Karim Friha
Gallimard Jeunesse (Giboulées), 2011

Le piratage, c’est mal ; et autres raccourcis

Par Matthieu Freyheit

« Gambergez avec le professeur Gamberge »… Autant vous prévenir tout de suite, le contenu est aussi recherché que l’accroche. Le professeur Gamberge, c’est un savant. Cheveux blancs, cravate et blouse blanche. Il sévit à la télévision depuis maintenant quelques années, et se décline désormais en une série de livres petit format d’une vingtaine de pages. Et tenez-vous le pour dit, le professeur Gamberge vous explique tout. De  « A quoi ça sert de voter ? » à « Pourquoi, quand et comment paye-t-on des impôts ? » en passant par « Les Canadair, comment ça marche ? » (??? j’avoue que ce dernier volume me laisse perplexe), les lecteurs, à partir de 7 ans selon l’indication donnée par Gallimard Jeunesse, ont droit à tous les poncifs bien-pensants habituels.

Celui qui nous intéresse, « C’est quoi, le piratage sur Internet ? », n’est pas en reste. Passons sur le style graphique déplorable. Passons également sur le scénario protozoaire – peut-être aurait-il mieux valu l’effacer complètement. Le livre conserve le mérite de vouloir aborder la question du piratage dans les multiples sphères qu’il concerne : économique, personnelle, politique, etc. Tout cela à l’aide de la classique métaphore selon laquelle Internet est un immense océan peuplé de navires en tous genres. Arrive la question du piratage. Pour le professeur, la chose est simple : les pirates informatiques, méchants et fourbes, sont prêts à tout pour s’en mettre plein les poches. D’où la question de fond posée par l’une de ses interlocutrices, symbole supposé du lecteur moyen : « Mais alors, c’est dangereux Internet ? ». Il fallait bien un livre pour en arriver là. Non, la rassure tout de même le professeur. Et celui-ci d’embrayer, index levé, sur l’injustice des téléchargements illégaux.

Vous l’aurez compris, je ne suis pas convaincu. Mais alors pas du tout. D’un manichéisme agaçant, le livre ne revient à aucun moment sur les origines sociales et historiques du piratage ou du hack, pas plus que sur ses divers enjeux et les différents acteurs qui en forment le complexe panorama. Bref, trop de morale tue la morale. Et à l’heure tardive où je referme ce livre, il me vient comme une soudaine envie de télécharger un film…

 

Lame de corsaire

Lame de corsaire
Nicolas Cluzeau

Gulf Stream (Courants Noirs), 2011

 La mer à boire

Par Matthieu Freyheit 

Pris en chasse par deux vaisseaux anglais, grevé par une série de meurtres à son bord, suivi par une mystérieuse malédiction, le Scylla, frégate française, fait sans conteste figure non seulement de personnage principal, mais également de point d’ancrage. Et le lecteur, qui navigue soudain entre Histoire, aventure et roman policier, en a bien besoin. Le Scylla, en pleine guerre d’indépendance américaine, transporte des armes et de l’or destinés à soutenir les insurgés, ce à quoi s’oppose bien évidemment l’Angleterre. Et ce n’est pas l’unique souci des hommes du bord. Une femme est assassinée dans chaque port où le navire fait escale, de quoi aiguiser la superstition des plus sages : la frégate est-elle vraiment maudite ? La série de meurtres perpétrés à bord ne fait malheureusement que renforcer cette hypothèse, tandis que les deux nouvelles passagères sèment encore un peu plus le trouble dans l’esprit de l’équipage…

On l’aura compris, Nicolas Cluzeau ne fait pas dans le minimalisme. Son site web nous invite même à plonger au cœur de son multivers. Oui, un dérivé d’univers, vous avez bien compris. Aventure, Histoire, récits maritimes, romans policiers, fantasy, Nicolas Cluzeau fait tout et refuse de choisir. Du coup, il faut suivre, et mener de front avec lui les intrigues et les genres. Eric Van Stabel est-il le fier capitaine que l’on croit ? Saura-t-il sauver son navire de la perte ? L’officier Christian de Saint Preux contiendra-t-il sa verve devant la belle Hélène de Montmagner ? Georges Verlanger, enseigne et poète, découvrira-t-il la vérité sur les meurtres perpétrés à bord ? Hélène de Montmagner est-elle aussi arrogante et suffisante qu’il y paraît ? Mais d’abord, qui est Hélène de Montmagner ?

Attention, n’allez pas croire que l’auteur ne fasse pas bien son travail. En dépit de la difficulté de l’entreprise, et malgré un début un peu long, l’ensemble est plutôt réussi. Le navire offre l’occasion d’un huis clos haletant, presque angoissant, la multiplicité des personnages donne une épaisseur certaine à l’intrigue policière, et l’écriture de Cluzeau, quoique trop ostensiblement riche en vocabulaire maritime, parvient à maintenir un suspens efficace. Presque jusqu’à la fin. Presque, seulement. Car si jusque là l’auteur a su se contenir, tout se termine dans un capharnaüm littéraire où s’effacent quelque peu la tension et le plaisir. Mais je n’en dis pas plus…

Vois-tu ce que je vois ? Trésors des pirates

Vois-tu ce que je vois ? Trésors des pirates
Walter Wick

Traduit (anglais) par Christine Billaux
Millepages, 2011

Des zooms et (encore) des pirates

 Par Matthieu Freyheit

Vois-tu ce que je vois ? Trésors des pirates.gif Walter Wick est loin d’être un inconnu. Le photographe américain, qui se dit lui-même fasciné par les défis techniques offerts par sa discipline, n’en est pas à son premier livre pour la jeunesse et continue d’interroger les possibilités et bizarreries de l’optique.

Dans la veine des Où est Charlie ? et des livres d’observation, la série des Can you see what I see ? se poursuit. Après avoir revisité, entre autres, Noël, les contes de fée, et Halloween, Walter Wick consacre son objectif aux trésors des pirates. Prétexte à tout, la piraterie ? Sans doute.

Le concept, pour ceux qui n’ont pas encore passé quelques soirées à fouiller les précédents volumes, est le suivant : Walter Wick crée un effet de zoom à l’aide de photographies prises de décors en miniatures et en grandeur nature. Commencez à l’intérieur du coffre au trésor pour vous retrouver au fond des mers avant de finir sur une plage de sable fin, et trouvez une liste d’éléments fondus dans la masse de l’image. De l’incontournable tête de mort au sabre inévitablement serti de diamants en passant par un cœur en or et quatre tortues (à cette heure il m’en manque toujours une), voilà un livre qui invite à passer et à revenir, à le fermer et à le rouvrir : un livre, finalement, à investir, dans une vraie chasse au trésor.

Cependant, si le travail de Wick demeure brillant, certaines planches ne sont pas tout à fait réussies, en termes d’esthétique autant que de lisibilité. Quant à l’ensemble, il est quelque peu trahi par le défaut d’originalité du sujet. Ce qui ne nous empêche pas d’attendre avec impatience la prochaine proposition de l’auteur qui, abandonnant le navire pour suivre les rails du Toyland Express, gagnera peut-être en onirisme et en imagination.