Sauveur et fils, saisons 6

Sauveur et fils, saison 6
Marie-Aude Murail
L’école des loisirs, 2020

Comment répondre à l’angoisse des enfants d’aujourd’hui ?
ou Marie-Aude Murail en Sauveur

Par Anne-Marie Mercier

Un plaisir renouvelé encore une fois (et ce ne sera pas la dernière, il y aura un tome 7), de retrouver Sauveur Saint-Yves, le généreux psychothérapeute, sa famille élargie et ses patients.
Si le cinquième volume portait en grande partie sur les questions de genre et de différence sexuelle, le sixième est marqué par le genre policier : des armes circulent, le passé de Jovo refait surface. L’ex-mari de Louise arrivera-t-il à ses fins ? l’ancienne victime de Jovo se vengera-t-elle ou découvrira-t-elle des faits qu’elle aurait préféré ne pas connaitre ? Kimi va-t-il se servir de l’arme qu’on lui a donnée? Le patient de Jovo (qui se fait passer pour Sauveur en dehors des heures d’ouverture du cabinet) découvrira-t-il la supercherie ? D’où viennent les voix qu’entend Sarah ? Les suspens policiers s’enchainent, comme s’enchainent les suspens affectifs (Alice et Gabin vont-ils se déclarer ? Comment se résoudra la jalousie de Paul ? Frédérique trouvera-t-elle une réponse à ses questions ?…) et ce volume est tout aussi passionnant que les précédents.
Il s’y ajoute une tonalité plus sombre, et le héros doit s’avouer son impuissance face à l’atmosphère délétère de notre temps :

« Comment répondre à l’angoisse des enfants d’aujourd’hui ? Comment lutter contre ce flux, ce flot de nouvelles oppressantes, d’informations stressantes, d’images choquantes déversées de façon ininterrompue par tant de réseaux, de tuyaux, d’écrans ? Il avait beau s’appeler Sauveur, il ne luttait pas à armes égales » (p. 256).

La référence littéraire essentielle de ce volume est celle d’un conte de Grimm peu connu et peu étudié dans les classes (c’est justement une enseignante de collège qui le propose),  «Sa petite chemise de mort», appelé aussi parfois « son petit linceul » :

« oh Mère, cesse de pleurer [dit l’enfant mort], parce qu’autrement je ne peux pas m’endormir dans mon cercueil : tes larmes mouillent ma chemise de mort, et elle ne peut pas sécher.  »

L’une des leçons de ce livre s’adresse aux adultes : c’est à eux de ne pas sombrer dans l’angoisse, pour permettre à leurs enfants de vivre. Marie-Aude Murail sera certainement le Sauveur de bien des lecteurs et lectrices, par les conseils simples et le regard indulgent et généreux qu’elle porte sur leur génération.

 

La petite chemise de mort

Sauveur et fils, saisons 5

Sauveur et fils, saison 5
Marie-Aude Murail
L’école des loisirs, 2019

Saison genrée

Par Anne-Marie Mercier

Quel plaisir, de retrouver Sauveur Saint-Yves, psychothérapeute à Orléans, et le feuilleton des aventures et mésaventures de ses patients et de sa famille élargie !
Il est veuf, il a un fils, sa compagne a deux enfants, il a recueilli des êtres à la dérive (un vieux repris de justice et un adolescent apathique), divers animaux (essentiellement des hamsters, ce qui explique les images de couvertures des romans, mais aussi un chat diabétique). Ce dernier point donne lieu à des passages très drôles où le psychothérapeute est pris pour un spécialiste en comportement animal, et son cabinet pour une annexe de l’animalerie voisine.
Ce cinquième volume est aussi pour une grande part orienté sur les questions de genre et de différence sexuelle. On a même un glossaire en fin de volume – « dysphorie de genre », « mégenrer », etc. – et un petit dessin pour faire comprendre la différence entre sexe et genre. On y trouve un bel hommage à l’album de Christian Bruel et Anne Bozellec, Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon (Im Media, 1975 ; Le sourire qui mord, 1976 ; réédition Être éditions, 2009, puis Thierry Magnier, 2014). Le roman est rythmé entre autres par le changement progressif et les hésitations d’Ella, devenue Elliot, et par l’histoire dramatique de son ami Kimi, agressé sauvagement par des homophobes. Une autre patiente de Sauveur illustre le cas d’une femme ayant un enfant par PMA. Mais Marie-Aude Murail, tout en portant un regard plein d’empathie sur ces personnages et sur bien d’autres qui rompent avec les normes, ne tient pas un discours univoque et donne différents points de vue. Ainsi, dans ce volume, Louise, la nouvelle compagne de Sauveur, publie une petite BD très proche de celle qui a fait polémique en 2018, On a chopé la puberté (Milan) et elle subit, comme les autrices de cet ouvrage, un déferlement d’insultes sur les réseaux sociaux.  Marie-Aude Murail propose à ses lecteurs une réflexion sur ces auteurs trainés dans la boue, comme elle l’a fait à travers une prise de position ferme à l’époque, et elle présente à travers son personnage la défense que Anne Guillard, l’illustratrice, avait tenté de faire entendre en vain, situant ses dessins dans la lignée de sa série, « Les Pipelettes », elle-même imitée de sa propre vie et de ses conversations avec ses amies proches.  Le personnage de Louise est attachant, à travers cette souffrance, ses tentatives pour avoir un autre enfant, ses conversations avec ses amies (imitées des «Pipelettes»), ses difficultés avec son ex-mari, les problèmes entre ses enfants et lui, en bref, le quotidien (version pessimiste) de certaines familles recomposées.
Mais on aurait tort de croire que ce nouvel opus est un roman à thèse, c’est avant tout une « saison » de série, passionnante, pleine de rebondissements, de temps drôles et d’autres tristes, de personnages touchants, de questions d’éducation, pas toujours (jamais ?) résolues, d’épisodes de cure miraculeux ou calamiteux, pleine d’empathie et de questions. On comprend qu’à la fin Sauveur soit épuisé et rattrapé par son passé…
A suivre: le volume 6 est paru (un régal, plein de suspens en plus) et j’en parlerai très bientôt

Frangine

Frangine
Marion Brunet
Sarbacane, Coll. Exprim’, 2013 

Un beau roman de formation sur un sujet ô combien délicat et d’actualité

Par Maryse Vuillermet

 

frangineJoachim, lycéen de terminale,  n’a pas eu trop de problèmes jusque-là,  pour vivre sa différence. En effet, il est né d’une PMA ( procréation médicalement assistée) et il a deux mères, maman et Maline. Ceci pour plusieurs raisons, il est beau et costaud et il est magnifiquement aimé par ses deux mères et sa petite sœur, il vit dans un cocon de tendresse  et de confort. Il n’en va pas de même pour sa petite sœur, Pauline,  quand elle arrive au lycée.

Elle subit de plein fouet la bêtise, la haine et la violence de quelques gros bras de la classe de première. Ils la harcèlent, la couvrent d’insultes, la menacent des pires sévices sexuels, lui font un chantage ignoble. Elle souffre en silence. Pendant ce temps,  son frère vit sa première aventure amoureuse avec Pauline.

 Cependant,  par hasard, il  apprend l’horreur, fou de haine et honteux de son aveuglement,  il veut régler leur compte aux idiots,  mais sa petite sœur   ne veut pas qu’il le fasse à sa place.  Après avoir repris des forces pendant les vacances de Toussaint à la campagne auprès de ses grands-parents, elle décide de ne plus subir. Il fallait juste qu’elle arrête d’avoir peur. Le récit du retournement de situation est très jouissif  pour le lecteur.

C’est une belle histoire, un beau roman de formation original, sur un sujet peu traité,  mais d’actualité ; les enfants de couples homosexuels.

Joachim découvre en même temps l’amour et la sexualité, les différences sociales, la haine et toutes ses découvertes ne le font vaciller qu’un instant,  car, grâce à ses mères et à leur amour inconditionnel, à leur courage de vivre en accord avec elles-mêmes, il a des bases solides. C’est la leçon du roman:  ce qui compte, c’est surtout l’amour  entre frères et sœurs, entre grands-parents et petits enfants,  et dans le couple, l’amitié et  c’est ce qui donne le courage de  ne pas passer à côté de sa vie.