La Kahute

La Kahute
Donatienne Ranc – Illustrations de Kam
Editions du Pourquoi pas ? 2023

Vendredi ou le retour parmi les hommes

Par Michel Driol

Un homme, Vick, qui a quitté les hommes – comme le Misanthrope à la fin de la pièce de Molière – s’est réfugié sur une ile déserte où il pêche. Ce qu’il sort de l’eau, ce sont des détritus, des objets hétéroclites qui lui permettent de construire la Kahute où il vit, avec pour seule compagne une sardine. Lorsqu’il sort de l’eau un enfant migrant rescapé d’un naufrage, que va-t-il faire ? L’abandonner à son sort, pour rester seul humain sur l’ile ? Non, il va partir avec lui sur un bateau qu’il construit.

Donatienne Ranc propose ici un récit dont l’écriture, qui tient du conte oral par bien des aspects, touche à la poésie par un beau travail sur la langue : jeu des rimes, jeu avec les rythmes, jeu avec les anaphores, jeu avec les parallélismes. On le sent, ce texte est fait pour être dit autant que pour être lu. Dans un beau face à face muet (bien représenté par Kam qui illustre sur deux pleines pages les yeux de l’enfant et ceux de l’homme) se noue un drame au croisement entre les deux problématiques qui traversent le récit. D’un côté la pollution – celle des océans en particulier – et le texte et les illustrations montrent bien cette accumulation de débris qui vont permettre au héros de construire une cabane, puis un bateau, avec les rebuts de notre civilisation. De l’autre le drame des migrants, qui fuient la guerre pour devenir les victimes des passeurs.  Le récit fait passer du point de vue de l’homme à celui de l’enfant, comme une façon de dire ce qu’ils ont en commun. L’un a fui les Hommes « trop mesquins, trop requins, trop humains » : belle formule pour caractériser nos comportements et notre société. L’autre a fui la guerre, perdu ses parents. Le traitement de la seconde partie est intéressant en ce qu’il montre ce que fait Vick au travers du regard de l’enfant, créant une espèce de suspense. Vick agit, mais que fait-il ? Une autre cabane ? Un bateau ? Le lecteur s’interroge sur la façon dont Vick résout son cas de conscience pour arriver à une fin ouverte et optimiste. Fin optimiste car Vick prend soin de l’enfant et le reconduit parmi les hommes. Fin ouverte car rien n’est dit de l’intention finale de Vick : rester avec l’enfant et redevenir homme parmi les hommes qu’il déteste, ou revenir seul sur l’ile.

Ce drame et sa résolution muette se déroulent en pleine mer, sur une ile, et c’est aussi la force du texte de ménager des paragraphes où l’on entend le vent, où l’on voit les vagues, où l’on ressent la tempête. Cela constitue comme une respiration, une façon de ne pas oublier la nature sauvage. Revient comme un leitmotiv la couleur bleue : bleu de la bassine de la sardine, bleu de la chaussette de l’enfant, bleu que l’on retrouve sur la plupart des illustrations : bleu du ciel, bleu de la mer, bleu des yeux, bleu des peaux…  Mais le récit se termine non par cette couleur froide, mais par le soleil orange : il y a là comme un mouvement vers la vie, le sauvetage de l’enfant étant aussi le sauvetage par l’enfant.

Un récit à l’imaginaire riche, qui raconte une histoire pleine d’humanité, une histoire de rencontre salvatrice, illustré avec beaucoup d’expressivité, de violence parfois, de douceur aussi, un récit porteur d’espoir. On en a besoin !

Petite mer

Petite mer
Marie Colot Illustrations de Manuela Ferry
Editions du Pourquoi pas – Pourquoi pas la terre ? 2022

La  baleine (bleue) cherche de l’eau…

Par Michel Driol

C’est d’abord un face à face entre une petite fille et une baleine, de part et d’autre de la vitre d’un aquarium géant. L’enfant ressent l’ennui de la baleine qui lui raconte sa vie d’avant, sa liberté dans l’océan. Elle tient sa promesse de tout faire pour la libérer. Devenue mère à son tour, elle raconte cette histoire à sa fille, en espérant revoir la baleine dans l’océan.

Reprenant  un des  motifs fréquents en littérature pour la jeunesse, celui de l’amitié entre un enfant et un animal, voilà un album pour sensibiliser les plus jeunes à la question des animaux en cage, des poissons en aquarium, dressés pour faire des spectacles dans des delphinariums, dont la fin est programmée par une loi en France. Il s’agit bien sûr ici de plaider pour le respect des milieux naturels, et, au-delà des problématiques actuelles sur le bienêtre animal, de dire clairement que la place des animaux sauvages n’est ni dans un zoo, ni dans un cirque, ni dans un aquarium. Le récit joue sur l’opposition entre le grand et le minuscule : la baleine gigantesque dans l’aquarium trop petit pour elle, la baleine gigantesque face à la fillette, trop petite pour la sauver à elle seule. Il joue aussi sur le contraste entre l’univers de béton et de verre de l’aquarium et la beauté évoquée de l’océan de sa lumière et de ses couleurs particulières. Il joue enfin sur l’improbable : l’amitié entre une fillette et une baleine, montrant leur communication, n’hésitant pas à les faire, d’une certaine façon, dialoguer et échanger, façon de prêter des sentiments et des attitudes humaines à l’animal. Ce qui est mis en évidence, c’est la force de l’empathie de la fillette, à la fois sa naïveté et sa spontanéité dans ses réactions face à la baleine, mais aussi sa maturité dans sa capacité aussi à mobiliser autour d’elle, en parlant de cet animal, de façon à ce que la force du collectif puisse rendre à la baleine sa liberté. Les illustrations mettent surtout l’accent sur la baleine dans son milieu naturel, envahissant tout l’espace de sa grande taille, devenant pratiquement un univers à elle seule, dans un monde de couleurs et de joie.

Un album optimiste, qui n’est pas sans évoquer par certains aspects l’Œil du Loup, de Daniel Pennac, un album qui repose sur la transmission d’une baleine à une fillette, d’une mère à sa fille, pour dire qu’il faut savoir nager à contrecourant et respecter à tout prix le vivant, les animaux, ainsi que la liberté.

Tor et les gnomes

Tor et les gnomes
Thomas Lavachery
L’école des loisirs, 2015

Eloge de la compassion

Par Anne-Marie Mercier

Tor de Borgcouvmouchegabaritisvik est un enfant sensible, qui aime bien son père et son oncle, mais est capable de penser qu’ils peuvent avoir tort. Il va à la pêche avec eux, et si ça ne mord pas, c’est forcément la faute d’un farfajoll que père et oncle piègent et exposent moribond sur la place du village. On devine la suite : Tor le sauve, et est récompensé par la suite de cette bonne ( ?) action.

Certes, cela n’a rien d’original, à part le cadre nordique et la description du farfajoll, être délicat et étrange. Mais on ne se lasse pas de ces histoires d’alliance entre l’enfance et le bizarre, le petit, l’improductif.

Enfin, les dessins de Thomas Lavachery qui propose toute une encyclopédie d’êtres formant le « petit peuple » ont bien du charme.