Le vieil Homme et les mouettes

Le vieil Homme et les mouettes
Rémi Courgeon – Rozenn Brécard
Seuil Jeunesse 2023

Martin, ou le souvenir d’enfance

Par Michel Driol

Enfant, le narrateur était fasciné par un pêcheur à pied, Martin Lenchanteur, suivi par une foule d’oiseaux de mer. Mais il n’osa jamais lui demander son secret. Devenu adulte, longtemps après la mort du mystérieux pêcheur, le narrateur rencontre son frère, qui lui explique tout.

Ce qui frappe d’abord dans l’écriture de cet album, c’est le ton de la confidence, peut-être autobiographique. Le narrateur, dont on découvre, en effet, à la fin, qu’il s’appelle Rémi, s’adresse à un lecteur pour partager avec lui le souvenir d’un homme qui l’a marqué enfant. Un original, solitaire, qui pêche et dont personne ne mange le fruit de la récolte. Un marginal, timide, vivant à l’écart, dont le nom sonne comme un paronyme de Merlin l’Enchanteur. Toute la première partie du récit le présente, épié par un gamin aux lunettes rouges, tantôt seul, tantôt au milieu d’une foule d’autres pêcheurs. C’est d’abord l’histoire d’un silence, d’une question non posée, de la fascination éprouvée par un enfant qui n’ose pas faire le premier pas et demander. Par crainte ? Par timidité ? Jusqu’à ce qu’il soit trop tard, et que l’homme meure. Sa longue silhouette s’est fondue dans les souvenirs flous d’une enfance qu’on croit avoir rêvée. Belle phrase que celle-ci, qui dit tout, avec poésie, avec simplicité,  du temps qui passe, de l’oubli, de la nostalgie de l’enfance. Cette phrase marque la fin de la première partie. Après une ellipse, on retrouve le narrateur adulte, confronté à un nouveau mystère. La cabane est ouverte, et habitée par un homme qui ressemble en tous points à Martin. Son frère, qui va, à son tour, raconter l’enfance de Martin et révéler la raison pour laquelle les mouettes le suivaient. Pourtant, lorsque le narrateur tente de faire la même chose, rien ne se passe, et il se trouve confronté au même mystère, au même secret, bien gardé par le Mont Saint Michel.

Sans doute cet album évoque-t-il deux enfances, celle du narrateur, puis celle de Martin. Pour autant, il évoque surtout le mystère de cette relation particulière aux oiseaux, relation dont on n’aura pas l’explication rationnelle car, en reproduisant les mêmes gestes, le narrateur n’arrive à rien.  C’est bien de là que provient la magie de l’album : il est des questions auxquelles on ne peut avoir de réponse. Cette magie, ce mystère sont renforcés par le décor féérique de la baie du Mont Saint Michel, magnifiquement représentée par Rozenn Brécard, dans des tons marron et bleu, laissant toute leur place au blanc et aux reflets. Ce qui frappe aussi dans cet album, c’est l’importance de la ligne horizontale qui sépare le ciel de la mer, ligne évoquée par la première phrase du texte, et presque toujours représentée dans les illustrations, comme une façon symbolique de séparer deux mondes, deux espaces que les oiseaux et Martin réunissent dans de superbes plans, comme une façon de montrer le statut à part de cet homme.

Un album plein de merveilleux pour évoquer le lien entre l’homme et les oiseaux, entre le naturel et le surnaturel, entre l’enfance et l’âge adulte,  en un lieu chargé d’histoire et de magie qu’est la baie du Mont Saint Michel, magnifiée ici tant par la poésie du texte que par la qualité des illustrations.

Petit Pêcheur, grand appétit

Petit Pêcheur, grand appétit
Suzy Vergez
Rue du Monde 2021

Il faut cultiver nos océans…

Par Michel Driol

Alors qu’il pêche avec modération ce qui est nécessaire pour nourrir sa famille, Petit Pêcheur délivre le Roi-des-crabes, qui lui accorde un vœu. Sur l’insistance de ses enfants, qui en veulent toujours plus, il demande à pêcher 100 poissons par lancer. Avec l’argent gagné, il achète un bateau plus grand, devient exportateur de conserves de poissons, jusqu’au jour où il ne pêche plus aucun poisson et doit partir plus loin. A la suite d’une tempête, toute la famille se retrouve sur une ile, où elle rencontre d’autres pêcheurs qui prennent soin du fond de l’océan, font attention à leurs prises et leur offrent quelques algues et quelques couples de poissons pour repeupler leur coin d’océan…

Comment produire ? Comment consommer ? Voilà les importantes questions que soulève ce conte philosophique de Suzy Vergez, sans manichéisme. La mécanique est lancée par deux facteurs. D’un côté, l’envie d’avoir toujours plus, incarnée ici, c’est original, par les enfants, qui n’ont pas le rôle de sauveurs qu’ils jouent souvent dans ce type de conte, mais déclenchent, par leurs désirs incontrôlés et incontrôlables, la catastrophe. De l’autre, l’appât du gain, qui pousse le père à passer outre l’avertissement du Roi-des-crabes (pas plus de 100 poissons) et, dans une logique très capitaliste, le conduit à industrialiser son activité sans prendre garde aux ressources limitées de la planète. Face à cette démesure, les éléments naturels deviennent des personnages du livre : les crevettes et oiseaux jouent le rôle du chœur antique, et commentent, avec inquiétude, les événements. Les crabes ont un roi, et se coalisent contre Petit Pêcheur. L’océan lui-même déclenche une tempête. Cette personnification, propre au genre du conte dans lequel s’inscrit cet album, introduit à un imaginaire riche, mais, en même temps, correspond tout à fait au propos tenu : la nature est vivante et doit être respectée et préservée si l’on veut y survivre. Plein d’optimisme, l’album propose une solution aux dérèglements causés par Petit Pêcheur : cela passe par l’entraide et le respect de la nature, afin de préserver et faire prospérer les ressources naturelles.

Cette fable laisse le lecteur conclure de lui-même, choisir entre différents comportements dont les uns sont mortifères pour la planète : elle ne se veut ni moralisatrice, ni édifiante. Les personnages y sont humains, tout simplement, avec leurs désirs et leurs passions. Il leur faut encore apprendre à dépasser leurs envies immédiates pour rester raisonnables, penser au futur et le préserver. C’est une belle leçon d’écologie politique que donne l’album, à travers un beau conte que les illustrations situent en orient. Il faut souligner la qualité du travail graphique de l’autrice qui utilise différentes techniques, tampons, encre, sans doute papiers découpés, afin de composer un spectacle pour les yeux de toute beauté et particulièrement animé.

Un bel album, particulièrement bien écrit et bien illustré, pour réfléchir ensemble à notre lien avec notre terre nourricière, à travers l’exemple de la pêche.

Tor et les gnomes

Tor et les gnomes
Thomas Lavachery
L’école des loisirs, 2015

Eloge de la compassion

Par Anne-Marie Mercier

Tor de Borgcouvmouchegabaritisvik est un enfant sensible, qui aime bien son père et son oncle, mais est capable de penser qu’ils peuvent avoir tort. Il va à la pêche avec eux, et si ça ne mord pas, c’est forcément la faute d’un farfajoll que père et oncle piègent et exposent moribond sur la place du village. On devine la suite : Tor le sauve, et est récompensé par la suite de cette bonne ( ?) action.

Certes, cela n’a rien d’original, à part le cadre nordique et la description du farfajoll, être délicat et étrange. Mais on ne se lasse pas de ces histoires d’alliance entre l’enfance et le bizarre, le petit, l’improductif.

Enfin, les dessins de Thomas Lavachery qui propose toute une encyclopédie d’êtres formant le « petit peuple » ont bien du charme.

Partie de pêche

Partie de pêche
Béatrice Rodriguez
Autrement jeunesse (Histoires sans paroles), 2011

Sans paroles, tout est dit

par Anne-Marie Mercier

Suite du Voleur de poule et de La Revanche du coq, cet album nous présente le renard et la poule (couple formé dans le premier volume) couvant leur premier œuf… Le frigo étant vide, c’est madame qui part à la pêche, confiant l’œuf au renard. On frémit… on a presque raison ! mais chut.

La partie de pêche de la poule se déroule comme les autres épisodes des merveilleuses histoires sans paroles : parcours « homérique », par monts, vaux et océans, enchainements, répétitions, accumulation, exagérations, humour, et retour à la maison, avec une surprise (des deux côtés).

Igor et Olafe : Chasse, pêche et surgelé, Le Jour de la Saint Boudin

Igor et Olafe : Chasse, pêche et surgelé,  Le Jour de la Saint Boudin
Pierrick Bisinski, avec la collaboration d’Edouard Manceau

Gallimard jeunesse (giboulées), 2011

Aux petits bonheurs des ogres

par Anne-Marie Mercier

Dans le domaine des séries pour la jeunesse présentant les aventures de deux enfants, frère et soeur, on avait plutôt l’habitude de trouver des récits très conventionnels. Ici, le ton est décalé et les situations cocasses. Il faut dire que les héros sont de petits ogres et qu’il est toujours question de manger. Que l’on cherche des pommes – les deux enfants vont les chercher chez leur grand-mère qui vit dans la forêt–, ou du poisson – Igor va à la pêche avec son père –, l’aventure se termine régulièrement en petite catastrophe comique.

 Les références aux contes ou à des classiques de littérature de jeunesse sont détournées dans le même esprit (on sème sur le chemin des patates au lieu de miettes de pain). Les papiers découpés construisent un univers simple sur lequel les petits personnages gesticulent de façon expressive.