Le Silence des porcelaines

Le Silence des porcelaines
Agnès Domergue – Valérie Linder
Cotcotcot 2025

A un chat gris souris

Par Michel Driol

C’est l’histoire d’une rencontre, entre la narratrice et un chaton gris souris qui s’adopte chez elle, avec lequel elle joue, et qui vit sa vie de chat, entre les porcelaines et la fenêtre, puis qui disparait, laissant sa maitresse seule…

Imprimé dans un petit format, presque carré, un petit format qui renvoie à l’intimité de la confidence entre le je qui s’exprime et le lecteur, petit format qui renvoie aussi à l’intimité de la relation entre le chaton et sa maitresse, petit format qui renvoie enfin à la petite taille du chaton, à celle des porcelaines que l’on retrouve dans le titre. Un titre sous forme d’énigme poétique, à l’image de ce texte qui oscille entre le récit et le poème, qui installe une poésie de l’intime, du quotidien, des petits riens.

Le texte commence sur le mode d’un unique « je me souviens », souvenir de la rencontre, et se clôt sur ce même souvenir, reprenant les mêmes mots, mais se jouant de l’homonymie entre la couleur gris souris et le verbe sourire, comme pour signifier le lien tout particulier entre l’animal de compagnie et sa maitresse. Texte court, entre 2 et 6 vers libres par page, texte qui se permet  parfois une l’assonance ou une rime en fin de vers. Le texte est particulièrement travaillé, se rapprochant parfois du haïku ou de la comptine, jouant sur les répétitions, les structures parallèles, associant les mots pour créer des images. Certaines formules ont une force toute particulière, en particulier dans les renversements inattendus : perdue / je l’ai cherché ou dans la façon d’exprimer la confidence sur le rapport aux autres et la souffrance non dite : longtemps / j’ai fait semblant / de ne plus être triste.

Le texte est parfaitement mis en valeur par la mise en page et les aquarelles. La mise en page offre des temps de silence, comme de respiration entre deux moments évoqués par le texte. Moments de silence qui se font écho entre le début, le milieu et la fin, moments où l’illustration donne à voir des paysages ou des ciels lumineux qui s’opposent à l’intérieur de la maison, aux jeux du chaton, aux porcelaines. Les aquarelles très fines de Valérie Linder se situent entre le réalisme et l’abstraction, utilisant à merveille la diffusion des pigments colorés sur le papier pour créer des paysages de toute beauté.

Texte et illustrations se conjuguent pour créer l’atmosphère si particulière de cet album, faite de légèreté, de fragilité, et de tendresse, afin de relater une expérience à la fois intime, personnelle, et universelle : celle de l’attachement d’un être pour un animal de compagnie, celle de la perte, de la disparition, du deuil et de la reconstruction de soi.

 

Mon père le plus grand des agents bricoleurs

Mon père le plus grand des agents bricoleurs
Barroux
Little Urban 2019

Bricoler ensemble

Par Michel Driol

Voici un album qui parle d’un papa bricoleur… Est-on dans les stéréotypes de genre ? Certes non. En 14 doubles pages, qui chacune porte un titre, on découvre progressivement les facettes de ce père bricoleur, vu par sa fille, future bricoleuse. Cela va de la caverne à la sieste, en passant par la guerre et les cartes postales. Et, bien sûr, l’album parle de la relation entre un père et sa fille qui partagent la même passion du bricolage.

D’entrée de jeu, on est dans un imaginaire enfantin : la petite fille assimile son père à un agent secret, qui change de tenue le weekend, afin de bricoler. Dès lors, il possède un coin secret, et une assistante, sa fille… Tous les attributs liés au bricolage sont là : les multiples boites qui servent à ranger, les outils aux noms poétiques et énigmatiques,  les blessures aussi… Au service de tout le quartier, le bricoleur sait aussi se faire inventeur, et proposer à sa fille, en grand secret, une invention qui les rapprochera encore plus… On trouvera peut-être que la mère est quasi absente, réduite à un rôle d’infirmière ou de spectatrice. Cela participe de la volonté de l’auteur de mettre en évidence la relation père fille.

Le récit est conduit avec beaucoup d’humour, en particulier à cause du regard de la petite fille et de son ton familier et ses énumérations qui tentent de dire l’univers du père. Les objets sont quasi animés : le père leur redonne vie dans son espèce de jardin secret qu’il partage avec sa fille. Les illustrations – souvent en double page – montrent un univers coloré, désordonné, et donnent une impression de joie et de bonheur dans la complicité qui se noue.

Un album à la fois joyeux et tendre, plein de poésie et de douceur, qui montre que le bricolage n’est pas réservé aux garçons !