Demain les rêves

Demain les rêves
Thierry Cazals / Daria Petrilli
Møtus 2015

Faire face à la crise

Par Michel Driol

Agathe est une petite fille qui, depuis la mort de ses parents, vit avec son Oncle Jean dans un monde en crise. Les signes de la crise ont bien là : usines qui ferment, arbres qui n’ont plus la force de faire pousser des feuilles, adultes qui jouent à la dinette faute d’avoir de vrais repas, l’oncle Jean qui perd son emploi. Il imagine des tas de métiers sans avenir : dompteur de papillons, facteur qui refuse les lettres de licenciement ou les factures… Mais la crise gagne… Alors Agathe sort à la rencontre des autres : un homme et une femme qui hurlent et griffent les murs, puis un garçon qu’elle embrasse. Avec ce garçon et Oncle Jean, il feront une équipe de choc pour devenir écouteurs de rêves et faire renaitre les jeux, la vie, l’espoir.

Voilà un album magnifique, qui ne cherche pas expliquer rationnellement la crise, mais à donner l’espoir. Tous les enfants entendent aujourd’hui parler de la crise. La voilà personnifiée, puissance maléfique qui a volé à Agathe ses parents et désespéré le monde entier, humains comme végétaux. Aura-t-elle le dernier mot ? Comme dans les contes, on croit un instant que le mal va l’emporter. L’imagination seule ne suffit pas à s’en tirer : Oncle Jean a beau inventer des métiers poétiques et fabuleux (éleveur de feux follets ou cultivateur d’étoiles filantes), la crise a tellement fait mourir les espoirs et les intérêts qu’il échoue. Il faudra se mettre ensemble et non pas proposer, mais écouter les rêves pour redonner l’espoir, découvrir ce que l’on a en partage, guetter le moindre souffle de vie, redonner confiance, lutter contre la peur. On le voit, c’est la poésie et le rêve qui seront capables de lutter contre la crise, l’attention patiente à chacun. Et, dans ce rôle-là, ce sont les enfants qui sont porteurs d’espoir. La crise n’aime pas les enfants qui rêvent…

L’album traite donc de façon poétique la crise, avec courage et audace : poésie du texte qui traite la crise de façon métaphorique, extraordinaire qualité des illustrations dont l’univers est proche de celui de Magritte et permettent aussi de sortir de donner une représentation surréaliste. Tout vole, des gâteaux aux oiseaux, des feuilles aux papillons, des lettres aux personnages, montrant une réalité étrange et inquiétante, jusqu’à ce qu’un bouquet de fleurs naisse dans la tête de l’oncle. L’illustration de couverture, comme un clin d’œil aux éditions Larousse (je sème à tous vents), que l’on retrouve sur les pages de garde, est porteuse de l’espoir que les fleurs s’épanouissent.

Un album en forme de conte philosophique pour nous aider à lutter contre la résignation.

A la poursuite du grand chien noir

A la poursuite du grand chien noir
Roddy Doyle
Traduit (anglais/Irlande) par Marie Hermet
Flammarion jeunesse, 2015

« Brillant ! », Un remède à la dépression/récession

Par Anne-Marie Mercier

grand chien noir« Brilliant« , tel était le titre original et tel est le qualificatif qu’on aimerait donner à ce livre qui a eu un grand succès en Irlande : ce mot, dans ce pays est un terme qu’on emploie à tout propos et qu’on pourrait traduire par « super », « génial » ou par une autre formule encore plus actuelle. C’est le mot magique, celui qui dit l’enthousiasme et l’élan, et qui fait rebondir quand on est à terre. L’enthousiasme ici est le propre de l’enfance, représentée par les deux héros, frère et sœur, Simon et Gloria, et par les autres enfants qu’ils rencontrent. Simon est l’aîné, mais il a peur du noir; Gloria, non.

Il est étonnant de voir que l’économie peut être au centre d’un roman pour enfants. L’histoire se passe pendant la crise dite des « subprimes« , ou de la « bulle immobilière » qui a frappé le monde financier et par contrecoup tous les secteurs entre 2007 et 2011. Cette crise a touché de plein fouet l’Irlande, qui est passée d’une période de croissance extraordinaire (à tous les sens du terme) à une très forte récession : faillites de banques et d’entreprises, chantiers de construction arrêtés, expulsion de propriétaires ne pouvant plus rembourser leurs emprunts…

La crise est vue à hauteur d’enfant : Simon et Gloria qui avaient chacun leur chambre apprennent qu’ils vont devoir partager une même chambre car leur oncle Ben, qui est dans une passe difficile, va venir vivre chez eux. Pas de problème : ils l’adorent ; leur père, frère de Ben, est ravi, leur mère pas mécontente (sa propre mère est toujours fourrée chez eux même si elle a un appartement indépendant). Il y a un beau portrait de famille, détendue, solidaire, aimante, mais pas mièvre, parfois à cran dans ces situations. Tout va à peu près, avec de beaux moments d’humour, jusqu’à ce que le « grand chien noir » pose ses pattes sur les épaules de Ben, rendant l’atmosphère irrespirable.

Dans l’ancien folklore, le chien noir est associé à la mort (voir Cerbère, ou Le Chien des Baskerville de Sherlock Holmes). Il est devenu aussi la métaphore de la tristesse et de la dépression (depuis – d’après Wikipedia – Samuel Johnson, le fameux « Dr Johnson). Comme cela est dit dans le prologue dialogué, personne n’y peut rien, ou presque : « seuls les enfants de la ville pouvaient faire quelque chose » ; c’est la conclusion de deux chiens du voisinage qui ont vu avant tout le monde l’arrivée du monstre.

Après avoir surpris une conversation d’adultes parlant de ce chien noir, les deux enfants partent dans la nuit et le voient, en « vrai » ; la métaphore des adulte prend corps dans les yeux des enfants. Ils le suivent dans une course éperdue à travers la ville, en partant de l’ouest. Ils suivant la rivière Liffey jusqu’à la mer, passant par Phoenix Park et le zoo, et rencontrent d’autres enfants qui ont comme eux un proche tyrannisé par un « chien noir ». Frissons, moments de désespoir (ce chien est très proche des détraqueurs de J.K. Rowlings) et enthousiasme alternent avec des temps de poésie. La nuit et ses bruits, la ville vide, les animaux qui les regardent passer et les encouragent, les amitiés qui se nouent, la « chute » – si l’on peut dire – surprenante avec Ernie et sa cape de vampire et son papa… tout cela est une belle démonstration du fait que oui, dans certaines situations, seule la jeunesse peut nous sauver, tant qu’elle sait s’exclamer à tout propos : « brilliant » !

depressionPour prolonger la liaison chien noir/dépression, voir la vidéo très pédagogique de Matthew Johnstone, en lien  avec l’OMS sur plusieurs blogs, tirée de son livre illustré.

Roddy Doyle est un auteur de romans, célèbre en Irlande, notamment pour Paddy Clarke ha ha ah! Il est connu en France surtout pour sa trilogie (The Commitments, The Snapper, The Van), qui a inspiré des adaptations cinématographiques.