Comment transformer une banane en vélo

Comment transformer une banane en vélo
Jerry Dougherty – Ravy Puth
Kata 2022

De la valeur et des échanges

Par Michel Driol

D’un côté, il y  a un couple, Michael et sa femme, vivant refermés sur eux-mêmes. De l’autre, il y a une bande d’enfants. Un jour, les enfants demandent une banane à Michael qui, tout en rechignant, la leur donne. Et quelle n’est pas leur surprise de voir les enfants revenir avec un tandem magnifique, dont ils affirment qu’il n’est autre que la banane. En effet, ils l’ont proposée au glacier qui en avait besoin contre un cornet de glace, proposé le cornet de glace au jardiner assoiffé contre une tondeuse à gazon hors d’état de marche, que la mécanicienne du dépotoir leur a échangée contre le vélo…

Voilà un album qui propose une petite leçon d’écologie et d’économie. La valeur des choses est fonction de nos besoins, et le troc une façon d’échanger des biens qui reçoivent ainsi une valeur ajoutée non négligeable. On passe ainsi d’une banane à un vélo, en échangeant, en recyclant dans son entourage. Il y a là de quoi s’interroger sur la notion de valeur, de propriété,  sur tout un système économique. La banane ne vaut un vélo que parce qu’elle a été échangée, ce qu’auraient été incapables de faire ses premiers propriétaires, présentés avec pittoresque comme « le vieux et grincheux monsieur Michael et son-épouse-pas-si-grincheuse-que-ça ». Elle ne prend de la valeur que parce qu’elle sort du domicile, que parce que ses premiers propriétaires acceptent de la donner, que parce que les enfants la font entrer dans un circuit économique. Chaque objet ne vaut qu’autant qu’il répond à un besoin particulier, et vaut moins que l’objet que l’on donne en échange. Cette leçon prend l’aspect d’une petite fable, bien écrite, avec des formules récurrentes, comme dans les histoires en randonnée. En quelques mots, les personnages et les situations sont posés, souvent dans des dialogues pleins d’expressivité. Les illustrations montrent des enfants très différents, souriants, dans un univers coloré et plein d’harmonie.

Une fable économique et écologique qui évoque avec humour la protection de l’environnement, la camaraderie, la débrouillardise et le partage, car les enfants, par honnêteté, rendent le vélo au propriétaire de la banane.

Bulldozer

Bulldozer
Aliénor Deborcq – Evelyne Mary
Cotcotcot éditions

Quand décline la ville …

Par Michel Driol

La narratrice habite avec sa famille dans la banlieue de Detroit, ville sinistrée depuis la crise des subprimes et le déclin des usines automobiles. Contrairement à leurs meilleurs amis qui décident de partir ailleurs, pour avoir une vie plus stable, ils décident de s’opposer à la démolition de leur maison qui doit faire place à des parcs et à de la verdure, maintenant que le centre-ville de Detroit s’est gentrifié et rétréci. Pourtant, il faudra bien se résigner à partir…

Court roman facile et agréable à lire, Bulldozer aborde et rend tangibles des problématiques urbaines actuelles, en prenant l’exemple de Detroit, la ville qui rétrécit. On est au plus près de deux familles, celle de la narratrice, et celle de leurs amis, Nancy et Bob, et leurs enfants. Deux familles dans lesquelles les mères sont enseignantes, écolo. Deux familles qui habitent une banlieue de Detroit, aux maisons en bois et qui s’y sentent bien. Très pédagogique sans être pourtant théorique, le roman montre comment la disparition des usines automobiles  qui faisaient la prospérité de Detroit a changé le quotidien des habitants. Bob, d’ingénieur automobile, s’est retrouvé réparateur de voitures au noir, Nancy, dont l’école va fermer, va se retrouver au chômage. Il oppose assez vigoureusement un « eux » et « nous ». Eux, ce sont les agents du gouvernement, qui entendent rénover la ville, en faire un centre de services, entouré de parcs et de verdure, mais  sans considération pour les plus démunis, ceux dont la formation ne leur permettra pas de s’insérer dans ce nouveau projet social. Très mûre pour son âge, la narratrice a la force de s’opposer à eux, par la parole, par les actes aussi (belle scène de destruction–décoration symbolique d’un bulldozer). Très documenté, le roman aborde aussi les traditions locales, comme le défile du Nain Rouge auquel participe l’héroïne. Mais que peut David contre Goliath ? C’est par le départ de la famille de la narratrice que se clôt le roman, comme un aveu d’impuissance de tous les appels à résister, à lutter pour une société plus égalitaire et plus juste portée par les parents de la narratrice (on sait que son père se bat pour défendre les plus pauvres, mais sans vraiment savoir quel est son métier). Si le roman fonctionne bien, c’est à la fois en raison de son arrière-plan social, urbanistique et politique, mais aussi parce qu’il sait s’appuyer sur des personnages attachants, une narratrice pleine d’énergie et de fougue, d’illusions et de convictions aussi, et une galerie de personnages secondaires bien représentatifs de l’Amérique et de ses problématiques (soldats morts dans les conflits du Moyen Orient…). Le roman se clôt par un dossier documentaire, qui associe un dictionnaire des termes américains de l’ouvrage, et une histoire de la ville de Detroit. Bulldozer est illustré par Evelyne Mary qui propose des compositions assez minimalistes, souvent à base de figures géométriques, jouant sur le plein et le vide,  et donnant à voir l’essentiel de l’action des personnages ou des objets symboliques que l’on rencontre dans le roman.

On suivra avec intérêt la collection Combats de Cotcotcot,  qui aborde des thèmes d’actualité autour de l’écologie ou de l’économie,  enutilsant avec intelligence et sensibilité la fiction pour aborder ces problématiques.

A la poursuite du grand chien noir

A la poursuite du grand chien noir
Roddy Doyle
Traduit (anglais/Irlande) par Marie Hermet
Flammarion jeunesse, 2015

« Brillant ! », Un remède à la dépression/récession

Par Anne-Marie Mercier

grand chien noir« Brilliant« , tel était le titre original et tel est le qualificatif qu’on aimerait donner à ce livre qui a eu un grand succès en Irlande : ce mot, dans ce pays est un terme qu’on emploie à tout propos et qu’on pourrait traduire par « super », « génial » ou par une autre formule encore plus actuelle. C’est le mot magique, celui qui dit l’enthousiasme et l’élan, et qui fait rebondir quand on est à terre. L’enthousiasme ici est le propre de l’enfance, représentée par les deux héros, frère et sœur, Simon et Gloria, et par les autres enfants qu’ils rencontrent. Simon est l’aîné, mais il a peur du noir; Gloria, non.

Il est étonnant de voir que l’économie peut être au centre d’un roman pour enfants. L’histoire se passe pendant la crise dite des « subprimes« , ou de la « bulle immobilière » qui a frappé le monde financier et par contrecoup tous les secteurs entre 2007 et 2011. Cette crise a touché de plein fouet l’Irlande, qui est passée d’une période de croissance extraordinaire (à tous les sens du terme) à une très forte récession : faillites de banques et d’entreprises, chantiers de construction arrêtés, expulsion de propriétaires ne pouvant plus rembourser leurs emprunts…

La crise est vue à hauteur d’enfant : Simon et Gloria qui avaient chacun leur chambre apprennent qu’ils vont devoir partager une même chambre car leur oncle Ben, qui est dans une passe difficile, va venir vivre chez eux. Pas de problème : ils l’adorent ; leur père, frère de Ben, est ravi, leur mère pas mécontente (sa propre mère est toujours fourrée chez eux même si elle a un appartement indépendant). Il y a un beau portrait de famille, détendue, solidaire, aimante, mais pas mièvre, parfois à cran dans ces situations. Tout va à peu près, avec de beaux moments d’humour, jusqu’à ce que le « grand chien noir » pose ses pattes sur les épaules de Ben, rendant l’atmosphère irrespirable.

Dans l’ancien folklore, le chien noir est associé à la mort (voir Cerbère, ou Le Chien des Baskerville de Sherlock Holmes). Il est devenu aussi la métaphore de la tristesse et de la dépression (depuis – d’après Wikipedia – Samuel Johnson, le fameux « Dr Johnson). Comme cela est dit dans le prologue dialogué, personne n’y peut rien, ou presque : « seuls les enfants de la ville pouvaient faire quelque chose » ; c’est la conclusion de deux chiens du voisinage qui ont vu avant tout le monde l’arrivée du monstre.

Après avoir surpris une conversation d’adultes parlant de ce chien noir, les deux enfants partent dans la nuit et le voient, en « vrai » ; la métaphore des adulte prend corps dans les yeux des enfants. Ils le suivent dans une course éperdue à travers la ville, en partant de l’ouest. Ils suivant la rivière Liffey jusqu’à la mer, passant par Phoenix Park et le zoo, et rencontrent d’autres enfants qui ont comme eux un proche tyrannisé par un « chien noir ». Frissons, moments de désespoir (ce chien est très proche des détraqueurs de J.K. Rowlings) et enthousiasme alternent avec des temps de poésie. La nuit et ses bruits, la ville vide, les animaux qui les regardent passer et les encouragent, les amitiés qui se nouent, la « chute » – si l’on peut dire – surprenante avec Ernie et sa cape de vampire et son papa… tout cela est une belle démonstration du fait que oui, dans certaines situations, seule la jeunesse peut nous sauver, tant qu’elle sait s’exclamer à tout propos : « brilliant » !

depressionPour prolonger la liaison chien noir/dépression, voir la vidéo très pédagogique de Matthew Johnstone, en lien  avec l’OMS sur plusieurs blogs, tirée de son livre illustré.

Roddy Doyle est un auteur de romans, célèbre en Irlande, notamment pour Paddy Clarke ha ha ah! Il est connu en France surtout pour sa trilogie (The Commitments, The Snapper, The Van), qui a inspiré des adaptations cinématographiques.

Une poignée de riches… des milliards de pauvres!

Une poignée de riches… des milliards de pauvres!
Philippe Godard
Syros, collection J’accuse,  2012

Une petite merveille de vulgarisation !

Par Maryse Vuillermet

une poignée de riches imageBravo Philippe Godard ! Un parfait travail de vulgarisation, toutes les grandes théories économiques résumées, de Bouddha à Rousseau, Owen, Malthus, Ruskin, Marx expliquées,  discutées en quelques pages, les notions dont on nous rebat les oreilles, la crise, le Cac 40, la finance internationale, la mondialisation sont passées au crible.  Et une réflexion sur notre avenir est proposée , les solutions imaginées par Ghandi, par certains penseurs d’aujourd’hui.

 Un beau travail d’édition aussi avec  un titre  à la formule choc, une belle page de couverture très accrocheuse (on y voit un cadre avec son attaché-case jeter un regard étonné, et ennuyé sur  une femme  SDF allongée sur le trottoir), une organisation textuelle très soignée, titres sous-titres en rouge, paragraphes courts, des cartes très claires, des graphiques, une bibliographie très fournie et des ressources pour continuer la réflexion.

Cet ouvrage s’adresse en priorité aux jeunes à partir de 13, 14 ans mais il peut passionner des adultes et des enseignants, qui veulent tout simplement mieux comprendre le monde.

Les autres titres de la collection J’accuse ont l’air intéressant aussi comme Le suicide des jeunes, mourir pour exister de Virginie Lydie sorti en 2008 ou du même auteur L’ascenseur social en panne-le principe de l’égalité des chances bafoué publié en 2009

C’est quoi, un paradis fiscal ?

C’est quoi, un paradis fiscal?
Jean Schalit, Karim Friha

Gallimard, 2012

Un petit pas vers la notion de criminalité « en col blanc »

Par Dominique Perrin

 Gamberge est un drôle de « professeur » en cravate, blouse blanche et cheveux blancs coiffés en flamme derrière un étrange casque, scientifique aux allures de sioux doué d’un énorme stylo-plume. Il semble lui-même un peu perdu dans sa déclaration de revenus, mais profite de l’occasion pour édifier une dynamique jeune fille, représentante d’une jeunesse curieuse et tonique, venue lui rendre visite. Le documentaire qui en découle ne va certes pas au fond du sujet – ce serait difficile –, mais utilise avec pertinence la douzaine de doubles-pages qui lui est impartie, par libre adaptation de la série télévisée qui en est la source. On peut certes regretter que le travail de la nombreuse équipe créditée en fin d’ouvrage – sept personnes en tout, de l’écriture, à l’illustration, au scénario, à la conception graphique, la maquette et l’iconographie – ne débouche pas sur un ouvrage un peu plus approfondi et moins formaté. Ce n’est cependant pas le but, le principe de la série primant ici avec pour finalité la familiarisation d’un public aussi large que possible avec des ouvrages traitant avec simplicité des sujets relativement courageux, dans un contexte documentaire globalement frileux en matière de problèmes politiques et plus globalement de sciences humaines.